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Lenguaje

Print version ISSN 0120-3479On-line version ISSN 2539-3804

Leng. vol.51 no.2 Cali July/Dec. 2023  Epub July 31, 2023

https://doi.org/10.25100/lenguaje.v51i2.12685 

Artículo

L´altérité en soi-même: pour une didactique relationnelle et interculturelle du français langue étrangère

La alteridad en sí mismo: hacia una didáctica relacional e intercultural del Francés como Lengua Extranjera

Onself in Alterity: Towards intercultural and relational didactics in French as a Foreign Language

Carolina Villada Castro.1  1
http://orcid.org/0000-0002-2302-6460

1 Universidad de Antioquia. Rionegro, Colombia. Correo electrónico: carolina.villadacastro@gmail.com


Résumé

Cet article de synthèse met en lumière la pertinence d’une didactique relationnelle dans le processus d’enseignement-apprentissage du français langue étrangère (FLE) pour sensibiliser les apprenants à la découverte de l’altérité en eux-mêmes et du caractère interculturel de leur propre culture. En tenant compte d’une analyse des concepts d’interculturalité, de didactique relationnelle et d’altérité, nous problématisons des notions telles que l’ethnocentrisme, le monolinguisme et le mononormativisme. Cela nous permettra de re-signifier la langue comme une expérience de l’altérité en soi et le processus d’enseignement-apprentissage comme la mise en place d’une relation avec autrui. La méthodologie que nous avons suivie consiste en une revue documentaire enrichie à partir de mes réflexions en tant qu’enseignante. Finalement, nous proposons des outils conceptuels et didactiques pour élaborer des séquences pédagogiques qui invitent les apprenants à la découverte de l’altérité et de l’interculturalité.

Mots-clés: didactique des langues; relations interculturelles; altérité; éthique

Resumen

Este artículo de revisión muestra la pertinencia de una didáctica relacional en el proceso de enseñanza-aprendizaje del Francés como Lengua Extranjera para sensibilizar a los estudiantes al descubrimiento de la alteridad en ellos mismos y del carácter intercultural de su cultura. Después de realizar un análisis de los conceptos de interculturalidad, didáctica relacional y alteridad, problematizamos las nociones de etnocentrismo, monolingüismo y mononormativismo. Esto nos permitirá realizar la resignificación de la lengua como una experiencia de la alteridad en sí mismo y del proceso de enseñanza-aprendizaje como práctica de una relación con los otros. Para esto, la metodología considerada consiste en una revisión documental ampliada a partir de mis reflexiones como docente. Finalmente, proponemos herramientas conceptuales y didácticas para concebir secuencias pedagógicas que inviten a los estudiantes al descubrimiento de la alteridad y de la interculturalidad.

Palabras clave: didáctica de lenguas; relaciones interculturales; alteridad; ética

Abstract

This paper reflects on the relevance of relational didactics in the teaching-learning process of French as a Foreign Language, so as to raise students’ awareness of alterity in themselves and of the intercultural nature of their own culture. A twofold method is proposed. First and foremost, an analytical stage that involves two moments: drawing upon the concepts of interculturalism, relational didactics and alterity, we set out to problematize ideas of ethnocentrism, monolingualism, and mononormativity. This conceptual analysis will allow for the resignification of language as an alterity experience and the teaching-learning process as a relational practice with others. A second stage of the methodology involves an extended documentary revision of a corpus of thinking based on our own teaching experience. As a result, this process will produce conceptual and pedagogical tools such as didactic sequences, inviting students to the discovery of alterity and interculturalism.

Keywords: language didactics; intercultural relations; alterity; ethics

INTRODUCTION

La notion d’interculturalité est apparue dans l’histoire de la didactique du FLE en France au début des années 1970, comme une conséquence de la massification scolaire et de la scolarisation des enfants de migrants. Mais l’école multiculturelle, issue des secteurs progressistes, n’a pas répondu aux défis du multiculturalisme, en raison notamment de l’atomisation des élèves ne pouvant dépasser leurs différences culturelles et des enseignants impuissants à les guider dans cette voie. À cet égard, Chaves, Favier et Pélissier observent qu’« à la différence du multiculturalisme qui implique l’existence d’une simple mosaïque de cultures coexistantes dépourvue de rencontres et de partage pluriculturel, l’interculturel est une dynamique et un processus d’acceptation et de compréhension des identités culturelles » (Chaves et al., 2012, p. 13).

Dépendant de la volonté tant des apprenants que des enseignants, l’interculturalité exige donc un échange, une relation ou une interaction, rapports qui ne vont pas de soi, d’autant plus que ces rapprochements impliquent un processus de résolution des conflits. De plus, pour Dervin (2017), il est important d’éviter de fausses rencontres, « où le soi et l’Autre demeurent des entités solides, fermées, programmées par des cultures » (Dervin, 2017, p. 85). Pour cet auteur, il est au contraire essentiel que l’interculturalité soit assumée comme une mise en question permanente, liée aux discours et aux contextes. Dans le même ordre d’idée, Blanchet et Coste (2010) remettent en cause le concept même d’interculturalité considéré comme réifiant et parlent plutôt de relations interculturelles fondées sur l’existence de personnes altéritaires produisant des relations d’alterculturation, où il existe non seulement des tensions, mais aussi la possibilité de co-construction de sens, des négociations, voire des transvalorations entre les participants, à condition qu’ils réussissent à se décentrer et à devenir d’autres. C’est la raison pour laquelle une didactique interculturelle met en jeu une didactique de la décentration (Cuq, 2003) et comporte un défi éthique, celui de découvrir l’altérité et la dignité des uns et des autres : « c’est l’autre en tant qu’autre, c’est-à-dire, comme moi, un sujet (responsable et absolument singulier, incomparable) ; il est à la fois différent de moi et identique à moi en dignité » (Cuq, 2003, p. 17). Par ailleurs, le discours de l’UNESCO affirme que l’interculturel est :

Ce qui se produit lorsque des personnes appartenant à deux ou plusieurs groupes culturels différents (quelle qu’en soit la taille et à quelque niveau que ce soit) interagissent ou s’influencent les unes les autres, soit directement en personne, soit indirectement sous d’autres formes. (UNESCO, 2013, p. 12)

Dans l´intention d´enseigner, de mettre en place, de promouvoir et d’encourager la compétence interculturelle, selon l´UNESCO (2013), il faut donc co-construire les connaissances concernant en premier lieu la conscience culturelle de soi et d’autrui ; également la connaissance des cultures spécifiques, de l’ethnocentrisme et du relativisme ethnique. C´est pour cela que nous mettrons en évidence la pertinence de la didactique relationnelle proposée par Castellotti (2017) dans le but de concevoir des séquences pédagogiques favorisant l´appropriation du français en encourageant l´apprenant à se pro-jeter dans cette langue et à se laisser transformer en elle. L´objectif est alors de « re-personnaliser les connaissances, c´est leur donner un sens, ne pas les considérer comme des choses, des objets, mais comme une traduction d´expérience, ce qui permet de les percevoir comme intelligibles » (Castellotti, 2017, p. 316).

Ainsi les apprenants pourront-ils découvrir l´altérité en eux-mêmes en tant que locuteurs d´autres langues ; ils pourront devenir autres en parlant le français et participer à des relations interculturelles, celles qui commencent par l´expérience de l´étrangeté de la langue, passent ensuite par le processus d´appropriation de celle-ci ouvrant sur d´autres visions du monde et d´autres imaginaires culturels jusqu´alors insoupçonnés.

Pour ce faire, la méthodologie que nous avons choisie consiste à réaliser une analyse documentaire des champs discursifs dont la didactologie, la sociolinguistique et la philosophie. Les étapes suivies ont été, tout d´abord, la sélection et la systématisation documentaire, puis le processus de lecture et de revue documentaire et, pour finir, l´analyse conceptuelle des notions choisies. Tel que nous l´ illustrons dans la Figure 1:

Source : Élaboration propre

Figure 1 Étapes de la révision documentaire 

La première étape de sélection et de systématisation documentaire s’est centrée sur la conformation du corpus interdiscursif à étudier. Nous avons retenu comme critères de sélection en premier lieu, les contributions de didacticiens et théoriciens critiques par rapport à la notion de l’interculturel, la didactique relationnelle et l’altérité, particulièrement Abdallah-Pretceille (1997, 2005), Blanchet et Coste (2010), Castellotti (2017), Cuq (2003), Molinié (1993, 2011), De Robillard (2008, 2009, 2016), Derrida (1996), Lévinas (1982), Ricœur (1990, 2004), Cassin (2016), entre autres. Étant donné que l’objectif de cet article était de réfléchir sur la didactique du FLE, les auteurs sélectionnés ont été majoritairement francophones.

Nous avons également inclus une sélection de documents de l’UNESCO (2013, 2020) - étant donné l’importance de cette institution en ce qui concerne ces sujets - dictionnaires spécialisés en didactique, articles issus de revues les plus consultées et appartenant principalement aux domaines de la didactique et de la sociolinguistique. Finalement, nous avons sélectionné certains livres des auteurs les plus représentatifs. Leurs apports et leurs arguments ont été mis en valeur tout au long de cet article. Nous avons privilégié les publications faites à partir des années 2000, mais nous avons tenu compte également de ceux qui sont devenus des référents pour l’étude de ces thématiques, indépendamment de cette limite temporelle.

Nous avons consacré la deuxième étape de la mise en place du processus de lecture et revue documentaire à l’élaboration des fiches de lecture. Celles-ci contiennent les notions retenues dans le but de chercher les arguments et les contre-arguments proposés dans les champs discursifs concernés.

La troisième étape de mise en œuvre de l’analyse conceptuelle est orientée à la reconstruction des conceptualisations, aux déconstructions et reconceptualisations de ces notions. Ceci nous a amené à identifier les impasses épistémologiques et éthiques des approches communicative et actionnelle de la didactique du FLE et, en retour, à mettre en relief la pertinence d’une didactique relationnelle et interculturelle, dont nous parlerons ultérieurement.

La thèse de cet article propose alors que pour enseigner la compétence interculturelle dans la classe de FLE, il est important de mettre en place des expériences d’étrangeté, de décentrement, d’incompréhension et d’appropriation telles qu’elles sont envisagées par la didactique relationnelle. Compte tenu de cette thèse, nous avons commencé par passer en revue les conceptualisations et les reconceptualisations de l’interculturalité, la didactique relationnelle et l’altérité. Cet examen a débouché sur l’analyse critique des notions d’ethnocentrisme, de mononormativisme et de monolinguisme, suivie du détour épistémologique d’une approche sémiotique à une approche phénoménologique et herméneutique de la langue au sein de la didactique relationnelle et interculturelle du FLE, tel que nous le présentons dans la première partie. En deuxième lieu, nous proposons des idées de séquences pédagogiques qui motivent les apprenants à découvrir l’altérité en eux-mêmes, chez autrui et le caractère interculturel de leur propre culture. Finalement, nous synthétisons les portées épistémologiques et éthiques de cette étude.

Des notions à reconceptualiser pour une didactique relationnelle et interculturelle du FLE

Dans cette première partie, nous développons l’analyse conceptuelle des notions à déconstruire et à reconceptualiser et entrons dans le vif du sujet, à savoir le besoin de problématiser la conception de la langue comme un outil et en conséquence les approches communicative et actionnelle du processus d’enseignement-apprentissage, fondées sur une perspective sémiotique ; finalement, nous analysons les notions d’ethnocentrisme, de mononormativisme et de monolinguisme. En revanche, nous mettrons en évidence la pertinence et les atouts de la didactique relationnelle et interculturelle basée sur une perspective phénoménologique et herméneutique afin de surmonter les contraintes pragmatistes et fonctionnalistes dans la didactique du FLE.

De la langue comme un outil à la langue comme une expérience vécue

La considération de la langue comme un outil ou un moyen remonte à une approche sémiotique où la langue est conçue comme un système stable et homogène, favorisant sa fonctionnalisation pour la communication ou l’action dans un contexte d’augmentation de la mobilité causée par les transformations du marché du travail. Ce qui permet simultanément la standardisation des langues et des systèmes d’évaluation dans l’intention d’assurer l’efficacité des communications et des actions pour répondre à la globalisation du marché.

C’est ainsi que les approches communicative et actionnelle s’avèrent très utiles en tant que perspectives épistémologiques, étant donné qu’elles se construisent sur des objectifs pragmatiques et fonctionnels comme la communication efficace ou la gestion des actions dans des contextes donnés. En l’occurrence, les démarches pédagogiques mènent les apprenants à acquérir les compétences nécessaires pour interagir dans des situations de communication quotidiennes ou à gérer une série d’actions pour effectuer une tâche se concrétisant dans un produit spécifique.

Bien que ces approches présentent des avantages, notamment la promotion de l’autonomie des apprenants ou la collaboration pendant le processus d’apprentissage par les pairs, servant à la mobilité, à l’intégration ou à l’adaptation dans le pays d’arrivée, elles se montrent limitées par rapport à la sensibilisation des apprenants aux défis et aux enjeux de la découverte de la diversité culturelle et de la convivialité interculturelle. En bref, compte tenu de l’hétérogénéité des visions du monde qui entraînent souvent des tensions et des conflits interculturels, ces approches se révèlent limitées puisque cette énorme diversité résiste à toute forme d’homogénéisation. Les limites épistémologiques de ces approches mettent donc en question l’homogénéisation même de la langue en tant que système faisant abstraction de l’histoire, du contexte et de cette diversité culturelle.

Pour surmonter ces impasses, la didactique relationnelle proposée par Castellotti (2017), s’inspirant d’une perspective phénoménologique et herméneutique, conçoit la langue comme une expérience phénoménologique : « présence perceptive du monde » (Merleau-Ponty, 1964, p. 47). Cette expérience se déploie en relation avec le monde et avec autrui. Il s’agit donc d’une relation complexe comprenant la langue, le langage et le discours (De Robillard, 2008). Selon cette approche, les langues mettent en relation l’histoire, le social et l’individuel, elles révèlent alors une « expérience réflexivée et historicisée pour devenir une interprétation collective et sociale du monde » (Castellotti, 2017, p. 307).

Grâce à ce virage épistémologique, la didactique relationnelle peut répondre aux enjeux et aux défis de la rencontre de l’altérité et de la diversité culturelle, en outre, elle permet de faire face aux situations d’incompréhension. À cet égard, De Robillard affirme :

Une compréhension commence donc par la défaite, la prise de conscience, la reconnaissance d’une incompréhension (R. Kosseleck, 1997), liées à l’étrangeté du sens des autres, nécessairement à partir de son propre point de vue à soi, reconnu comme tout aussi étrange et arbitraire lorsqu’il est travaillé face à d’autres. Une compréhension commence donc par la création des conditions du dialogue qui doit être engagé et paritaire pour être efficacement contradictoire : c’est la rencontre de sensibilités, d’imaginaires différents, puisque autres, qui reconnaissent que, dans leurs dogmes hérités, et dans leurs sensibilités, ils sont incompatibles, et que sans la compréhension de ceux-ci, la compréhension des autres ne peut que demeurer superficielle. (De Robillard, 2016, pp. 175-176)

Compte tenu des relations interpersonnelles mises en jeu par la langue, le malentendu, l’opacité et l’équivocité du sens et la possibilité des conflits interprétatifs s’avèrent inévitables. De cette manière, elles rendent compte de la complexité des discours et transforment le processus d’enseignement-apprentissage en un processus d’appropriation, puisqu’« on n’apprend que ce qu’on ne connaît pas encore, à travers des expériences “étrangeantes” » (Castellotti, 2017, p. 281). En raison de ce processus d’étrangeté, l’appropriation ne doit pas se confondre avec la maîtrise ou le contrôle de la langue, en revanche elle expose à une relation de décentrement et d’interpellation.

De plus, l’appropriation de la langue ne se limite plus à une compétence, il s’agit d’une expérience éthique : « faire l’expérience de l’appropriation […] c’est faire l’expérience de la diversité, de l’altérité, de l’imaginaire » (Castellotti, 2017, p. 268). Le tournant épistémologique, plaçant au centre du processus d’enseignement-apprentissage la dynamique de la rencontre de l’altérité et des relations interculturelles considérées comme des relations altéritaires (Blanchet et Coste, 2010), est donc suivi d’un tournant éthique.

Cette approche relationnelle et interculturelle de la didactique du FLE opère également une transvaluation, c’est-à-dire qu’elle met en relief la relation avec autrui, elle invite à la discussion de ses interprétations et fait appel à un positionnement altéro-réflexif (De Robillard, 2009), où le sens se configure à partir d’une co-construction qui part de l’expérience d’étrangeté et vise l’appropriation, ou mieux l’hospitalité langagière. De telle sorte que les objectifs fonctionnels et pragmatiques des approches communicative et actionnelle sont substitués par les besoins herméneutiques et éthiques de la relation avec autrui.

Sur le processus d´enseignement-apprentissage en tant que relation avec autrui

Étant aux antipodes d’un processus d’enseignement-apprentissage centré sur le développement des compétences ou la gestion d’actions en fonction d’une tâche ou d’un produit final, la didactique relationnelle et interculturelle déploie une expérience et une relation complexes qui incluent la réception, la compréhension et l’appropriation. En ce qui concerne la réception, elle s’antépose à la production et nous expose à l’expérience de l’étrangeté. Déclenché par cette rencontre avec l’étrangeté ou l’altérité, le processus de compréhension commence donc par cette opacité de l’autre, par son incompréhension et débouche sur la mise en œuvre du processus d’appropriation, d’après Castellotti :

Le processus d’appropriation est alors pleinement considéré comme une transformation, en confrontation avec l’histoire et l’altérité des personnes, des situations, des « langues » […] cette transformation des êtres humains s’instaure à travers, précisément une mobilisation/confrontation réflexive de leur expérience mutuelle, qui se traduit dans l’occurrence, pour ce qui nous occupe principalement, à travers des dimensions linguistico-culturelles. (Castellotti, 2017, p. 45)

En conséquence, ce processus d’enseignement-apprentissage met en jeu une dynamique relationnelle comprenant l’histoire des apprenants et leur diversité culturelle. Pour concevoir une démarche, il faudra mettre en valeur ces singularités et encourager les apprenants à « laisser advenir en propre » (Dastur, 2011, p. 95) la langue apprise, dans ce cas le FLE. Il est essentiel que cette appropriation ne se traduise pas par une maîtrise de la langue, mais par la possibilité pour l’apprenant de se projeter en elle à partir de son expérience, son histoire et sa culture ainsi que de se transformer par elle, grâce aux autres visions de monde que la langue pourrait lui ouvrir. En ce sens, apprendre une langue est en même temps devenir autre, elle nous permet de découvrir l’altérité en nous-mêmes2.

En outre, ce processus d’enseignement-apprentissage se déroule à partir de la relation entre les apprenants qui partagent la diversité des expériences, des histoires, des provenances culturelles en tentant de co-construire de nouveaux sens, en créant des projets et en participant aux relations altéritaires (Blanchet et Coste, 2010). Ceci sera seulement possible après avoir compris l’écart et l’altérité (Jullien, 2012), c’est-à-dire, après s’être décentré et avoir pris conscience des limites de toutes les représentations ego-, ethno- et sociocentriques, celles-ci étant également l’un des objectifs les plus importants de la didactique interculturelle.

Par ailleurs, avant de planifier une séquence pédagogique, il est recommandé de « commencer par se demander le “pourquoi/pour quoi” des situations appropriatives avant de lui subordonner les moyens (le “comment”), susceptibles d’être en cohérence avec les histoires et les projets qui constituent les enjeux fondamentaux de l’appropriation » (Castellotti, 2017, p. 312). Autrement dit, on doit toujours élaborer les séquences pédagogiques en considérant les motivations, la diversité et les projets d’appropriation des apprenants dans le processus d’enseignement-apprentissage du FLE.

De l’ethnocentrisme, mononormativisme et monolinguisme aux relations interculturelles

D’après Cuq, l’ethnocentrisme fait référence à la « tendance à considérer comme “universels”, voire “naturels”, des schèmes de perception, de cognition et de croyances qui nous viennent en réalité de l’environnement dans lequel nous avons été éduqués » (Cuq, 2003, p. 87). À cet égard, quand la didactique relationnelle et interculturelle met au centre du processus d’enseignement-apprentissage le processus complexe de réception, compréhension et appropriation, elle favorise des démarches orientées vers le décentrement des enseignants et des apprenants en assumant par exemple l’opacité du sens ou l’expérience de l’étrangeté.

Ce décentrement inclut des changements de point de vue pour se détacher de l’ethnocentrisme, du sociocentrisme et de l’égocentrisme (Cuq, 2003). Autrement dit, les enseignants et les apprenants font l’expérience des limites de leurs regards culturels, sociaux et identitaires et s’aperçoivent de leur relativité. En ce sens selon l’UNESCO : « tous les groupes, quels qu’ils soient, apprennent à voir qu’il existe plus d’une manière de faire les choses et que leurs présupposés ne sont pas universels » (UNESCO, 2013, P.18).

Par ailleurs, le mononormativisme et le monolinguisme sont d’autres effets de l’ethnocentrisme. Dans cette perspective, Derrida écrivait Le monolinguisme de l’autre et affirmait : « Sur la terre des hommes aujourd’hui, certains doivent céder à l’homo-hégémonie des langues dominantes, ils doivent apprendre la langue des maîtres, du capital et des machines, ils doivent perdre leur idiome pour survivre ou pour vivre mieux » (Derrida, 1996, p. 56). Cette hégémonie de l’homogène due au pouvoir colonial, ethnocentrique par excellence, a conduit non seulement à la primauté de certaines langues, mais encore à la création de modèles et de normes prétendus universalisables, compte tenu des fonctions de standardisation dont elles ont besoin pour garantir leur hégémonie.

Par la suite, Derrida précise la liaison intrinsèque entre le monolinguisme et le mononormativisme en mettant en évidence la façon dont la souveraineté coloniale s’établit par l’imposition de la langue érigée comme la Loi dans le dessein de transmettre et de soutenir cette souveraineté. C’est ainsi que nous arrivons au cœur du problème, il s’agit de se donner la langue du colonisateur comme loi, autrement dit, de prendre par un acte d’autonomie, un acte d’hétéronomie3. Cela étant, Derrida ajoute que c’est « sur ce fond qu’opère le monolinguisme imposé par l’autre, ici par une souveraineté d’essence toujours coloniale et qui tend, répressiblement et irrépressiblement, à réduire les langues à l’Un, c’est-à-dire à l’hégémonie de l’homogène. » (Derrida, 1996, p. 69). En conséquence, il est nécessaire en premier lieu, de souligner le caractère contraint du monolinguisme qui appartient et soutient véritablement la souveraineté coloniale ; en deuxième lieu, il faut remettre en question toute prétention d’homogénéisation sur la base du mononormativisme, présupposant qu’il n’existe pas qu’une seule norme ou un seul cadre normatif pour contrôler les usages de la langue.

Il faut également prendre du recul par rapport aux procédés de standardisation et les problématiser en privilégiant le processus d’enseignement-apprentissage interculturel, en raison des contre-arguments proposés par les sociolinguistes qui mettent en évidence le caractère artificiel de la présupposition selon laquelle les « langues [sont] Stabilisées, Décontextualisées, Déshistorisées, Homogénéisées » (LSDH, De Robillard, 2008cité par Blanchet, 2015, p. 68), à la base aussi bien de l’hégémonie de certaines langues que des normes de standardisation.

Castellotti remarque l’historicité des normes, étant donné qu’« elles-mêmes évoluent et se transforment » (Castellotti, 2017, p. 276). Qui plus est, cette auteure invite à effectuer des formes d’évaluation non contrôlantes ou des « formes de co-reconnaissances » (Castellotti, 2017, p. 292) entre pairs. De son côté, Blanchet parle de la notion de « polynomie » (Blanchet, 2003), qui serait aussi variable que la diversité de langues et de cultures, en l’occurrence, que les expressions linguistiques et culturelles francophones.

À cette mise en question de l’universalité des normes et des représentations culturelles grâce à la didactique relationnelle et interculturelle s’ajoute le besoin de problématiser la réduction des cultures à des « entités collectives abstraites » (Abdallah-Pretceille, 1997, p. 124) comme étant une essence donnée et fermée.

Chez Blanchet la culture se réfère au contraire à un « ensemble de schèmes interprétatifs » (Blanchet, 2007, p. 22), ces interprétations sont situées historiquement, socialement et culturellement. Par conséquent, les défis et les enjeux interculturels d’éviter toute « approche culturaliste, essentialisante et différentialiste » (Dervin, 2017, p. 85), étant donné qu’elle reproduit les stéréotypes et les préjugés en favorisant l’atomisation, la ghettoïsation et les conflits culturels, soit par la réification des cultures, soit par l’isolement ou l’hostilité à l’accueil des étrangers. En revanche, faisant appel à l’expérience de l’étrangeté du début de toute séquence pédagogique, la didactique relationnelle et interculturelle détourne telle hostilité en promouvant à l’inverse une « éducation ouverte à l’altérité » (Porcher, 1996, p. VII).

Ceci nous incite à questionner les enseignants sur leurs positionnements, leurs évidences, leurs choix didactiques et à toujours réfléchir sur le terrain afin de répondre aux enjeux et aux défis simultanément épistémologiques et éthiques, à savoir, « dénativiser/pluraliser/diversaliser aussi l’enseignement et la formation » (Castellotti, 2017, p. 132).

Une fois que nous aurons découvert les limites de nos visions culturelles et que nous nous serons décentrés face aux expériences d’étrangeté, il sera possible de mettre en évidence que le processus d’enseignement-apprentissage donne lieu à des relations interculturelles, dans lesquelles nous pourrions prendre conscience de l’altérité d’autrui et, réciproquement, de la nôtre. Ainsi, si nous nous assumions comme des personnes « altéritaires » (Blanchet et Coste, 2010, p. 13), ces relations interculturelles pourraient à leur tour se transformer en relations d’« alterculturation » (Blanchet et Coste, 2010, p. 20). Celles dans lesquelles il est possible de transformer et d’élargir réciproquement les regards et les imaginaires culturels des uns et des autres, exprimant ainsi le pouvoir et la valeur inestimable de toute rencontre interculturelle.

De l´insécurité linguistique à la découverte de l´altérité en soi-même

Après avoir remis en question l’ethnocentrisme, le monolinguisme et le mononormativisme, et après avoir mis en évidence le processus d’enseignement-apprentissage du FLE en tant qu’expérience de l’opacité du sens et du rapport à l’altérité de l’autre, un autre atout de la didactique relationnelle et interculturelle concerne la mise en lumière du phénomène de l’insécurité linguistique qui est un phénomène courant. Pour Cuq, l’insécurité linguistique indique « le sentiment de la faute et le manque de sécurité dans la prise de parole » (Cuq, 2003, p. 132).

Cependant, bien qu’il existe des analyses macrosociologiques et microsociologiques associant cette insécurité à la tendance à l’hypercorrection ou au sentiment de faute par rapport auxquels « les locuteurs sont susceptibles d’avoir un pouvoir d’action » (Cuq, 2003, p. 132), d’après l’analyse conceptuelle proposée ici, il s’agit plus exactement d’une manifestation des représentations ethnocentriques et nativistes, qui se trouve à l’origine de ce sentiment de faute et qui opère comme des sous-entendus et des présupposés encore à problématiser.

À ce propos, si nous concevons le processus d’enseignement-apprentissage du FLE comme une expérience de mise en relation avec l’altérité d’autrui qui déclenche en même temps une expérience de décentrement, la didactique relationnelle et interculturelle incite aussi à la découverte de l’altérité de soi par rapport à autrui. Celle que Ricœur considère l’expérience herméneutique de « soi-même comme un autre » (Ricœur, 1990).

L’enjeu consiste alors à encourager les apprenants à se projeter dans la langue étrangère en prenant conscience de leur altérité concernant à la fois leur singularité et leur diversité culturelle. Il serait possible de réduire leur insécurité linguistique s’ils parvenaient à resignifier cette situation interlinguistique dans une approche au français à travers une relation interculturelle authentique, où il est possible, justement, de faire dialoguer les ressources linguistiques et culturelles des langues déjà acquises et celles du français. Cette situation interlinguistique est le seuil à partir duquel il sera possible de déployer son « projet » d’apprentissage, que décrit Castellotti comme « des façons dont on se projette, humainement, à partir de son expérience » (Castellotti, 2017, p. 314).

Par ailleurs, le processus d’enseignement-apprentissage du FLE parvient également à établir des relations interculturelles au sein des séquences didactiques en favorisant ce va-et-vient entre les langues et les cultures. Ainsi, le processus d’acquisition de la langue ne se réduit plus à une relation d’homogénéisation ou d’assimilation à une langue et à une culture hégémoniques et stéréotypées, mais il est vu comme une relation « d’alterculturation » (Blanchet et Coste, 2010, p.20), où les langues et les cultures de départ et d’arrivée parviennent à un dialogue et à une réciprocité interculturelle.

S’opposant à toute forme d’acculturation, d’intégrisme, d’ethnisme et de nationalisme, la didactique relationnelle et interculturelle agit dans la conviction qu’« une éthique de l’altérité est une condition préalable à toute éducation à l’altérité et à la diversité » (Abdallah-Pretceille, 1997, p. 131). Cela étant, il faut renouveler l’invitation ouverte de Castellotti aux enseignants, aux étudiants et aux « qui peuvent/veulent se réapproprier un rapport expérientiel/existentiel au monde et aux autres, en langue » (Castellotti, 2017, p. 269).

UN ÉVENTAIL DES SÉQUENCES PÉDAGOGIQUES SUGGÉRÉES À PARTIR D’UNE APPROCHE RELATIONNELLE ET INTERCULTURELLE

Cette deuxième partie apporte des idées pour réaliser des séquences didactiques; celles-ci doivent toujours permettre aux apprenants de procéder à leur rythme et selon leur style particulier; en plus, pour leur planification, « ce qui importe d´abord, c´est la relation construite avec les personnes et les conditions mises à leur disposition afin qu´elles trouvent les moyens pertinents pour réaliser leur projet d´appropriation » (Castellotti, 2017, p. 314). En tenant compte de ces repères, les approches proposées peuvent éviter l'insécurité linguistique des apprenants et les encourager à s'engager dans l'expérience interculturelle et la compréhension de l'altérité en eux-mêmes au cours de leurs processus d'apprentissage du FLE.

Première proposition : Une séquence pédagogique pour la création des autobiographies langagières des apprenants

Il s’agit d’inviter les apprenants à écrire leur propre récit autobiographique langagier pour raconter l’« ensemble des chemins linguistiques » (Cuq, 2003, p. 37). Estimant que chaque étudiant a déjà appris une ou plusieurs langues, qu’elle soit maternelle ou étrangère, chacun pourra découvrir l’interculturel en lui-même grâce au répertoire linguistique qui le singularise. De même, cette méthode biographique4 est propice à la réflexivité et à la décentration, comme le dit la grande didacticienne dans ce domaine, Molinié, il s’agit d’« un processus conduisant le sujet à développer sa capacité à penser son altérité comme constitutive de ses apprentissages » (Molinié, 2006a, p.10).

D’où la pertinence de la didactique relationnelle et interculturelle, en effet, ce récit favorise la reconnaissance du caractère pluriel des ressources linguistiques et interculturelles des apprenants qui interagissent en les transformant, en ce sens Molinié ajoute : « à travers cette activité biographique sont chaque fois mis en mots quelques fragments d’une identité plurilingue, singulière et inachevée, alors l’hypothèse est que cette activité contribue à développer chez le locuteur la conscience d’être un sujet en devenir par les langues, par le langage. » (Molinié, 2006a, p.11). De cette manière, les apprenants prenant conscience de leur trajectoire linguistique liée à leur histoire de vie, deviennent, non seulement les auteurs de leurs récits, mais encore de leur projet d’appropriation de la langue.

Pour les enseignants et les chercheurs, cette méthode biographique peut s’adapter à un entretien biographique, à un texte autobiographique ou à un travail réflexif selon les niveaux et la diversité des apprenants. Elle leur permet également de « stimuler les liens entre la recherche, l’action et l’intervention et d’alimenter une réflexion épistémologique sur les questions de réflexivité et d’herméneutique du sujet plurilingue » (Molinié, 2011, p. 144).

Deuxième proposition : Une séquence pédagogique consacrée à la promotion de la lecture d’extraits de textes des littératures francophones

Il est possible aussi de concevoir une séquence pédagogique consacrée à la lecture de fragments de textes de la littérature francophone, par exemple des extraits d’Anthologies des littératures francophones (Magnier, s.d.)5, et de réaliser un projet d’appropriation par petits groupes. Les apprenants peuvent ainsi identifier les altérités qui y prennent la parole, créant un espace littéraire polyphonique, plurilingue ou même hétérolingue. Comme l’avait déjà montré Bakhtine (1970), cette littérature est polyphonique parce qu’elle « établit dans le texte un jeu entre plusieurs voix » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 448). En outre, elle est plurilingue et hétérolingue en raison de la « coprésense des langues dans l’espace textuel » (Grutman, 2012, p. 57).

Ces découvertes pourraient s’élargir encore davantage grâce à l’émergence des littératures actuelles plurilingues et translangues. Celles qui utilisent les langues mêmes comme matière de création littéraire, tel est le cas d’auteurs contemporains, tels que François Cheng Le Dialogue : Une passion pour la langue française (2002), Akira Mizubayashi Une langue venue d’ailleurs (2011) ou Atiq Rahimi La ballade du calame (2015). De plus, ce type de démarche permettra de découvrir les réénonciations de soi effectuées par les écrivains francophones et la diversité de leurs imaginaires culturels, opérant simultanément comme des exemples d’appropriation de la langue. Ce qui pourrait susciter le dialogue interculturel permettant aux apprenants d’interagir avec les textes afin de stimuler leur propre créativité.

Troisième proposition : Une séquence pédagogique pour découvrir les intraduisibles

Cette séquence pédagogique peut commencer par la découverte des mots uchi-soto et ubuntu, les mots liés par l’UNESCO (2013) à la conceptualisation de l’interculturel. Le premier, Uchi-soto (内外), un mot japonais signifiant qu’un groupe évolue « entre ceux qui appartiennent à ce groupe (uchi) et les autres (soto) » (UNESCO, 2013, p. 21). Le deuxième, Ubuntu, un mot africain provenant de langues bantoues d’Afrique centrale, orientale et australe, qui remonte au proverbe xhosa «ubuntu ngumuntu ngabantu», c’est-à-dire, « une personne n’est une personne que par l’intermédiaire d’autres personnes » (UNESCO, 2013, p. 21). Ces notions peuvent s’élargir à partir de celles d’intraduisible et d’hospitalité langagière.

Selon Cassin, il est nécessaire de comprendre l’intraduisible « non pas ce qu´on ne traduit pas, mais ce qu´on ne cesse pas de - ne pas - traduire » (Cassin, 2016, p. 24). Autrement dit, il s’agit de concepts venus d’ailleurs, incommensurables, irréductibles, c’est-à-dire sans équivalents avec nos propres concepts culturels, qui demandent la déconstruction (Derrida, 1996) et l’hospitalité langagière. Ils entraînent d’abord la déconstruction (Derrida, 1996) de certains concepts, parce qu’ils produisent leur reconceptualisation, et ils pourraient même déclencher la reconfiguration de toute une constellation conceptuelle qui multiplie les regards du monde propre à une approche interculturelle. Ensuite, ils font appel à l’hospitalité langagière : « où le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le plaisir de recevoir chez soi, dans sa propre demeure, la parole de l’étranger » (Ricœur, 2004, p.20). En somme, il s’agit de mettre au cœur du processus d’enseignement-apprentissage du FLE un même appel « d’hospitalité langagière, de justice et d’égalité » (Blanchet, 2018, p. 226) entre les langues et les cultures apprises et celles des apprenants y compris leurs histoires et leur diversité.

En outre, la découverte des intraduisibles met en jeu l’ouverture à l’altérité par les décentrements ethnographiques, sociocentriques et égocentriques (Cuq, 2003). Ces regards croisés sont aussi propices à la promotion de la réflexivité et de la pensée critique ; ils invitent de plus à reconnaître l’interdépendance entre les cultures et même à se concevoir comme « être traduisant » (Castellotti et al., 2021), autrement dit, à s’approprier ou à se traduire à soi-même l’expérience de mondes et de cultures parlant le français découverte grâce à cette langue.

Quatrième proposition : Une séquence pédagogique pour préparer et mettre en place un cercle d´histoires

Cette séquence pédagogique a déjà été suggérée par l’UNESCO (2020) pour l’acquisition de la compétence interculturelle. Cette méthode mène les apprenants à la découverte de leurs histoires culturelles singulières afin d’identifier le caractère interculturel de leur propre culture. Ces cercles sont aussi nommés cercles de la parole et ils sont coordonnés grâce au « bâton de parole », qui circule entre les participants afin de distribuer la prise de parole et qui constitue le symbole même de la médiation interculturelle. Ces cercles répondent à deux principes : « 1) Nous sommes tous interconnectés par les droits de l’homme. 2) Toute personne a une dignité et une valeur intrinsèques » (UNESCO, 2020, p. 28).

Avant de mettre en place ces séquences, il est aussi recommandé d’avoir à l’esprit que « a) chacun a une expérience personnelle qui peut être partagée ; b) nous avons tous quelque chose à apprendre des autres ; c) écouter pour comprendre peut avoir un effet transformateur » (UNESCO, 2020, p. 19). C’est pour cela qu’il faut éviter que les participants soient obligés d’y participer, puisque l’un des objectifs est la création d’un espace pour l’écoute, le respect, l’empathie et la réflexion.

Cette découverte permettra de sensibiliser les participants à la constellation d’imaginaires mobilisés par les histoires d’autrui, traduisant l’interculturalité de leurs cultures. À la fin, l’on peut aussi construire un collage d’histoires avec les récits de chaque groupe et faire une mise en commun à partir d’un cercle d’histoires à représenter en groupe. Les apprenants pourront aussi élargir leurs horizons culturels et favoriser un espace d’apprentissage de la langue, de médiation et de dialogue interculturels.

CONCLUSIONS

Arrivés à la fin de cet article, nous récapitulons nos principaux arguments montrant les atouts épistémologiques et éthiques de la didactique relationnelle pour enseigner la compétence interculturelle dans la classe de FLE, à partir des expériences d’étrangeté, de décentrement, d’incompréhension et d’appropriation des apprenants, tel que cet article voulait le démontrer.

Selon Castellotti, l’un des renversements épistémologiques les plus importants est le besoin de « dé-fonctionnaliser et dé-pragmatiser » (Castellotti, 2017, p.308) l’enseignement-apprentissage du FLE, c’est-à-dire, d’abandonner la vision des langues conçues comme de seuls outils, notamment celle des approches communicative et actionnelle. Autrement dit, il s’agit de privilégier une conception du processus d’enseignement-apprentissage comme une expérience herméneutique et éthique où l’apprentissage du FLE se traduit d’abord par l’expérience étrangeante des constellations de significations ouvertes par la langue, puis par la transformation des incompréhensions en condition de resignification et d’élargissement des imaginaires langagiers et culturels propres, finalement par l’appropriation de la langue, lorsque l’apprenant construit ses nouvelles significations, à interagir et à accueillir la diversité des autres et la sienne, concevant la langue alors comme une perspective des significations et des relations plurielles.

De cette façon, le processus d’enseignement-apprentissage, dépassant les seuls impératifs des échanges académiques ou de la mobilité pour le marché du travail, aboutira à la sensibilisation et à la promotion de la responsabilité interculturelle des apprenants quelles que soient leurs priorités et visera à une citoyenneté interculturelle commençant par soi-même.

Il faudra également s’intéresser à l’appropriation de la langue par les étudiants, puis les laisser « devenir les auteurs (et pas seulement les acteurs) de leur appropriation » (Castellotti, 2017, p. 312) et se projeter dans la nouvelle langue comme une expérience vécue où ils peuvent se réénoncer et tisser des nouveaux récits avec un regard interculturel. De cette manière, il sera possible de promouvoir l’éducation comme une pratique de liberté à la manière du « maître ignorant » J. Jacotot de Rancière (1987) 6, c’est-à-dire, laisser apprendre les étudiants, les encourager à l’émancipation et ainsi leur permettre de surmonter leur insécurité linguistique par eux-mêmes.

Castellotti souligne en outre l’importance de penser à « une didactologie-didactique “diversitaire” » (Castellotti, 2017, p. 315) en tant que perspective à la fois épistémologique et éthique pour l’enseignement-apprentissage du FLE. En ce sens, suivant l’éthique de l’altérité chez Lévinas (1982), Abdallah-Pretceille parle encore de l’éthique de la diversité, se trouvant au sein de l’éducation interculturelle, où l’expérience d’apprentissage se détourne de toute action « sur » l’Autre ; elle soulève au contraire une relation « avec » autrui afin de conjurer toute forme de domination, d’hégémonie ou de violence :

L’éthique de la diversité a comme lieu propre la relation entre des sujets et non pas l’action sur l’Autre, même si cette action est généreuse, juste, voire charitable. Toute dissymétrie dans la relation transforme les uns, en acteurs, les autres en agents et entraîne une relation de pouvoir, réel ou symbolique, source en retour de violence, potentielle ou exprimée. Il s’agit bien d’agir avec et non pas sur autrui et donc d’un exercice de solidarité qui est un exercice difficile, jamais achevé et toujours à reconstruire. (Abdallah-Pretceille, 2005, p. 39)

Pour intégrer cette didactique diversitaire et cette éthique de la diversité, dont parlent Castellotti (2017) et Abdallah-Pretceille (2005), on peut gérer certaines stratégies pendant le déroulement des séances quotidiennes, comme : la mise en valeur des origines interculturelles des apprenants (leurs provenances, leurs accents, leurs coutumes, etc.), celle de l’histoire de leur propre langue ou des emprunts entre leur langue et le français. On devra bien entendu mettre en lumière les conflits à cause des divergences culturelles (racisme, xénophobie ou bien ghettoïsation) ainsi que faire appel à la responsabilité et à la citoyenneté interculturelle (UNESCO, 2013).

À cet égard, il faudra également considérer l’éventuelle insécurité linguistique des apprenants, car elle recouvre les préjugés nativistes ou les présomptions mononormativistes qui pourraient la renforcer. Si cela était le cas, il faudrait les mettre en lumière pour que les apprenants puissent accueillir la diversité en eux-mêmes. Pour cela, nous proposons de mettre l’accent sur la sensibilisation à la multiplicité des accents francophones d’ici et d’ailleurs, en utilisant des ressources authentiques issues des différents pays francophones ; on peut recourir aussi à l’histoire des mots, des proverbes ou des expressions idiomatiques, entre autres. Tout ceci afin de donner aux étudiants une idée du caractère pluriel, divers et hétérogène du français comme langue vivante. D’un autre côté, le phénomène de l’insécurité linguistique est aussi notable, car il aide à renverser la situation de difficulté et le sentiment de manque de l’apprenant par la découverte de son altérité et l’acceptation de la pluralité et de la diversité en lui-même. De cette manière, il pourra se libérer de ses insécurités par lui-même, ce qui est l’une des conditions de possibilité des relations interculturelles et altéritaires en tant que telles.

Enfin, le pouvoir épistémologique et éthique d’une didactique relationnelle et interculturelle consiste à mettre au cœur du processus d’enseignement-apprentissage du FLE l’accueil de l’altérité de l’autre et de soi-même comme une condition éthique à la base du savoir. Ceci afin que l’altérité ne soit plus réduite aux stéréotypes, aux préjugés ou aux discriminations, et qu’en revanche elle soit mise en avant comme une condition d’apprentissage, où la diversité culturelle de chacun est accueillie et élargie dans une relation altéritaire et interlinguistique pour contribuer à la préservation de l’hétérogénéité des langues et des cultures, à leurs transformations réciproques et à la convivialité dans la salle de classe.

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Notas:

2Certaines possibilités créatives de ce type de didactique sont celles caractérisant plusieurs écrivains francophones plurilingues et celle de littératures translangues, voir : Ausoni (2018). Mémoires d'outre-langue. L'écriture translingue de soi. Slatkine Érudition.

3Cette auto-hétéronomie, c´est ce que Derrida nomme la « folie de la loi » : « La folie de la loi loge sa possibilité à demeurer dans le foyer de cette auto-hétéronomie » (Derrida, 1996, p. 69).

4Dans le contexte francophone, Muriel Molinié est la théoricienne la plus remarquable de la biographie langagière. Sa théorisation remonte à sa thèse de doctorat, où elle montre bien la puissance didactique et interculturelle de ce dispositif en s’appuyant sur l´ herméneutique de Ricœur qui démontre la relation entre le récit, la découverte de l´altérité de l´autre et de soi : « cette mise en relation de «soi» avec l’Autre et avec «soi-même comme un autre», nous l’avons envisagée à travers un double dispositif : un dispositif autobiographique (à l’écrit et à l’oral) et un dispositif relationnel («amplifier la parole de l’Autre» à travers un entretien de récit de vie). » (Molinié, 1993, p.490). D´autres auteurs et ouvrages incontournables sur cette méthode sont : Molinié (2006a, 2011), Molinié et Bishop (2006b), Baroni et Jeanneret (2011), Huver et Molinié (2011), Lee Simon et Thamin (2011), etc. Pour trouver aussi un état de l´art complet, voir : Molinié, M. (dir.) (2011). « La méthode biographique : de l’écoute de l’apprenant de langues à l’herméneutique du sujet plurilingue », dans Ph. Blanchet & P. Chardenet, Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées (pp. 144-155). AUF/EAC.

5Voir : Magnier, B. (s.d.). Anthologies des littératures francophones [En ligne]. OIF FIPF. https://franc-parler.fipf.org/anthologie-de-textes-litteraires/

6Ce qui fait venir à l´esprit la pensée sur l´éducation de Freire (1967) pour le cas de l´Amérique Latine.

Notas:

¿Cómo citar? Villada, C. (2023). L´altérité en soi-même : pour une didactique relationnelle et interculturelle du Français Langue Étrangère. Lenguaje, 51(2), 438-459. https://doi.org/10.25100/lenguaje.v51i2.12685

Received: December 14, 2022; Accepted: April 26, 2023

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Doctora en Letras de la Universidad Nacional de Córdoba, Argentina; magíster en Traducción de la Universidade Federal de Santa Catarina, Brasil, y filósofa de la Universidad de Antioquia, Medellín, Colombia. Profesora de la Universidad de Antioquia

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