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Boletín de Ciencias de la Tierra

versão impressa ISSN 0120-3630

Bol. cienc. tierra  no.50 Medellín jul./dez. 2021  Epub 10-Fev-2022

https://doi.org/10.15446/rbct.n50.97610 

Artículos

Transitions urbaines et participation citoyenne. Reportage de la Troisième Conférence “Les modes de vie urbains en 2050”

Urban transitions and citizen participation. Report of the Third Conference “Urban ways of life in 2050”

a Centre de recherche en données et intelligence géospatiales (CRDIG), L’Université Laval, Québec, Canada, ahmed.rezeg.1@ulaval.ca

b Laboratoire Interdisciplinaire Solidaritiés, Sociétiés, Territoires (LISST), Université Toulouse - Jean Jaurès, Toulouse, France, olga.slobodova@univ-tlse2.fr


Résumé

Cet article vise à exposer les réflexions engendrées par la présentation de Marc Jeannotte intitulée “Quels modes de vie citoyenne voulons-nous dans nos métropoles?”. Soulignant le lien entre les transitions urbaines et le projet humain, l’intervenant a avancé le rôle essentiel de la participation citoyenne et du citoyen comme un acteur de ces transitions. Notre analyse de ce questionnement est basée sur trois notions de la théorie d’action : les champs structurels d’action, les acteurs et les représentations des acteurs. En appliquant ce cadre conceptuel à la discussion, nous pouvons conclure que pour permettre l’intelligence collective dans les démarches participatives, il faut prendre en compte ces trois éléments. Ainsi, l’intervenant et les discutants mettent l’importance sur l’expertise des citoyens et le capital social, l’accessibilité à l’information et la fracture numérique, la diversité des opinions et l’apprentissage. Ensuite, nous identifions les lignes de questionnement à poursuivre afin d’améliorer notre compréhension des formes de la participation citoyennes du point de vue des représentations et des stratégies d’action des citoyens.

Mots clés: transition urbaine; participation citoyenne; théorie d’action; agentivité; intelligence collective; accessibilité à l’information; capital social

Summary

This article aims to lay out the reflections resulting from the presentation of Marc Jeannotte entitled “What ways of civic life do we want in our metropolises?”. Emphasizing the link between urban transitions and the human project, the speaker advanced the essential role of citizen participation and the citizen as an actor in these transitions. Our analysis of this questioning is based on three notions of the theory of action: the structural fields of action, the actors and the representations of the actors. By applying this conceptual framework to the discussion, we can conclude that to enable collective intelligence in participatory approaches, these three elements must be considered. Thus, the speaker and the discussants place importance on the expertise of citizens and social capital, accessibility to information and the digital divide, diversity of opinions and learning. Further, we identify the lines of questioning to pursue in order to improve our understanding of the forms of citizen participation from the point of view of citizens' representations and strategies of action.

Keywords: urban transition; citizen participation; theory of action; agency; collective intelligence; information accessibility; social capital

1. Introduction

Dans le cadre du cycle de conférences “Les modes de vie urbains en 2050” organisé par le réseau international de recherche REHVIF “Habiter les villes du futur” 1, Marc Jeannotte, le cofondateur de l’organisation québécoise “Votepour.ca” 2, est intervenu avec sa présentation intitulée “Quels modes de vie citoyenne voulons-nous dans nos métropoles?” qui a lancé la réflexion portée dans cet article sur l’appropriation transformatrice de la ville par ses habitants.

Depuis sa création, la ville subit et subira des transformations physiques et fonctionnelles importantes, engendrées par une multitude de circonstances extérieures et intérieures importantes. Aujourd’hui, notamment avec les enjeux climatiques urgents et les évolutions de plus en plus rapides des modes de vie et des usages numériques, les villes font l’objet d’une nécessité de s’adapter à ces circonstances.

Dans cet article nous cherchons à approfondir la proposition de l’intervenant de la conférence Marc Jeannotte, que l’essence de toute transition urbaine est principalement la transition humaine. Les modes de vie urbains sont façonnés pour et par le citoyen, en faisant des choix qui lui sont ouverts, vers un environnement de vie matériel et social qui lui convient et qu’il maîtrise. L’article commence par l’articulation du rôle du citoyen dans les transitions urbaines. Ensuite, l’introduction de trois notions de la théorie de l’action (champs structurels, acteurs et leurs représentations) aide à aborder le rôle de la participation citoyenne dans les transitions urbaines, comme une des façons dont le citoyen peut devenir un véritable acteur de ces transitions. En appuyant sur ces notions, nous abordons les points forts de l’intervention et du débat lors de la conférence. Finalement, nous identifions les lignes de questionnement que nous poursuivons dans nos recherches pour améliorer notre compréhension des représentations et des stratégies d’actions des citoyens par rapport aux différentes formes d’engagement.

2. Transitions urbaines

Le concept des transitions urbaines est relié étroitement à la façon de penser, de concevoir et d’habiter les villes de demain. Plusieurs types de transitions urbaines sont distingués. Le réseau de recherche “Habiter les villes du futur” développe sa réflexion autour de trois types de transitions interreliées.

Premièrement, la transition territoriale, qui est la transition la plus apparente pour les villes, et qui consiste en une mutation accrue du lien entre l’humain et son habitat immédiat, incluant le changement des modes d’habiter ces lieux de vie, ainsi que le développement des formes urbaines en fonction des réalités, notamment sociales.

Deuxièmement, la transition écologique, qui est liée à la prise de responsabilité par rapport à l’impact des activités humaines sur la planète, en appliquant et en appropriant les principes du développement durable et en allant vers des pratiques quotidiennes urbaines de plus en plus écoresponsables, ce qui va mener à des changements des formes urbaines (la transition territoriale).

Finalement, la transition numérique qui actuellement marque le passage de la mise en place des dispositifs numériques ou des technologies urbaines qui caractérisent la ville intelligente, vers l’appropriation de cette intelligence urbaine par les communautés et les individus, afin d’atteindre ce qu’on appelle l’intelligence territoriale qui favorise, entre autres, le changement de comportement social vers des pratiques écoresponsables (la transition écologique).

Marc Jeannotte voit qu’en plus de ces trois transitions, il existe plusieurs autres transitions concomitantes, telles que les transitions culturelle, identitaire, sanitaire, alimentaire, énergétique, économique, de mobilité, de loisir, etc.). Fig.1.

Source: Les auteurs.

Figure 1 Diapositive de Marc Jeannotte sur la transition humaine composée des transitions urbaines multiples. 

Il voit aussi que ces différents types de transitions interconnectées peuvent influencer nos façons de bâtir, de vivre et de gérer nos villes futures, et que l’ensemble de ces transitions sont considérées comme un projet humain. Donc, on peut dire qu’il s’agit d’une transition humaine. Selon Marc Jeannotte, “si on part de la prémisse que nous voulons réussir ces transitions avec l’ensemble des citoyens, on a absolument besoin d’avoir une culture participative, une culture démocratique qui va pénétrer l’ensemble de ces transitions”.

3. Transitions et participation citoyenne

Le facteur humain est au cœur des transitions urbaines, car la population est concernée par la mise en place de différentes stratégies transitionnelles et d’une façon directe. Dans le processus des transitions urbaines, l’habitant peut jouer plusieurs rôles à la fois.

Prenant l’exemple de la mobilité, il est à la fois un piéton, un cycliste, un automobiliste, etc. Ainsi, d’un côté, les décisions et les politiques en matière du transport visent à améliorer les conditions de la mobilité et la qualité d’air pour les habitants et, de l’autre côté, il est appelé à changer ses attitudes afin d’utiliser et favoriser les modes du transport durables.

En observant le rôle du citoyen qui habite la ville dans ses différentes transitions, il sera possible de parcourir la façon dans laquelle la participation citoyenne peut contribuer pour valoriser et même réussir la transition vers la ville du futur, assurant au citoyen un environnement de vie sain, des services urbains de qualité et un mode de vie convenable tout en respectant les principes de la ville résiliente, durable et équitable.

4. Méthodologie

Examinant les transitions du point de vue de citoyen, la question principale qui se lève est celle de la capacité d’agir d’un citoyen comme un acteur discret par rapport au système des institutions et des parties prenantes clés de la ville.

Nous nous appuyons dans cet article sur la théorie de l’action qui cherche, si non pas à expliquer, mais à fournir une lentille analytique pour étudier les épisodes de changement et de stabilisation des systèmes sociaux. Nous avons choisi de nous limiter ici à trois notions de la théorie d’action : champs structurels, acteurs et représentations des acteurs.

Avec cette base conceptuelle de changements sociaux, nous discuterons l’intervention de Marc Jeannotte et le débat de la conférence pour dégager plusieurs lignes de questionnements scientifiques.

4.1. Notions théoriques pour analyser la participation citoyenne comme une action transformatrice

En étudiant la participation citoyenne dans les transitions urbaines, on peut clairement voir la distinction entre ce que les théoriciens regardent comme la structure matérielle et sociale, et l’agentivité3 des acteurs qu’elle conditionne, obstrue ou facilite directement ou indirectement; cette dernière se manifeste lorsque les acteurs cherchent à atteindre des objectifs et à améliorer leur cadre de vie. Pour le faire, chaque acteur trouve des stratégies d’action prenant en compte ce qu’il voit comme des barrières et des opportunités de la structure par rapport à ses propres capacités, afin d’utiliser les occasions qui facilitent ces efforts et éviter les difficultés, ou même éliminer les barrières. Dans ce dernier cas, l’agentivité agit sur la modification de la structure elle-même. On voit donc une relation dialectique entre la structure et l’agentivité, où la structure conditionne l’agentivité et l’agentivité cherche à adapter la structure.

La littérature théorique sur cette interrelation entre la structure et l'agentivité prend des positions variées attribuant plus ou moins de poids à ces deux forces de changement et de stabilité sociale à travers différents courants sociologiques (Pleasants, 2019) et s'étend aux disciplines comme l’économie (Ostrom, 2005), l’éducation (Nagels, Abel et Tali, 2018) ou l’écologie (Otto et al., 2020).

Pour les buts du présent texte, nous nous concentrons sur trois catégories conceptuelles utilisées par ces théories pour analyser les changements sociaux :

4.1.1. Champs d’action, caractérisés par des barrières et des opportunités

La notion abstraite de la structure se traduit en pratique par de multiples champs d’action qui ont souvent des relations interdépendantes et qui conditionnent les actions des acteurs (Fligstein et McAdam, 2012). Par exemple, la culture occidentale, les institutions de l'État, celles de la municipalité, l’infrastructure urbaine, les outils et les règles d’un processus participatif particulier sont des champs de niveaux différents. Ces champs peuvent agir comme une restriction ou une facilitation. Par exemple, les règles de débat constructif interdisent certaines actions comme l’interruption, mais donnent plus d’opportunité pour chaque participant de s’exprimer et d’être écouté.

4.1.2. Acteurs, caractérisés par les niveaux de pouvoir, d’intérêt et de capacités variées

Fligstein et McAdam (2012) distinguent les acteurs en pouvoir, les provocateurs et les unités de gouvernance (eng.: incumbents, challengers and governance units). La littérature qui utilise la notion de “l'écosystème d’acteurs” (revue de cette littérature dans Slobodova et Becker, 2020), différencie les acteurs par leurs niveaux de pouvoir et d’intérêt, accentuant le rôle des acteurs primaires, qui sont souvent les acteurs publics selon le cas étudié. On différencie également les acteurs secondaires ou discrets qui incluent les citoyens, ainsi que les médiateurs, un rôle souvent joué par les associations citoyennes (Gonzalez-Zapata et Heeks, 2015; Slobodova, 2020). Dans la discussion sur la participation citoyenne, il nous semble important de mettre en avant la notion des capacités ou du capital social, y compris le capital numérique (Eveno, 2020), qui joue un rôle primordial dans les négociations entre les acteurs et le choix de stratégie par rapport aux champs d’actions où ils se trouvent. Ainsi le processus de capacitation, d'apprentissage et d'appropriation du capital que l’on peut nommer un “capital citoyen” nécessaire à naviguer les champs d’action de la participation ou de l’engagement citoyen, est une notion importante que nous utiliserons dans cette réflexion.

4.1.3. Préférences, croyances et représentations des acteurs par rapport aux caractéristiques des champs d’action, des autres acteurs et de ses propres capacités.

La structure n’existe pas seulement objectivement, en limitant les actions des acteurs directement, mais elle est aussi encodée d'une certaine façon dans les représentations et les croyances des acteurs. Les normes sont intériorisés, la mode forme les préférences, l’expérience passée façonne des représentations du fonctionnement attendu des institutions, des réseaux d’acteurs ou de ses propres capacités. Ainsi, l’agentivité, comme la structure, est fortement influencée par les représentations des acteurs : “l’agentivité personnelle prend racine, dans une large mesure, dans les croyances que les individus ont dans leurs possibilités d’influencer leurs situations de vie par leurs efforts personnels” (Evans, 2015, p. 14). Les acteurs se servent de ces croyances, qui peuvent varier des croyances des autres acteurs, pour construire leurs stratégies d’action. L’habitus de Bourdieu (1994), cette structure intériorisée, comme les dispositions ou les goûts, est fortement lié au capital scolaire et social qui aide à reproduire la structure sociale au travers de la distribution des capacités, mais aussi à travers la transmission des représentations communes.

La participation citoyenne peut se voir comme une des stratégies des citoyens pour réaliser leur ville du futur avec les conditions de vie qu’ils souhaitent, si le processus participatif leur paraît clair et accessible en fonction des capacités qu’ils possèdent. Par exemple, si une initiative participative a lieu en ligne, cela peut convenir très bien à une personne qui habite loin d’un lieu physique de rencontre potentiel ou n’ayant pas beaucoup de temps libre, mais qui sait utiliser les outils numériques. En revanche, si le processus est entièrement en ligne, une personne qui n’a pas de facilité avec l’internet, choisira une autre stratégie pour améliorer son environnement de vie à travers l’entraide dans une association citoyenne, en écrivant une pétition ou en participant à une manifestation. La fracture numérique est ainsi une des pierres angulaires des nouvelles formes de la participation citoyenne où la notion de capital numérique prend un poids croissant.

4.2. Caractéristiques de la participation citoyenne

Lors de la conférence, l’intervenant a avancé que le citoyen est un expert par ses compétences, ses habitudes de vie, ses expériences personnelles et professionnelles, ses désirs, ses doutes, ses craintes, sa réalité d’habitant. Par son vécu accumulé, il est ainsi un expert vis-à-vis d’un projet, d’une crise ou d’un phénomène à l’étude, possédant un capital unique des savoirs contextuels locaux. Cette notion permet de mettre des groupes de citadins au même niveau avec les professionnels prenant en compte les types d’expertises différents. Les membres de ces groupes, qui interagissent et collaborent entre eux pour résoudre des problèmes et effectuer des tâches complexes, vont produire ce qu’on appelle une intelligence collective, définie par Olfa Zaïbet-Gréselle comme « un ensemble de capacités de réflexion, de compréhension, de décision et d’action d’un collectif de travail restreint issues de l’interaction entre ses membres, et mises en œuvre pour faire face à une situation donnée présente ou à venir complexe » (Zaïbet-Gréselle, 2007, p. 51). Cela indique que l’intelligence collective est un mécanisme qui permet la production des connaissances et des représentations partagées, et qui favorise l’agentivité de la part des groupes des citoyens à travers les échanges, la délibération et l’action collective. Cette notion nous aide à comprendre comment le citoyen peut contribuer efficacement et activement aux politiques, aux projets urbains, et au processus décisionnel, notamment par sa motivation et son intérêt pour avoir des suivis sur les activités participatives passées et à venir. Cela nourrit sa culture collaborative et assure la continuité du processus participatif, tout en favorisant une diversité de méthodes et de savoirs. Autrement dit, la diversification de modes et de mécanismes de participation permet de générer une intelligence collective et d’augmenter le taux d’acceptabilité publique.

L’intelligence collective repose fortement sur l’information. En effet, l’intervenant affirme que l’information est la médiatrice par excellence pour assurer l’équité. En outillant et en accompagnant le citoyen par l’entremise de l’accessibilité à l’information, notamment celle liée aux projets d’aménagement, cela va accroître la sensibilisation citoyenne et l’éducation civique par rapport aux enjeux et retombées des transitions urbaines.

Toutefois, la réalité montre que le développement des outils technologiques, permettant l'accessibilité accrue à l’information, ne garantira pas nécessairement l’obtention d’une meilleure participation, car la littératie numérique n’est pas généralisée. Ainsi, les interactions et les échanges en présentiel sont considérés comme une source efficace de savoir, d’expression, et d’expérimentation comparativement aux moyens et outils rigides préparés auparavant, comme des questions fermées et prédéfinies dans un sondage ou même des plateformes participatives proposant plus d'interaction entre les participants, mais avec des chemins de navigation et d’usage limités.

Selon l'expérience de l'intervenant, les citoyens, qui ont un rôle central à jouer dans les transitions urbaines actuelles et à venir, démontrent la volonté et la capacité de s’engager activement dans la participation citoyenne. Néanmoins, son message principal consiste dans le fait que les pas envers les citoyens sont indispensables de la part des porteurs des projets participatifs qui visent à atteindre une vraie intelligence collective. Les actions proactives sont nécessaires pour l’abaissement des barrières liées à la fracture numérique, ainsi que pour le maintien de la fréquence, de la diversité et de la continuité d’activités consultatives et participatives dans le temps et dans l’espace attirant l’attention à l’intensité de l’engagement lié au sentiment de proximité et à l’expertise sur le milieu de vie immédiat. Dans ce sens, l’interaction humaine, notamment à travers les ateliers de co-design, est considérée comme un moyen incontournable pour que les citoyens puissent comprendre les enjeux et intervenir avec confiance.

4.3 La participation organique versus la participation institutionnalisée

Cette intervention suscite un débat riche autour des blocages de la participation citoyenne dans le contexte institutionnel, ou dans les termes que nous avons introduits, autour des barrières que les habitants rencontrent dans le champ institutionnel vers leur volonté de participer aux transitions urbaines.

Le discutant de la conférence, Marco Cordoba4 pose une question incontournable dans ce débat : “Dans quelle mesure l'incorporation de la participation à travers les mécanismes institutionnels permet que la citoyenneté conserve son autonomie?”. Pour penser de cette question, il propose de tenir compte de la distinction entre la participation institutionnelle, qui est en prolongement de la démocratie représentative, et la participation plus organique, qui prend ses origines dans les mouvements de revendication, soulignant le fait que la participation citoyenne présente qu’une des stratégies possibles pour contribuer au futur de sa ville. Il met en avant deux autres notions clés que l’on peut attribuer à l’agentivité et à la capacitation : l’appropriation des processus de participation par les citoyens, qui amène à la coproduction de la notion de citoyenneté et l’apprentissage continu à travers les canaux de participation, comparable à l’ADN à partir de laquelle se crée l’innovation et la résilience face aux transitions urbaines.

À travers un exemple de divergence entre l’organisation organique des voisins face à un projet de développement immobilier dans leur quartier et le désir de la Ville de Québec d'insérer ces impulsions citoyennes dans un cadre formel, Marc Jeannotte montre que l'ouverture d'esprit et la flexibilité réglementaire du processus participatif institutionnel sont indispensables pour tirer sur la valeur contributive des propositions des citoyens.

En l’absence de la participation citoyenne institutionnalisée, l’espace urbain lui-même devient le champ d’action stratégique pour les habitants, particulièrement sur les territoires encore marqués par les problèmes de désordre urbain. L’appropriation d’un lieu désaffecté pour répondre à des besoins d’habitat est ainsi un canal de participation aux transitions urbaines que les habitants de ces territoires choisissent en l’absence d’alternatives. Dans ce contexte, l’institutionnel est amené soit à confronter cet usage de l’espace parce qu'il n'est pas planifié soit à le reconnaître et à le formaliser parce qu'il a de l’utilité et qu’il génère une valeur, comme à Curitiba où des services offerts aux populations installées de façon informelle leur ont permis d'arriver à une qualité de vie, de régler les problèmes notamment ceux de santé publique.

4.4 L’expertise versus les opinions

La balance entre la participation organique et son institutionnalisation représente une des deux faces de la médaille. Le questionnement sur sa deuxième face est lancé par Salomon Gonzalez5 et Stéphane Roche6 qui s'intéressent à la médiation de la contradiction entre la reconnaissance du citoyen en tant qu’expert et la fréquente difficulté de réconcilier les opinions avec les données factuelles, qui devient de plus en plus apparente, particulièrement dans les environnements numériques. Dans ce contexte des représentations divergentes, la médiation entre des groupes de citoyens dans les situations de fracture des valeurs, comme la xénophobie, l’homophobie, la ségrégation ou le déni climatique n’est pas facile à réaliser.

Marc reconnaît que la définition de l'expertise peut faire débat, mais il aborde cette notion prenant en compte deux faits. Premièrement, il y a une expertise professionnelle distribuée à travers la population. Deuxièmement, chaque personne est un expert sur son environnement et son expérience de l’usager qui a ainsi une importance dans une réflexion participative. Il insiste sur l'importance de la neutralité, l’intégrité et la légitimité du médiateur perceptible par l’ensemble des parties, spécifiquement dans le cas de la fracture des valeurs.

Pour conclure, selon Marc Jeannotte, il est important de ne pas voir la participation seulement comme une des variables, même essentielle, dans un processus d'élaboration d'une politique publique, mais de l’appréhender comme “un socle fondamental d'une culture démocratique” intégré par le leadership politique dès le départ indépendamment des processus formels. Cette vision, selon Marc, “devient une compétence essentielle pour tous les leaders qui veulent naviguer ces transitions”.

A partir des réflexions soulevées sur la flexibilité de la gouvernance entre la convergence avec les développements organiques et l’articulation avec l’enjeu des réseaux numériques qui offrent à la fois des paires de lunettes pour comprendre le monde, mais en même temps, contribuent à le complexifier, Stéphane Roche retient la problématique centrale, à savoir “Quelle forme de citoyenneté plus engagée devrait s'imposer dans cette ‘transition humaine’?”.

4.5. Lignes de questionnements

La problématique sur les formes d’engagement dans les transitions urbaines est traitée notamment par la thèse d’Olga Slobodova intitulée "L'évolution de la participation citoyenne dans les métropoles dans le contexte des transitions des modes de vie urbains et des usages numériques” à partir du traçage des évolutions des différentes formes d’engagement avec les technologiques émergentes du Minitel dans la majorité des foyers français (Kergoat, 1994) aux imprimantes 3D dans les “tiers lieux”, les lieux hybrides entre chez soi et le travail (Antonioli et al, 2015). L’engagement pour la mutualisation des savoir-faires et des connaissances s’inscrit dans les communautés autour de ces lieux physiques comme les maker- ou hackerspaces, aussi bien qu’autour des plateformes virtuelles. Les réseaux sociaux et l’économie des plateformes, dont Airbnb et Uber sont les leaders à l’échelle de la ville, changent la nature et la temporalité des interactions et des transactions dans les territoires urbains. Les territoires eux-mêmes, parlant des acteurs publics et des membres de la société civile, réclament le rôle clé dans ces transitions. Les plateformes de données ouvertes (Slobodova, 2020; Slobodova et Becker, 2020), les budgets participatifs en ligne et les plateformes de consultation ont comme but de faciliter l’accès à l’information et de rendre la codécision plus fluide. Cependant, la question se pose en lien avec les réflexions de la conférence, si cette fluidité est toujours réussie en vue de la fracture numérique et d’autres ruptures produites par les transitions de modes de vie urbains. C’est pourquoi l’étude des formes participatives du point de vue de la prise en compte du capital social, aussi bien que les préférences hétérogènes des habitants des métropoles est une problématique au centre de ce questionnement.

Un autre enjeu sérieux des transitions urbaines est le changement climatique traité dans la thèse d’Ahmed Rezeg intitulée “Favoriser l’adaptation des communautés urbaines au changement climatique”. Pour lutter contre ce changement climatique et pour préparer un processus d’adaptation, la ville doit, à la fois, réduire ses émissions et s’adapter aux nouveaux enjeux environnementaux. Les expériences vécues par les communautés urbaines démontrent que le processus d’adaptation au changement climatique passe au-delà des solutions techniques, ou des mesures prédéfinies, et donc exige un recours à la participation et à l’engagement, citoyens (Plante et al., 2018).

Pour un bon accompagnement des citoyens aux mesures d’adaptation, et pour une participation citoyenne souhaitable, il est désormais important d’explorer, et de mieux comprendre, comment les individus perçoivent ces nouvelles réalités climatiques et quel rôle ils peuvent jouer dans le processus d’adaptation et dans le concept de résilience et de transition, urbaines tout en améliorant l’accès à l’information et favorisant l’engagement citoyen à partir du concept de sens du lieu et d’attachement spatial et émotionnel au milieu de vie.

5. Conclusion

Les transitions climatique, numérique, territoriale, économique, de santé, de modes de vie, etc. ne viennent pas d’émerger, mais leurs accélération et condensation croissantes surtout dans les territoires urbains amènent à la nécessité pour les villes de trouver un modèle de fonctionnement résilient et flexible pour adapter leurs territoires aux enjeux émergents. Ces transitions seront difficiles à réussir, sauf si l’habitant, l’acteur central de ces changements, est inclus dans la réflexion et la mise en œuvre des adaptations.

Dans cet article nous avons abordé le sujet du rôle de la participation citoyenne dans les transitions urbaines suite aux réflexions lors de la conférence sur les modes de vie citoyenne dans les métropoles. Pour mieux cerner les questionnements scientifiques qui peuvent sortir de cette discussion, nous avons introduit trois notions clés de la théorie de l’action : les champs structurels de l’action, les acteurs dont les actions sont conditionnées par ces champs, et les représentations ou les croyances des acteurs par rapport à la structure des champs et vis-à-vis leurs propres capacités.

En se basant sur son expérience, le conférencier Marc Jeannotte insiste sur l’importance de certaines caractéristiques de la participation citoyenne afin d’attendre une vraie intelligence collective, telles que l’accès à l’information, la densité des rencontres participatives et des efforts pour franchir les barrières à la participation, notamment la fracture numérique. En d’autres mots, le champ structurel des démarches participatives doit rester accessible pour que les citoyens puissent s’y investir, ainsi que flexible pour accommoder les modes d'engagements organiques qui sont souvent étouffés par l’institutionnalisation selon les discutants de la conférence. Un autre enjeu important soulevé par les discutants est celui de la médiation des opinions et valeurs divergentes, particulièrement dans le contexte de la prolifération des espaces numériques. En effet, il faut prendre en compte les représentations des participants par rapport aux champs structurels qu’ils ont acquis à travers leur expérience individuelle.

L’étude des formes participatives du point de vue de la prise en compte des préférences hétérogènes et du capital social des habitants des métropoles est un des questionnements importants à poursuivre.

L’urgence climatique engendre également une nécessité d’étudier les perceptions de ces nouvelles réalités climatiques par les habitants et les formes l’engagement citoyen à partir du concept de sens du lieu et d’attachement spatial et émotionnel au milieu de vie.

Bibliographie

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1REHVIF (Réseau international de recherche “Habiter les villes du futur”) est la mise en réseau de sept plateformes nationales de recherche multidisciplinaires France, Canada, Colombie, Côte d’Ivoire, Équateur, Mexique et Sénégal portant sur les transformations des villes contemporaines, autour de l’habiter dans le contexte de la transition territoriale, écologique et numérique, orienté vers la production de connaissance, la formation et la recherche.

2 “Votepour.ca” est une organisation québécoise qui réalise des activités de sensibilisation, de consultation et de participation citoyennes à la demande de municipalités, d’organisations publiques et locales, ainsi que d’entreprises, dans le but de mieux orienter le développement de projets locaux et d’en favoriser l’acceptabilité sociale. (Source: https://votepour.ca/)

3L’agentivité (eng.: agency) englobe les capacités d’action, de réflexivité et du contrôle “sur son fonctionnement et sur les phénomènes environnementaux” (Bandura, 2001, p. 11 comme apparu dans Evans, 2015).

4Docteur en sciences sociales et professeur à la Faculté Latino-américaine de Sciences Sociales (FLACSO Équateur)

5Professeur chercheur du Département des sciences sociales de l'Université Métropolitaine Autonome (UAM) à Mexico

6Professeur titulaire du Département des sciences géomatiques de l’Université Laval

O. Slobodova doctorante. au Centre Interdisciplinaire d'Études Urbaines (LISST-CIEU) à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, Olga Slobodovafait sa recherche sur l’évolution de la participation citoyenne dans les métropoles dans le contexte des transitions des modes de vie urbains et des usages des dispositifs numériques. Titulaire des diplômes en relations économiques internationales de l’Université MGIMO à Moscou et en management de projet de l'INSEEC à Bordeaux, elle a écrit son mémoire de master sur le rôle du management de projets dans le développement des villes intelligentes. Précédemment, Olga Slobodova travaillait dans Russian Green Building Council à Moscou, dans l’administration de Graz en Autriche, où elle a notamment contribué au projet Smart City Graz et dans une entreprise du Royaume-Uni étant en charge des projets de coopération public-privé dans le secteur de la mobilité intelligente.ORCID: 0000-0002-8042-8028

A. Rezeg, Étudiant doctorant au Département des Sciences Géomatiques à l’Université Laval au Québec, Canada. Ahmed Rezegréalise sa thèse de recherche autour du rôle des citoyens dans la mise en œuvre de mesures d’adaptation au changement climatique et dans la résilience urbaine. Il est titulaire de diplôme d’architecte d’état obtenu à l’université de Biskra (Algérie) et de maîtrise universitaire en aménagement du territoire à l’Université Laval, dont il a travaillé sur un projet d’intégration du campus de l’université Laval à sa ville environnante. Ahmed Rezeg a participé à la conception et la réalisation de plusieurs projets en Algérie, et récemment, travaillé pour le service d’urbanisme et développement durable de la ville de Repentigny au Québec ORCID: 0000-0003-3043-3053

How to cite: Rezeg, H. and Slobodova, O. Transitions urbaines et participation citoyenne. Reportage de la Troisième Conférence “Les modes de vie urbains en 2050”. Boletín de Ciencias de la Tierra. 50, pp. 62-67, February 2021 - August 2021

Received: July 29, 2021; Revised: August 17, 2021; Accepted: August 24, 2021

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