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Lenguaje

Print version ISSN 0120-3479

Leng. vol.48 no.1 Cali Jan./June 2020

https://doi.org/10.25100/lenguaje.v48i1.6034 

Artículo

Traitement de l’intégration du référent exotique dans le contexte altéritaire

Tratamiento de la integración del referente exótico en el contexto de la alteridad

Treatment of the integration of the exotic referent in the context of alterity

1 Universidad de Alzahra. Teherán, Irán. Correo electrónico: a.pourmazaheri@alzahra.ac.ir

2 Universidad de Teherán. Teherán, Irán. Correo electrónico: esfandi@ut.ac.ir


Résumé

L'étude du contenu lexical de l'ensemble du corpus « récit de voyage » fournit l'occasion de définir les champs notionnels privilégiés et d'élaborer un glossaire des termes exotiques ou « xénismes » susceptibles de contribuer à la « couleur locale » des textes ou à « l'effet de réel », en privilégiant les informations fournies par les écrivains eux-mêmes. On s’intéresse plus particulièrement à l’adaptabilité et à la flexibilité du texte qui le rendent plus didactique et par conséquent plus compréhensible au lecteur. C'est à travers l'étude des stratégies mises en place par l'auteur que nous étudions le rapprochement cognitif et sémantique lorsque le texte s'adapte au monde du récepteur.

Mots-clés: référent; récit de voyage; emprunt; xénisme; altérité

Resumen

El estudio del contenido léxico de todo el corpus de "narrativa de viaje" brinda la oportunidad de definir los campos teóricos privilegiados y desarrollar un glosario de términos exóticos o "xenismos" que pueden contribuir al "color local" de textos o el "efecto real", dando prioridad a la información proporcionada por los propios escritores. Estamos particularmente interesados en la adaptabilidad y flexibilidad del texto que lo hace más didáctico y, por lo tanto, más comprensible para el lector. Mediante el estudio de las estrategias puestas en práctica por el autor estudiamos la aproximación cognitiva y semántica cuando el texto se adapta al mundo receptor.

Palabras clave: referente; narrativa de viaje; préstamo; xenismo; otredad

Abstract

The study of the lexical content of the corpus "travel narrative" provides an opportunity to define the preferred notional fields and to elaborate a glossary of exotic terms or "xenisms" likely to contribute to the "local color" of texts or to the "effect of reality", favoring the information provided by the writers themselves. We are particularly interested in the adaptability and the flexibility of the text which make it more didactic and therefore more comprehensible to the reader. It is through the study of the strategies put in place by the author that we study the cognitive and semantic approximation when the text adapts to the world receiver.

Key words: referent; travel narrative; borrowing; xenism; alterity

CHOIX DISCURSIF

Dans cet article, notre optique n’est ni lexicographique, ni lexicologique. Ce qui nous intéresse c’est le stade de l’insertion en discours de formes empruntées à des langues étrangères. À ce stade, les formes sont marquées comme hétérogènes par rapport au discours qui les accueille.

Le processus d’emprunt linguistique fonctionne sans transfert culturel, sans que la pratique sociale correspondante soit adoptée dans la communauté réceptrice du texte donc cela crée naturellement un écart soit culturel soit discursive entre l’objet décrit et le référent réel (Guilbert, 1975, p. 89).

Il y a des emprunts que l’on peut qualifier d’après Deroy (1956) comme nécessaires et d’autres comme « de luxe » (p. 134). Il y a donc de la part de l’énonciateur, que ce soit de manière consciente ou inconsciente, sélection de ce type de formes parmi un éventail de différents formats possibles. C’est précisément de là que vient notre intérêt pour comprendre la volonté de l’auteur à rapprocher ce qu’il voyait de ce qu’il décrivait et à quel point la clarté et l’homogénéité textuelles lui importaient.

Quant aux récits de voyage, la plupart des termes empruntés sont a priori indispensables car ces réalités ne sont pas lexicalisées dans la langue du voyageur. Il faut également tenir compte du fait qu’il est possible d’exprimer tout type de contenus dans toute langue, que ce soit par le biais de solutions lexicales, par des périphrases ou des solutions syntactiques. Dès lors, le fait d’opter pour un xénisme dans une situation discursive donnée produit des effets spécifiques. Il construit une représentation particulière des réalités étrangères. La remarque suivante de Mortureux (1997) indique que le fait de considérer l’emprunt comme le meilleur terme relève d’un sentiment subjectif du côté du locuteur. En règle générale, l’énonciateur qui emprunte un mot étranger le fait parce que, à tort ou à raison, « il a le sentiment qu’aucun mot de sa propre langue ne peut désigner le référent dont il veut parler » (p. 106).

DIRE L’AUTRE : STRATEGIES

L'une des stratégies employées pour dire le réel est l'emprunt. L’emprunt a une part d'opacité, de résistance dans le texte qui demande une lecture plus active (cela crée donc une distance entre le lecteur et le référent réel expliqué). Un texte qui regorge d'emprunts, demande une lecture entrecoupée. Les emprunts et les formations autochtones sont le fond essentiel de l’origine de chaque langue. Les contacts entre populations se manifestent dans le vocabulaire, dans le lexique et tout dépend des rapports de force qui s’établissent entre elles. L’emprunt à une autre langue, contemporaine ou ancienne, est l’un des moyens que possède la langue pour enrichir son vocabulaire. Une définition claire de l’emprunt est donnée par le Dictionnaire de Linguistique édité sous la direction de Dubois, Marcellesi, Mével et Giacomo (1994):

Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas. L’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes appelés emprunts. (Dubois et al., 2007, p. 177).

Pour introduire le concept d’emprunt, Pergnier (1989) fait appel à un processus plus complexe et incluant à la fois :

L’interférence (l’influence d’un système linguistique sur l’autre aboutissant à un résultat hybride) est une conséquence fréquente du contact des langues. Elle affirme que l’emprunt est le résultat d’interférences entre deux langues et qu’il n’y a donc emprunt que dans la mesure où deux langues sont en contact à travers un nombre plus ou moins élevé de locuteurs, bilingues à des degrés divers. (p. 23).

Comme les contacts deviennent de plus en plus nombreux, les risques peuvent être plus grands. Nous pouvons facilement identifier les emprunts, parce que leur introduction se fait d’abord comme l’introduction d’un signifiant (c’est-à-dire d’une forme phonique et graphique nouvelle). Ce signifiant se signale majoritairement par une organisation des phonèmes et lettres, inhabituelle et non conforme au système de syllabation du français. Ainsi son caractère « étranger » est évident aux yeux et aux oreilles de l’autochtone. Certains lexicographes distinguent encore parmi les emprunts les « xénismes » (du gr. xenos - étranger), des mots empruntés (en premier stade d’utilisation hors contexte) désignant une réalité « étrangère ». En ce qui concerne les langues grécolatines, il s’agit d’une réalité qui n’a pas de correspondant dans la langue et la culture en question.

La majeure partie des voyageurs français qui ont parcouru la Perse XIXe siècle, attirés par l’orientalisme, étaient à la recherche de l’exotisme. Parmi ces derniers nous avons opté pour les récits de Tancoigne (1819), de Truilhier et Daussy (1841), de Dupré (1819), de Morier (1818), de Gardane (1809) et celui de Drouville (1828) notamment de par leur contiguïté temporelle et leur précision et pertinence dans les détails. Dans leur récit dont une grande partie est consacrée à la Perse et à la Turquie, on remarque que cet exotisme se lit d'abord au niveau du langage. Sous la plume des voyageurs abondent les termes destinés à colorer le texte d'atmosphère orientale, ces fameux « xénismes » ou « pérégrinismes » (Magri-Mourgues, 2005). Sans doute ces termes véhiculent-ils un savoir sur les mœurs, l'histoire, la vie quotidienne. Mais, aux yeux des voyageurs venus d'Europe, ils installent distance et différence. Tournures idiomatiques, ce sont des marqueurs idéologiques participant de la subversion idéologique, ils émettent donc l’hypothèse des réalités qui sont typiquement autres et par conséquent réellement intraduisibles dans les langues d’emprunt. Glissant (1996) l’expose en termes d’obligation :

On est obligé de tenir compte des imaginaires des langues (...). Quand on voit un paysage autre, (...), il y a une part de leur langue qui, à travers le paysage que l'on voit, nous frappe et nous interpelle, même si on n'en a jamais entendu un mot (...). On ne peut plus écrire son paysage ni décrire sa propre langue de manière monolingue. (p. 112).

En effet, au sein du processus global d’emprunt, les termes empruntés peuvent connaître des degrés différents d’intégration à la langue d’accueil. On distingue habituellement trois stades3. Le degré le plus faible d’intégration est représenté par le xénisme (Guilbert, 1975), mot emprunté qui ne s’emploie qu’en référence à une culture étrangère, pour désigner des classes référentielles qui n’existent que dans l’environnement naturel ou social des locuteurs de la langue prêteuse. Le xénisme demeure étranger au lexique de la langue d’accueil, et il est en quelque sorte cité (Deroy, 1956). De fait, on observe qu’employé dans le discours, le xénisme constitue une sorte de mention de la langue d’origine, ce qui se marque formellement par la présence d’italiques, de guillemets ou de gloses reformulant son sens.

Le pérégrinisme renvoie à un stade supérieur d’intégration. Bien qu’il désigne des éléments qui demeurent étrangers à la société d’accueil, son sens est supposé connu et partagé par les locuteurs de la langue emprunteuse. Il est suffisamment intégré pour pouvoir être employé sans explication particulière. Prenons par exemple le cas de « gendarmerie » ou de « lustre » en persan. Leur intégration partielle est attestée par son possible enregistrement dans les dictionnaires courants de la langue d’accueil. Quant à l’emprunt au sens strict, il renvoie dans cette terminologie à une intégration aboutie du terme au sein de la langue d’accueil.

Ces trois catégories sont traitées par les énonciateurs comme des éléments hétérogènes au discours dans lequel ils viennent s’intégrer. Ajoutons dès à présent que la tripartition entre emprunt, pérégrinisme et xénisme est délicate à manier. En effet, les frontières entre ces trois statuts ne sont pas aisées à délimiter, comme le remarquent notamment Leroy (2006) et Steuckardt (2008). Un mot aboutissant à une intégration dans une langue passe généralement par ces trois stades. Nous nous sommes donc demandés quels sont les divers procédés mis en œuvre par l’énonciateur-voyageur pour référer aux réalités exotiques qu’il décrit dans son texte. Dans notre étude, le xénisme sera mis en perspective avec d’autres procédés de référence, et nous comparerons les modes de réalisation et les effets des uns et des autres.

LES STRATEGIES D'ADAPTATION DU TEXTE AU DESTINATAIRE

Plutôt que de mettre l'accent sur les caractéristiques particulières des référents non répertoriés, le rédacteur préfère, dans certains cas, ramener ces référents à ce qui est connu des lecteurs français. Il efface la spécificité pour privilégier l'analogie. Il choisira ainsi de faire entrer ces référents dans des catégories disponibles en français. Se pose dès lors à lui la question de l'adaptation de la catégorie : s'il reprend un item lexical préexistant, celui-ci peut-il servir d’appellation aux référents nouveaux, ou un réajustement est-il nécessaire? Trois types de choix stratégiques paraissent intéressants : la spécification synthétique, la spécification analytique et la spécification définitoire. Tout d’abord il convient d’aborder la question de la glose explicative qui est en jeu à chaque fois que l’on évoque la question du traitement des xénismes, puis de nous intéresser à la catégorie tripartite des spécifications pour pouvoir enfin parler de la hiérarchie et du rapprochement sémantique des référents exotiques et de leur traitement

Les gloses et leurs flexions

La glose est entendue, à la suite de Steuckardt et Niklas-Salminen (2003) et Steuckardt (2006) 4 comme :

Un segment linguistique incident à un mot, accomplissant un acte illocutoire d’explication et instaurant une relation d’équivalence entre le mot glosé et le segment servant de glose. La « glose » se distingue ainsi de la « paraphrase » (Fuchs, 1982) par son incidence, dans la mesure où la paraphrase est incidente non à un mot, mais à une proposition (elle instaure une relation d’équivalence entre deux énoncés). La mise en œuvre d’un acte illocutoire d’explication fait d’autre part de la glose un cas particulier de reformulation. (Steudckardt et Niklas-Salminen, 2003, p. 12).

La glose du mot consiste pour le locuteur à « apporter un éclairage sur le sens qu’il donne à un mot » (Steuckardt et Niklas-Salminen, 2003, p. 9). Ces gloses donnent ainsi à voir la « sémantique spontanée » (Julia, 2001) des locuteurs. Julia (2001), à travers l’étude des gloses de spécification du sens, vise à donner accès à l’univers lexical subjectif du sujet glossateur. L’étude des gloses relève donc de la sémantique lexicale tandis que notre objectif est plus discursif.

En outre, là où les études réunies par Steuckardt et Honoré (2006) mettent principalement l’accent sur les positions des locuteurs par rapport aux langues prêteuses qui apparaissent dans les commentaires métalinguistiques, nous considérons que les gloses d’emprunts du corpus indexent non pas seulement un rapport à la langue prêteuse, mais aussi et surtout des représentations vis-à-vis des sujets et de la société correspondante. Nous observons que les gloses d’emprunts du corpus rendent davantage compte des représentations des observateurs-emprunteurs que de celles qui sont enregistrées dans le lexique, dans la langue prêteuse. La glose d’emprunt constitue ainsi une bonne entrée dans le discours des voyageurs et les positionnements au sein de la relation d’altérité. Elle permet de repérer, dans nombre de ses emplois, l’émergence de l’idéologie dans le discours.

Elle apparaît sous diverses formes dont les plus récurrentes sont ; l’apposition « X (emprunt), Y (glose) », les parenthèses « X (Y) », « X ou Y », « X c’est-à-dire Y », la glose taxinomique floue, les notes de bas de page, les passages descriptifs et explicatifs adjoints (s’approchant à la digression). Nous nous abstiendrons d’évoquer ici ces formes dont nous aurons à nous occuper quand il s’agira de nous pencher sur les trois stratégies susmentionnées.

Trois types de spécification

Les formes désignatives contingentes : La spécification synthétique

Les modes de nomination majoritairement choisis par les énonciateurs, ceux qui consistent en des formes désignatives contingentes, ne permettent pas de construire une représentation stabilisée des univers étrangers décrits. Si les formes désignatives contingentes permettent de discriminer une catégorie nouvelle, elles ne possèdent pas les propriétés formelles (format synthétique) et sémantiques (unicité, sens préconstruit, présupposition d’existence) qui leur permettraient de fonctionner comme nom fixe de catégorie, faisant l’objet d'une association référentielle durable, qui ne nécessiterait pas de justifier à chaque occurrence discursive le lien qui est établi entre la forme nominale et le type d’objets extralinguistiques :

Il commença par demander cinq millions de piastres (7,500,000 fr. 1). Les Kurdes trouvèrent la somme si exorbitante, qu’ils menacèrent de passer tous au service du Chah de Perse (...). Ils offrirent 500,000 piastres. Le begler-beg, entièrement occupé par ses projets de guerre, résolut d’entrer en négociation avec eux. Il leur envoya l’un de ses principaux officiers, son sélihdar aga2.

1. La piastre turque valait alors 1 franc 50 centimes. Elle n’a cours maintenant que pour 70 centimes.

2. Porte-épée. (Jaubert, 1821, p. 72).

On se borna à exiger de Youssuf le payement de deux millions de piastres3, et à le tenir quelque temps éloigné des affaires.

3. Trois millions de francs. (Jaubert, 1821, p. 96).

Dans les extraits ci-dessus, la forme proposée face à cette instabilité dénominative a un fonctionnement informatif et changeant et ne permet que difficilement la stabilité sémantique. Les représentations faites à l’aide de ces formes désignatives sont brouillées et ne contribuent pas à former une représentation concrète et précise du référent.

La cohésion textuelle : La spécification analytique

Pour rendre le texte cohésif et homogène au niveau sémantique, la spécification analytique est un moyen qui ramène le référent réel vers une explication analytique claire en présentant ses éléments constitutifs, ses fonctionnements, etc. Dans la mesure où les syntagmes nominaux complexes se fondent sur un procédé périphrastique, ils ne sont pas aptes à fonctionner comme dénomination d'une classe référentielle. En effet, ce procédé ne permet pas de combler la lacune lexicale, il se contente de la contourner en proposant une appellation contingente. Les syntagmes nominaux apparaissent majoritairement en forme de glose car leur apparition parenthétique peut nuire à l’homogénéité textuelle et perturber la linéarité du récit. Ils peuvent accomplir la fonction d’explication d’un mot, de ses racines, l’usage d’une tenue ou d’un instrument, la fonction topographique, explicative, étymologique ou intertextuelle :

Husseïn-Khan me dit que la conjonction de deux astres favorables devant avoir lieu sous peu de temps, Imam-Aly, officier porteur de présens pour Abbas-Mirza1, n’attendait plus pour se rendre au camp.

1. Le mot mirza, avant un nom propre, signifie homme de plume, et mis après il équivaut à chah-zadeh, fils de roi. (Jaubert, 1821, p. 151).

Là, était une nombreuse affluence de monde ; c’était le dernier jour du Ramazan1. Chacun venait, suivant l’usage, faire des prières sur la tombe de ses parents ou de ses amis.

1. Le Ramazan est le temps du jeûne des Musulmans ; il dure trente jours. (Dupré, 1819, p. 258).

A cette maison était attaché un jardin où se trouvaient des pommiers, des poiriers, des groseillers, des noyers, des jujubiers1, et en outre des rosiers.

1. Le jujubier se nomme en Perse sendjed. Il y en a plusieurs espèces. Le jujubier rouge du Khorassân est regardé comme un excellent remède contre la dysenterie. (Morier, 1818, p. 46).

Dans les exemples précédents on remarque la spécification analytique portant sur une explication étymologique des mots « Abbas-Mirza », « Englioun », « ramazan », « farsakh » et « jujubiers ». Ce type de spécification a tendance à construiredes périphrases explicatives glosées tandis que dans les exemples suivants la périphrase explicative est insérée directement au cœur du texte et fait partie de la structure sémantique du contexte, ce qui va à l’encontre de la cohésion textuelle et de l’homogénéité du texte :

Newrouz signifie en persan, le nouveau jour. C’est le premier de Ferwerdinn, premier mois de l’année solaire, qui commence chez le peuple le 21 mars, à l’équinoxe du printemps. (Tancoigne, 1819, p. 32).

Les maisons sont composées de plusieurs chambres et d’une grande salle au centre, qu’on nomme Divan. C’est là que tous les matins, les personnes de qualité reçoivent leur clientèle. Cette pièce étant toujours située entre une cour et un jardin. (Tancoigne, 1819, p. 95).

Les caravanserais sont de vases bâtiments carrés, renfermant une grande quantité de boutiques, où les commerçans étrangers viennent déposer leurs marchandises (…). Ils sont situés dans l’enceinte des bazars, desquels ils font partie, et sont d’un grand rapport, car il y en a qui rendent annuellement trois milles tomans1. 1. Un toman vaut vingt livres tiurnois. (Drouville, 1828, pp. 99-100).

Pour pouvoir acquérir le statut de nom stable d'une classe référentielle, la forme doit entrer dans un moule dénominatif bref, ce qui est impossible dans ce genre de spécification. Leur statut dénominatif est d'ailleurs entériné par l'utilisation du prédicat métalinguistique de dénomination à savoir « on appelle X », « appelé X » ou de désignation « X est + prédicat » (« X signifie (désigne) + prédicat », « X, participe passé ou nom ») (Kleiber, 1984, p. 80) et toutes leurs déclinaisons.

Ce genre de spécification du référent exotique, se signale comme inapte à servir de nom codé au type d'objets évoqué, tant du fait de sa longueur que de son fonctionnement référentiel. Plus la forme appellative spécifie de traits sémantiques, plus elle présente une forme de contingence qui empêche de concevoir le référent comme le représentant d'une classe d'objets possédant des propriétés définitoires communes.

La spécification définitoire : Un procédé de catégorisation

Dans l’espoir de faciliter la compréhension de la description du référent réel, l’auteur cherche à le caser dans des catégories disponibles et déjà existantes. Rapprocher le référent réel d’une catégorie préexistante nécessite que cette catégorie soit spécifiée en langue source. Selon cette spécification le rapport du référent avec la catégorie choisie peut également être « définitoire» (Guérin, 2002). Dans ce cas, l’auteur crée une sous-catégorie dans la catégorie plus vaste connue du destinataire. Cela forme alors un seul item lexical, ce que Kleiber appelle « une dénomination complexe motivée» (Kleiber et Riegel 1978, p. 95). « Le locuteur propose une lexie complexe fondée sur une motivation référentielle : il discrimine une sous-catégorie nouvelle à l'intérieur d'une catégorie plus vaste [équivalente ou plus précise (rétrécie)] qui est censée être connue du destinataire » (Guérin, 2002, p. 10). C’est une façon économique et pertinente de permettre au lecteur de classer et de saisir ce à quoi l’auteur fait référence. Cela ressemble en quelques sorte à une forme de comparaison implicite (ou dénuée d’outils comparatifs) qui crée un semblant d’équivalence entre deux éléments ayant (presque) la même valeur parallèlement dans deux communautés linguistico-culturelles distinctes :

On avait eu soin de faire publier sur le chemin un couïrouc (ordonnance) qui enjoignait à tout musulman et à tout ghiaour ou infidèle de se tenir éloigné du lieu de leur passage, d’un demi-parasange au moins. Deux jours après, les marchands, les ouvriers, les artisans et les autres personnes inscrites chez le darogha (le lieutenant de police) comme devant se rendre au camp pour y exercer leur profession, partirent en caravane. (Jaubert, 1821, p. 334).

Kermân-Chàh n’a rien de remarquable. Les bésesteins ou marchés ne sont ni vastes ni élégans. Il y a peu de caravansérails et peu de mosquées. Ces édifices sont d’une architecture commune. (...) Presque toutes les maisons sont construites en terre : celles des riches sont à un seul étage, celles des pauvres n’ont que le rez-de-chaussée. (Dupré, 1819, p. 237).

Les soufies mottacks, esprits forts, bien plus hardis, ne voient, dans le Coran, qu’une belle composition politique et un bon traité de morale, et ne s’embarrassent pas autrement des préceptes que ce livre renferme. En dépit des Khosh damags, ou cervelles sèches, comme on appelle en Perse les docteurs de la vieille loi, les soufies font des progrès et gagnent beaucoup d’adhérents. (Prieur de Sombreuil, 1844, p. 24).

Nous remarquons que la forme prééminente de ce type de procédé dont le but immédiat est l’adaptation au destinataire et l’économie linguistique, est la formulation parenthétique et celle accompagnée d’un « ou » de reformulation. Nous avons relevé donc dans le premier cas les occurrences comme « un couïrouc (ordonnance) », « le darogha (le lieutenant de police) » et dans le deuxième cas « les bésestans ou marchés », « Khosh damags, ou cervelles sèches» ou même des cas ou une seule virgule fait office de parenthèses comme dans « mottacks, esprits forts ». Donc la brièveté et la clarté (sans pour autant promettre d’être opérationnel) sont deux caractéristiques que l’on remarque au premier regard et qui tentent de faciliter la tâche du lecteur en assimilant le plus rapidement et le plus économiquement possible le référent réel et décrit. L’un des procédés de spécification définitoire que nous avons repéré dans le contexte du récit de voyage, est la catégorisation à l’aide de l’hyperonymie, la relation sémantique hiérarchique d’une unité lexicale dont nous nous proposons d’analyser le traitement dans la partie suivante.

La hiérarchie catégorielle et le rapprochement sémantique

On remarque partout dans le texte viatique qui est prioritairement un texte factuel et informatif, l’effort fait par l’auteur de clarifier et de rapprocher le référent décrit de celui perçu par le destinataire. Cependant l’explication définitoire apporté entre les parenthèses en guise de synonymie, n’en est pas une. Etant donné la perception limité de l’auteur du monde étranger dans lequel il se retrouve, non seulement les données qu’il apporte sont limitées et mais elles ne correspondent pas tout à fait aux valeurs et aux éléments culturels et coutumiers de la Perse (en l’occurrence). Voilà pourquoi, à son insu ou volontairement, l’auteur se fait aider par la synonymie qui, faute de précision, se retire au profit des hyperonymes; relation sémantique hiérarchique d’une unité lexicale à une autre selon laquelle l’extension du premier terme (hyperonyme) « englobe l’extension du second (hyponyme) » (Theissen, 1997, p. 61), des hyponymies ; « rapport d’inclusion appliqué non à l’objet référé mais aux signifiés des unités lexicales concernées » (Kannas, 1994, p. 236) et des analogies ; « ressemblances de toute nature entre les éléments d’une langue » (Charaudeau et Maingueneau, 2002) :

Les ulemas avaient rendu fetva (décision) conforme aux désirs du pacha, et Roustam, le plus sanguinaire de ses agens, était venu demander nos têtes. Mais le respectable Mahmoud aga avait refusé courageusement d’obéir. (Jaubert, 1821, p. 62).

De plus, le begler-beg m’avait fait donner par le serraf (banquier) arménien, qui le suivait partout, des lettres de crédit, tant à l’adresse de négocians de Tauris et de Casbïn, qu’à celle de Stephano Karabet, serraf de Feïz-Ullah. (Jaubert, 1821, p. 130).

A l’est de Tehêran, ruines de Rey, ancienne Rhagès, et patrie d’Haroun-el-rachid. (…) A l’entrée de la nuit on rencontre des chak-alls, (chiens sauvages) qui errent dans les rues, leur attaque et leurs morsures sont dangereuses. (Gardane, 1809, p. 72).

Dans les trois cas précédents « Fetva », « serraf », et « chak-alls » sont considérés comme des hyponymes des termes « la décision », « le banquier » et des « chiens sauvages » car tout en possédant les mêmes traits sémantiques communs, ils en possèdent d’autres (qui leur appartiennent en propre, culturellement, donc, de manière discriminatoire) inclus dans leur hyperonyme sans que pour autant l’auteur connaisse ou puisse expliquer en quoi consistent exactement ces traits discriminatoires. Prenons le cas de « fetva », « sentence prononcée par un mufti sur un point de doctrine ou une question de droit difficile à résoudre »5, il signifie difficilement « décision » mais ce qui est sûr, c’est que le mot porte en lui l’action de « décider ». Privilégiant la clarification référentielle de son discours, l’auteur voyageur décide donc de rendre le texte plus compréhensif, plus homogène et cohésif quitte à recourir à des vocables plus généralisants. Le référent particulier évoqué dans cet extrait est présenté comme relevant d'une véritable classe (ce qu'atteste le passage du spécifique au générique dans la deuxième phrase), ayant des traits définitoires précis il correspond donc à une catégorie conceptuelle. Cependant, le locuteur ne fournit pas la catégorie lexicale correspondant à cette catégorie conceptuelle. La catégorisation de l'occurrence particulière se fait donc à un niveau supérieur, ce qui entraîne une déperdition d'information. Une telle appellation ne permet pas au destinataire de construire une représentation précise du référent, ce qui contraint le locuteur à recourir à une description qui facilite cette représentation. L'hyperonyme employé paraît dès lors inapte à pallier la lacune lexicale de départ, et ne fonctionne que comme désignation. Il ne peut opérer la référence à une occurrence de la classe qui n’ est précisément visée ici qu'en présence de spécifications contextuelles.

Les cas de référents auxquels ne correspond aucun nom codé incitent donc à revoir la problématique de la nomination dans une perspective discursive. Au vu des différents types appellatifs proposés dans les récits de voyage, il semble justifié de maintenir l'opposition entre dénomination et désignation, dans la mesure où elle rend compte d'une différence effective de fonctionnement. Cependant, cette différence ne relève pas ici du code, mais de la réalisation discursive du phénomène dénominatif : le locuteur recourt à des formes qui ne sont pas codées en langue, et qui présentent pourtant les propriétés morphologiques et sémantiques nécessaires à la relation de dénomination. Ces formes, une fois intégrées au discours, y apparaissent de plus comme en cours de sémiotisation.

Dans d’autres cas, c’est l’hyponymie qui sert de solution en sachant que les traits discriminatoires de la spécification définitoire ne sont pertinents qu’au même moment et au même endroit par le biais d’inférence ; « rapport de vérité s’instaurant entre différentes propositions ou idées (…) pour désigner l’opération de déduction qui consiste à tenir pour vraie une proposition en raison de son lien avec d’autres propositions (ou idées) déjà tenues pour vraies » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 309) :

Hussein-Kouli-Khan s’était révolté plusieurs fois contre le Roi qui lui avait pardonné du vivant de leur mère. Ce qui fait croire qu’elle les réconciliait, c’est que le jour même de la mort de cette Princesse, le Roi envoya un ferach (garde du palais), pour arracher les yeux à son frère (...). Quand on eut annoncé à ce malheureux Prince son supplice : Ah ! ma mère, s’écria-t-il, et se tournant vers le ferach : Exécutez vos ordres. (Gardane, 1809, p. 71).

Durant notre emprisonnement elle [la peste] s’y déclara avec violence, et son apparition fut considérée comme un signe évident de la colère céleste ; selon toute apparence elle y avait été apportée par une caravane de marchands du Djéziréh (la Mésapotamie), qui allaient vendre à Tiflis du blé, des dattes et d’autres productions de cette partie de l’Asie. (Jaubert, 1821, p. 58).

« Garde du palais » et « Mésopotamie » certes, possèdent des traits définitoires des équivalents référentiels utilisés en langue source « ferach » et « Djézireh ». Malgré cela, ces deux derniers, ne se limitent pas à leur définition entre parenthèses, et si c’est le cas, c’est parce qu’il se trouve dans cette situations et dans ce moment particulier, d’où l’usage homonymique du « garde du palais » et de la « Mésopotamie ». Leur valence sémantique va au-delà de leur équivalent en usage dans le récit de voyage. Le « ferach » veut dire de manière générale « responsable » et « djézireh » est perçu en perse comme « île ». Cependant, il existe des cas, pas sémantiquement très complexe d’ailleurs, où la spécification définitoire correspond à celle que l’on retrouve dans le texte, notamment assimilable au procédé de l’analogie : rapport de ressemblance, d'identité partielle entre des réalités différentes préalablement soumises à comparaison. Contrairement aux cas antérieurs, la polyvalence catégorielle n’est pas suffisamment importante pour empêcher l’auteur de trouver le bon équivalent pour le référent réel transcrit en langue source.

Cela s’illustre par exemple quand l’auteur retrouve par le biais de l’analogie, l’équivalent du mot « zabit » qui veut dire « fermier » ou celui du « vakil » qui voulait dire à l’époque « régent ». Il faudrait néanmoins, tenir compte du facteur temps et du dialecte qui font qu’une même lexie change de contenu et de signification au cours des époques et selon la région. « Valik » au XIXe siècle iranien, avait le seul sens de « régent » mais de nos jours cette valeur significative n’est plus en vigueur et on l’entend comme étant l’équivalent du mot « avocat » :

L’eau est bonne. La route de cette journée n’a presque aucune difficulté. Le groupe de villages est sous l’autorité d’un Zabit (fermier). (Truilhier et Daussy, 1841, p. 38).

Kérim-Khan (...) fit tête à l’orage pendant trente ans qu’il occupa le trône de Perse, sous le nom modeste de Vakil (régent), et chercha à cicatriser (...) les plaies profondes qui avaient désolé ce malheureux empire. (Drouville, 1828, pp. 23-24).

Il rencontre également des cas où les mêmes liens que nous venons d’évoquer, autrement dit le référent en langue source + hyperonyme, hyponyme, vocable analogue en langue source, où le référent exotique est antéposé et la spécification définitoire postposée, se déplacent. Dans ce cas, nous avons le mot équivalent en langue cible antéposé en usage et celui en langue source postposé en mention. Cela, certes, homogénéise la texture du contexte et la cohésion textuelle facilite la lecture car le destinataire sait déjà à quoi il s’attend. Ce procédé dénaturalise le texte car le référent réel postposé en mention est décalé du texte d’autant plus que l’équivalent fourni n’arrive presque jamais à remplacer le mot qu’il représente et donc est incapable de prendre tout à fait sa place :

Le plus puissant est Mohammed-Aly-Mirza, qui fait tous ses efforts pour le rendre [le prince] odieux, aussi bien que sa discipline (nezam), aux Persans. (Morier, 1818, p. 11).

D’abord, à la pointe du jour, les muezzins du sommet des minarets appellent, sur des tons de voix variés à l’infini, le peuple à la prière ; à ces cris se joint le son rauque du cornet à bouquin, fait d’une corne de vache, au moyen desquels les portiers des bains (hammáms) avertissent les femmes qui veulent aller au bain avant l’heure fixée pour les hommes. (Morier, 1818, pp. 48-49).

Nous avons appelé le dernier procédé « l’analogie interculturelle » ou le « parallélisme culturel non-intégré ». Une analogie est une ressemblance fonctionnelle des traits sémiques des entités lexicales ou sémantiques. Les formes à enclosure fonctionnent sur le régime de l’analogie. En effet, elles procèdent à une catégorisation du référent exotique par similitude globale avec un type d’objets qui a cours dans la société du voyageur, et qui est supposé être connu du lecteur. Ceci apparaît tout particulièrement lorsque la catégorie convoquée par le nom renvoie à des représentations très nettement culturalisées, caractéristiques de la société d’origine du voyageur, comme c’est le cas dans l’exemple suivant :

A peine eûmes-nous fini de souper, qu’on nous apporta de l’eau pour nous laver les mains. Des domestiques présentèrent le narguilè1 aux convives pour fumer. 1. Pipe persanne. (Dupré, 1819, p. 272).

Adem et Hawa1 de leur côté croient voir dans le spectacle de tes combats, l’extinction de leur postérité, et frappés de consternation, ils font retenir l’Univers de leurs gémissements. (…) Aucun Héros de l’antiquité n’eut en partage ta valeur et ton intrépidité.... Rustem,2 lui-même, te rend les armes. 1. Adam et Eve 2. C’est l’Hercule persan. (Gardane, 1809, pp. 65-66).

C’est alors qu’on voit les Saadis et les Selmans1 déposer à tes pieds leurs lyres, et se pâmer de plaisir en entendant réciter tes vers. 1. Poètes fameux d’Iram. (Gardane, 1809, p. 61).

Sur l’invitation que je reçus, je passai la soirée chez le Kalenter ou premier magistrat du lieu. (Jaubert, 1821, p. 154).

Le pays habité par des Kurdes s’étend donc en longueur, ou du nord au midi, depuis le mont Ararat jusqu’au point où la chaîne des monts Harmerin se joint à l’Aïagha ou Djebel-Tak (le Zagros des anciens), et en largeur, ou de l’est à l’ouest, depuis les montagnes qui séparent les deux lacs de Van et d’Ormiah, jusqu’à Hesn-Keifa, ville située sur le Tigre. (…) Nous divisons ce pays en septentrional et en méridional par une autre ligne qui commence aux monts Nimrod (le Niphates des anciens), suit les montagnes des Hékiars situées au sud de Van, et finit au point où ces montagnes, se dirigeant vers le nord, forment la séparation des deux lacs. (Jaubert, 1821, pp. 75-77).

L’analogie mise en œuvre par ces formes de nomination se fonde sur des traits perceptuels tels que la conception culturelle de la personne ou de la chose, la forme globale de l’objet à décrire, sur une gestalt (ensemble structuré), sur la matière ou la couleur. Il s’agit bien d’une analogie globale, dans la mesure où dans la plupart des cas, les traits descriptifs qui distinguent le référent visé de la catégorie générale dans laquelle il est classé ne sont pas explicités. Ce qui est privilégié ici, ce n’est pas en priorité la mention des traits spécifiques mais la procédure qui permet de ramener l’inconnu au connu. De telles formes prennent en compte, par inférence, des savoirs antérieurs chez le lecteur, ses connaissances pratiques, pour l’aider à se représenter les objets exotiques. Ces formes présentent donc sur l’emprunt l’avantage de permettre au lecteur de se bâtir aisément une représentation globale des référents exotiques.

Prenons le cas de la « pipe persane » qui est apportée comme un équivalent au mot « narghuilè », celui du « pantalon » comme un « zir-djamé », « de la même forme que de nos matelots » ou de l’« alkalouk », étant « une espèce de tunique d’indienne » dans les deux cas, les sèmes des deux objets se rapprochent mais pas assez pour suffire à la reconnaissance de l’objet exotique dont on parle. Grâce à sa mémoire collective et à ses préconstruits interculturels, l’auteur tente donc d’apparenter le référent réel à celui qu’il devine pouvoir être le meilleur représentant de ce dernier. Une tentative efficace mais qui reste majoritairement floue, amphibologique et parfois trompeuse car elle ne correspond jamais au référent intermédiaire que l’auteur a construit pour évoquer l’équivalent de ce dont il témoigne. La « pipe persane » loin d’exister, a dû être très différente de l’objet que l’on nomme aujourd’hui « narghilè », et qui n’a rien en commun avec une pipe à part être un ustensile servant à fumer. Le « zir-djaméh » certes est utilisé comme un pantalon mais son usage diffère de celui du pantalon de « nos matelots ». Donc parmi les sèmes, l’auteur a pris soin de choisir ceux qui rapprochent le référent réel du monde du récepteur en ajoutant un qualificatif temporel, celui de la nationalité ou des cas apparenté. D’autres cas tels que « Rustam », glosé comme « Hercule des Persans », « Saadi et des Selmans » étant des « Poètes fameux de Perse comme nos plus grands poètes », « Adem et Hawa » à la place d’« Adam et Eve », « Kalenter » comme « premier magistrat du lieu » ou « Djebel-Tak » comme « le Zagros des anciens » correspondent plus à leur équivalent analogique tout en sachant que ce dernier appartient à une culture ou à une époque autre que celles desquelles l’auteur essaie de les rapprocher par inférence sémique.

CONCLUSION

Dans cet article, nous avons vu comment l’auteur voyageur tente d’apporter des équivalents ou de concrétiser le référent réel (pour son lecteur potentiel) dans les limites du possible. Cependant, nous nous sommes rendu compte au fur et à mesure de nos lectures, de la rareté des moyens (efficaces) auxquels il peut recourir. Cela s’explique par le fait que la majeure partie des formulations utilisées se heurtent à des obstacles contextuels et historico-culturels parfois difficilement surmontables. Les occurrences relevées nous ont livré une panoplie de structures que l’on a pu catégoriser selon qu’elles mettent en relief les éléments idiosyncrasiques fictifs ou réels, subjectifs ou objectifs, personnels ou collectifs, ceux liés à la culture source ou à la culture cible dont nous venons d’effectuer, hic et nunc, l’analyse détaillée. Nous sommes arrivées à cette conclusion que la représentation de l’Autre passe avant tout par une aura qui est qualifiée en l’occurrence de doxa représentationnelle mais aussi à travers une série de structures sémantico-syntactiques que l’on a analysé dans ce travail.

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1Profesora Asistente en la Universidad de Alzahra. Doctora en ciencias del lenguaje (Universidad de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Doctora en Literatura Comparada (Universidad de Teherán). Postdoctorado en lingüística y análisis del habla (Universidad de Paul Valéry de Montpellier). Intereses de investigación: lingüística cognitiva, análisis del discurso, semántica referencial y léxica, otredad, estudios culturales y poscolonialismo

2Profesor asociado en la Universidad de Teherán. Doctor en literatura francesa contemporánea (Universidad de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Áreas de investigación: Estilística, lingüística general, literatura francesa contemporánea y contemporánea extrema, literatura sociocrítica, estudios culturales y poscoloniales, paraliteratura y ciencia ficción.

3Ces distinctions sont reprises à la suite de Deroy (1956) et Guilbert (1975) par de nombreux auteurs, dont Dubois et al. (1994), Rey-Debove (1998), Siblot (2001), Steuckardt et Honoré (2006), Leroy (2006), Steuckardt (2008).

4Elle poursuit elle-même et réoriente les propositions d’Authier-Revuz (1987).

5Définitions lexicographiques et étymologiques de « fetfa » du Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté le 20 août 2015.

Received: January 23, 2018; Accepted: May 21, 2019

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