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Praxis Filosófica

versión impresa ISSN 0120-4688versión On-line ISSN 2389-9387

Prax. filos.  n.32 Cali ene./jun. 2011

 

ÉTHOLOGIE PHILOSOPHIQUE: L'HOMMO COMPENSATOR ET SON DESTIN*

Etología filosófica: El Hommo Compensator y su destino

William González
Universidad del Valle


*Recibido: abril 2011 aprobado: julio 2011


RÉSUMÉ

Dans cet article on demontre que l'être humain est un être praxique c'est-à-dire un animal qui se présente à lui-même comme une tâche (une compensation), en tant qu'être inachevé aussi bien du point de vue biologique que du point de vue éthologique, à la différence de toutes les autres espèces. Il est aussi un être noétique car il ne peut pas vivre sans réfléchir et il consomme plus de symboles que de choses.

Du point de vue morphologique, on sait que l'homme est un animal sans aucun type de spécialisation et, en conséquence, un être chargé de primitivisme. Sa non spécialisation n'est pas seulement d'ordre organique, elle concerne aussi l'entourage où il habite. Le fait de manquer d'adaptation organique par rapport à lui-même et vis-à-vis de son environnement fait de l'homme un être ouvert au monde. Cet ouverture s'exprime dans le langage par l'intermediaire de la faculté de juger.

Chez l'homme, la pensée se constitue comme jugement communicationnel avec soi même et avec autrui où la reconnaissance ou non de ce qui est dit permet ou non la réalisation de l'action conjointe de ce qui est pensé. Le jugement se ferme ainsi comme un jugement de reconnaissance sociale (puisque l'homme ne peut transformer sa vie qu'en société), dans lequel locuteurs et auditeurs jugent à chaque fois leur réalité comme étant vraie et réelle, dans la mesure où ils ont dû, précisément, la penser comme vraie pour pouvoir la juger.

Mots-clés: praxique, compensation, noétique, faculté de juger, jugement communicationnel.


RESUMEN

En este artículo se demuestra que el ser humano es un ser práxico, es decir, un animal que se presenta a sí mismo como una tarea (una compensación) en tanto que ser inacabado tanto desde el punto de vista biológico como desde el punto de vista etológico, a diferencia de todas las otras especies. El hombre es igualmente un ser noético ya que no puede vivir sin reflexionar y consume más símbolos que cosas.

Desde el punto de vista morfológico, se sabe que el hombre es un animal sin ningún tipo de especialización y, en consecuencia, un ser cargado de primitivismo. Su no especialización no es solamente de carácter orgánico, concierne también al entorno en el que habita. El hecho que le falte adaptación orgánica con relación a él mismo y su entorno hacen del hombre un ser abierto al mundo. Esta apertura se expresa en el lenguaje a través de la facultad de juicio.

En el hombre, el pensamiento se constituye como juicio comunicativo consigo mismo y con los demás en donde el reconocimiento o no de lo que es dicho, permite o no la realización de la acción conjunta de lo que es pensado. El juicio se cierra como juicio de reconocimiento social (ya que el hombre sólo puede transformarse en sociedad), en el cual locutores y auditores juzgan cada vez su realidad como siendo verdadera y real, en la medida en que han debido, precisamente, pensarla como verdadera para poderla juzgar.

Palabras claves: práxico, compensación, noético, facultad de juicio, juicio comunicativo.


L'homme inachevé

Le contraste avec les animaux peut nous aider à mieux nous connaître. Lorsque l'homme parle d'eux, il traite plus de lui-même, de ses espoirs, de ses ambitions, de ses peurs ou de ses fantasmes, que de ce que les animaux sont. La différence entre l'homme et l'animal a été analysée par plusieurs auteurs. Depuis Aristote on pensait qu'une échelle du plus petit vers le plus grand organisait la nature et que, sur cette échelle, l'homme occupait une place privilégiée car il pouvait réfléchir à ce à quoi il avait pensé auparavant. Plutarque qui était très sensible à l'intelligence des animaux, se laisse convaincre par Soclarus que leur capacité intellectuelle ou réflexive est semblable à une "vision myope et brouillée." Descartes quant à lui, expliquait cette différence en argumentant que la res cogitans était absente chez les animaux machines. La seule différence, disait-il, entre les machines fabriquées par les artisans et les différents corps que la nature seule compose est que "les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts ou d'autres instruments qui ont une proportion avec les mains de ceux qui les font, tandis que les corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens." Buffon malgré son expérience scientifique, n'a pas hésité à classer l'animal, parmi les objets de la nature, au premier rang de ceux qui ont une supériorité sur les êtres inanimés car il a beaucoup plus de contacts avec le monde extérieur; voilà pourquoi "il est au-dessus du végétal et le végétal au-dessus du minéral. L'homme, de son côté, est en possession d'un langage, il est le chef-d'œuvre de la création." D'autres penseurs contemporains adhèreront aux raffinements de l'intelligence atteints par l'homme, dépassant ainsi l'agir animal. Chacune de ces conceptions a recours, dans son argumentation, soit au degré de développement organique, soit à la supériorité de l'homme dans sa course évolutive. Rares sont les auteurs qui, pour évoquer les différences entre l'homme et l'animal, acceptent de concevoir chacun d'eux comme des organismes différents, avec des fonctions différentes et une organisation du monde différente. C'est ce que nous allons tenter maintenant: il faut pouvoir établir cette différence entre l'homme et l'animal sans anthropologiser l'animal, et sans naturaliser l'homme. Pourquoi ne pas parler de l'animal et de l'homme comme des organismes irréductibles l'un à l'autre, capables, dans beaucoup de domaines, d'établir des symbioses? Une nouvelle voie de recherche authentiquement biologique et comportementale, en un mot éthologique, apparaît avec Jakob von Uexküll, Konrad Lorenz, et Boris Cyrulnik, pour qui l'homme occupe une position différente de celle des animaux et s'affiche comme un être praxique et noétique en même temps.

Praxique veut dire ici que l'homme est un animal qui se présente à lui-même comme une tâche, en tant qu'être inachevé aussi bien du point de vue biologique que du point de vue éthologique, à la différence de toutes les autres espèces. Il est aussi un être noétique car il ne peut pas vivre sans réfléchir et il consomme plus de symboles que de choses. La question autour de cette différence doit être résolue, non seulement en faisant la comparaison entre le chimpanzé et l'homme mais aussi, comme le propose Arnold Gehlen en répondant à la question: comment cet être qui, par essence, n'est comparable à aucun autre animal, peut-il vivre?

Du point de vue morphologique, on sait que l'homme est un animal sans aucun type de spécialisation et, en conséquence, un être chargé de primitivisme. Sa non spécialisation n'est pas seulement d'ordre organique, elle concerne aussi l'entourage où il habite. L'anatomiste hollandais Louis Bolk (1866-1930) montra, dès 1926, les différents primitivismes présents chez l'homme, par rapport aux mammifères supérieurs: carence de pelage à la naissance, ce qui fait de sa peau l'une des plus inadaptées du royaume animal; carence d'organes d'attaque pour sa défense (cornes, griffes, mimétisme); carence d'organes spécialisés dans la fuite; dentition primitive;

structure indéterminée au niveau de sa mandibule, laquelle n'est classable ni chez les herbivores, ni chez les carnivores; besoin impérieux de protection rigoureuse et prolongée pendant la période d'allaitement et l'enfance; pénis pendule sans protection chez l'homme et vagin en position primitive (ventrale) chez la femme; perte de la pigmentation des cheveux, des yeux et de la peau (son "albinisme" disait Lorenz). Enfin, en acceptant la comparaison avec les grands singes, l'homme est un être désespérément inadapté.

Le fait de manquer d'adaptation organique par rapport à lui-même et vis-à-vis de son environnement fait de l'homme un être ouvert au monde. En effet, à la différence des autres animaux, il ne possède pas de coordination extra-spécifique; du point de vue héréditaire, il ne sait pas comment réagir face à son milieu. Son primitivisme organique et l'absence d'environnement spécifique font de l'homme un animal incapable de vivre naturellement. Du point de vue éthologique, il ne possède aucun entourage qui lui soit particulier et doit, non pas tant s'adapter au milieu où il désire vivre que le transformer. Cela implique que l'homme doit dépasser cette carence en développant des techniques et des technologies qui remplacent (compensent) chacune des parties défaillantes au niveau biologique ou celles qu'il ne possède simplement pas. Voilà pourquoi nous sommes animaux de compensation. Un homo compensator.1 Les armes sont inventées pour remplacer les systèmes de défense inexistants, les manteaux en fourrure pour dépasser l'inadaptation climatique de la peau, les animaux sont dressés pour supporter des charges ou aller à une plus grande vitesse, l'avion remplace les ailes. Enfin, l'homme décharge toutes ses carences et ses inadaptations dans des instruments qui lui sont extérieurs et qu'il doit inventer. Arnold Gehlen pense que c'est justement parce que l'homme est un animal de carence qu'il est un animal de décharge, un animal praxique. La décharge apparaît comme le dispositif grâce auquel l'homme rend possible tout ce qui n'est pas à sa portée. Il utilise lors de chaque situation problématique des instruments qui sont extra-naturels par rapport à sa dotation biologique d'origine. De manière générale, on appellera culture chacune des transformations produites par l'homme et chacun de ces dispositifs qu'il crée pour rendre sa vie possible.

La culture, de ce point de vue, doit être considérée comme un dispositif anthropobiologique de réponse face à cette carence, c'est-à-dire comme un ensemble d'instruments à partir desquels l'homme se donne un "entourage éthologique", et, en même temps, un système de décharge de tout ce qu'il ne peut pas réaliser directement. L'homme ne peut pas vivre dans la nature sans la transformer ; la culture est donc son milieu éthologique, sa deuxième nature2 dans le sens où elle est mise à sa disposition. On voit ainsi que tous les retours philosophiques qui imploraient "l'humanisme naturel" de l'homme, ou les retours religieux d'une "bénédiction divine" de l'homme, ou même les retours scientifiques qui parlaient d'un "degré de perfection évolutive supérieure" ne sont rien d'autre que des jouissances anthropocentriques qui méconnaissent la dynamique de l'organisation de l'être vivant que nous sommes.

La division entre un homme naturel et un homme culturel est ici sans fondement. Comme le dit Gehlen l'homme est par nature un être culturel. Si derechef l'on acceptait ces divisions, on présupposerait qu'un homme est capable de vivre sans transformer son milieu, comme s'il était capable de résoudre les problèmes à partir de ses seules capacités organiques innées, ce qui est faux. Il n'y a pas un seul endroit au monde où l'homme le plus arriéré n'ait pas eu à le modifier pour y vivre. Il a dû créer des outils, des instruments, des techniques, en d'autres termes un "savoir" pour se décharger de sa carence organique et en même temps trouver une orientation et une gratification. Seul un être inachevé comme l'homme peut être "condamné" à créer sa propre vie, à s'orienter et à se gratifier dans celle-ci, c'est-à-dire être obligé de s'établir et de se reconnaître comme un être de culture.

L'avorton chronique

Des chercheurs tels que Louis Bolk, Adolf Portmann, ou Stephen Jay Gould, ont remarqué que certains mammifères inférieurs (insectivores ou rongeurs) voient le jour après une très courte période d'incubation; mais un grand nombre de petits naissent en état d'immaturité parce que leurs sens sont encore fermés au monde. Chez certains mammifères supérieurs, comme les baleines et les phoques, les naissances sont moins importantes mais l'incubation est prolongée, dépassant cet état précaire. Les petits possèdent l'avantage de ressembler beaucoup, dès la naissance, à ce qu'ils seront à l'état adulte. De ce point de vue, l'ontogenèse humaine occupe une place particulière dans le monde des vertébrés car l'être vivant se présente comme un mammifère inférieur. C'est seulement à l'âge d'un an que l'homme atteint le degré de formation qu'a un mammifère bien formé à sa naissance. Cela veut dire que, comme l'affirme Portmann notre gestation devrait être de vingt et un mois au lieu de neuf.

C'est Bolk qui a étudié le plus profondément la retardation de l'être humain en insistant sur un fait: le problème de la genèse de la forme humaine est distinct de celui qui concerne la descendance de l'homme. En cela, il n'introduit pas le doute sur l'origine phylogénétique commune à l'homme et aux autres primates, mais se penche sur le problème de la forme corporelle de l'homme et la façon dont celui est arrivé à être ce qu'on est. Quelle est l'essence de l'homme en tant qu'organisme? Quelle est l'essence de l'homme en tant que structure corporelle? En proposant d'étudier la physiologie de l'anatomie humaine, Bolk veut démontrer que "l'essence de notre forme est le résultat d'un facteur organique dû au développement interne qui agit par l'intermédiaire d'une partie déterminée de l'organisme."3 Il s'agit de montrer que l'essence du morphon humain est un symptôme du bion.

En analysant la forme de l'être humain, on ne peut donner la même valeur aux différentes caractéristiques corporelles. Bolk distingue les caractéristiques primaires et les caractéristiques consécutives. Les caractéristiques consécutives sont toutes les adaptations à la verticalisation, elles correspondent aux adaptations mécaniques étudiées par André Leroi-Gourhan par exemple et qu'il a nommées la mécanique vivante;4 Bolk ne les prendra pas en compte dans cette analyse:

    "Je rejette le postulat impliquant que la station droite est l'agent primaire du corps et que les caractéristiques spécifiques du corps humain en dérivent. La station droite est à mon avis une adaptation nécessaire à des modifications qui sont issues d'autres caractères essentiels: c'est un phénomène dérivé. L'origine de l'homme n'est pas dans le redressement du corps, mais c'est parce que le corps prenait un aspect humain que l'homme s'est tenu droit."5

Les caractéristiques primaires, elles, sont les résultats de l'action des facteurs de développement qui ont déterminé notre forme organique. Bolk donne un premier répertoire de ces caractéristiques: l'orthognatie, l'absence de poils, la perte de pigment de la peau, la perte de pigment des cheveux et des yeux, la forme des pavillons de l'oreille, le pli mongolien, la position centrale du foramen magnum, le poids élevé du cerveau, la persistance de la fontanelle, les grandes lèvres chez la femme, la structure de la main et du

pied, la forme du bassin, la position dans le plan ventral de l'orifice génital chez la femme, certaines variations de la dentition et des sutures crâniennes et la forme du menton. L'idée centrale est celle-ci: "Des attributs et des relations structurales qui sont transitoires chez les primates se sont, chez l'homme, stabilisés [...]. Un stade transitoire chez le singe est devenu chez l'homme un stade définitif."6 Cela veut dire que ces caractéristiques primaires se trouvent chez les fœtus de tous les primates, bien qu'ils les perdront ultérieurement. C'est pourquoi les fœtus des singes inférieurs et des anthropomorphes ont un aspect humain. La loi biogénétique annoncée par Ernest Haeckel en 1886 ne fonctionne pas ici. Pour Haeckel "l'ontogenèse est une répétition, une récapitulation abrégée et rapide de la phylogenèse, en accord avec les lois de l'hérédité et de l'adaptation". Selon Bolk, c'est l'inverse qui est vrai: le développement des primates correspond à une phase finale qui manque chez l'homme7. Il ne nie pas l'évolution, il la considère comme un principe et non comme un résultat, elle est une fonction de l'humain et non de l'individu. Les humains ont un développement que Bolk nomme conservatif, tandis que celui du singe est propulsif, "l'homme est du point de vue corporel un fœtus de primate parvenu à sa maturité sexuelle."8 Notre forme adulte a été fœtalisée, le processus d'hominisation a donc consisté fondamentalement en une fœtalisation. Deux facteurs ont créé l'homme: d'une part, l'adaptation des caractéristiques consécutives (celles qui sont postérieures à la verticalisation); de l'autre, la conservation des caractéristiques primaires (la retardation).

L'origine de la fœtalisation

Louis Bolk nous dit que la fœtalisation n'est pas le produit d'une adaptation à des circonstances extérieures changeantes, ni le fruit de la sélection naturelle ou sexuelle, elle n'est pas la conséquence de la "lutte pour la vie". C'est un caractère interne et fonctionnel qui en est le responsable. Chez l'homme, l'essence de son organisme est la lenteur du cours de sa vie, structurée par une période infantile prolongée, une vieillesse longue et une vie presque somatique lorsque les fonctions germinales se sont arrêtées. Si l'essence de la structure de l'être humain est la fœtalisation, l'essence de son existence comme organisme est la conséquence d'une retardation. Pour Bolk ce sont les sécrétions internes, une modification du mode d'action du système endocrinien qui est le responsable de l'anthropogenèse humaine. Il renverse ainsi le problème de la genèse de l'homme: notre évolution vient de l'intérieur et non pas de l'extérieur. Le développement des hominidés s'est produit grâce à une influence inhibitrice d'ordre endocrinien qui, chez l'être humain, trouve son point culminant dans la suppression et l'élimination de certains caractères. On peut le constater avec la perte de pilosité, la perte de pigment de la peau, des cheveux et des yeux. Quand un ou plusieurs organes du système endocrinien sont malades, l'inhibition peut être levée ou, en tout cas, affaiblie; c'est ainsi curieusement que la pathologie témoigne de nos origines. Bolk nous donne quelques exemples: lors de maladies endocriniennes, la pilosité peut réapparaître, de même pour la pigmentation de la peau, pour la croissance de la mâchoire, pour l'os du front ou pour la fille pubère qui, à cinq ou six ans, est mûre sexuellement. De fait, Bolk accorde une place très importante au système endocrinien ou, comme il l'appelle, l'endocrinon; il s'agit d'un système directeur qui peut stimuler, bouleverser, ralentir ou supprimer un détail ou certains caractères d'un organisme: "Le système endocrinien, écrit-il, agit toujours comme un tout. Ces divers organes sont associés entre eux par coagissement, par une unité organisée dans le corps: c'est un organisme dans l'organisme, un imperium in imperio qui dirige et maîtrise."9

Convenons de la lenteur du cours de la vie humaine; chez l'homme, la conscience n'apparaît que tard, après la naissance; de plus, nous avons besoin de soins longtemps. Alors que le bœuf et le cheval doublent leurs poids (après 47 jours pour le premier et 60 pour le second), il en va de 180 jours pour l'homme et, comme le savons tous, les femmes mûrissent plus vite que les hommes! La comparaison de la dentition des autres primates avec celle de l'homme nous éclaire également: chez les premiers, dès la naissance, les dents de lait se développent et, du même coup, le remplacement par des dents permanentes. Chez l'homme, c'est à deux ans que les dents de lait sont au complet et quatre ans plus tard apparaît la première molaire; après un temps variant suivant l'individu, le processus de remplacement se met en marche. Le germen féminin est dans la même situation. Il peut fonctionner dès sa quatrième ou cinquième année mais le soma ne saurait supporter la conception puisque le germen est inhibé, ce qui pose un problème d'équilibre organique car la fin du développement opère à dix-huit ans; le corps ne peut supporter la conception qu'à onze ou douze ans, tandis que la maturité sexuelle est donnée à cinq ans.

L'absence de pilosité chez l'homme est un bon exemple d'un caractère primaire produit par la fœtalisation. Le singe inférieur arrive au monde avec tous ses poils. Les gibbons complètent leur pilosité peu de temps après la naissance. Pour les anthropoïdes, le corps se couvre de poils au bout de deux mois et la tête à trois mois. Et l'homme naît complètement nu; une pilosité partielle se développe pendant la puberté au niveau des aisselles et du pubis, la pilosité du reste du corps est réprimée. Le cuir chevelu échappe à cette répression mais on peut considérer la calvitie de l'homme comme un prolongement partiel de celle-ci. Le changement de nourriture est un formidable constat pour expliquer ce qui est arrivé à l'homme. Le passage d'un organisme frugivore à un organisme omnivore a été capital pour le métabolisme humain, ce qui pourrait en faire le responsable de cette retardation.

Pour sa part, l'endocrinon (système endocrinien) regroupe toutes les glandes à sécrétion interne plus les organes dits récapitulatifs de l'ontogenèse: la chorde, les reins embryonnaires, le protonéphros et le mésonéphros. "Ces organes ne sont donc pas des vestiges illustrant la loi biogénétique fondamentale; ils participent activement au développement de la forme de l'individu pendant un laps de temps bien délimité, comme c'est le cas par exemple pour le thymus."10

D'autres études ont été réalisées autour de la main et du pied et montrent que l'homme n'est jamais passé par une phase évolutive où ses mains aient été allongées comme celles des anthropoïdes; il en va de même pour les pieds. Gehlen en veut pour preuve la découverte des os d'une main en Russie en 1941. Avec l'étude des os, on a pu reconstruire une main de l'âge de pierre. Cette main était large, courte, grosse et avec les doigts courts. C'est-à-dire terriblement humanoïde. Gehlen dira que l'homme possède un arbre généalogique propre jusqu'au tertiaire qu'il a continué à développer, tandis que les autres primates se sont éloignés de cette ligne évolutive bien qu'appartenant à la même racine. Enfin, "l'homme ne procède pas du singe, c'est le singe qui procède de l'homme."11

Si l'évolution repose sur la spécialisation d'organes, on peut concéder que l'étude de la morphologie de ceux-ci ne peut pas être séparée de leur fonctionnement. Il n'est donc pas possible que l'homme soit postérieur à l'orang-outan, au chimpanzé ou au gorille, car cela aurait impliqué qu'il a évolué et ensuite, par réduction, il a emprunté le chemin contraire. qu'il a évolué et qu'ensuite, par réduction, il aurait emprunté le chemin contraire. On ne peut pas contredire la loi de Dollos12 qui empêche, dans les termes d'une évolution, de faire marche arrière.

Une autre explication de la retardation est donnée par l'étude de la modification du bassin féminin. Le prix Nobel de médecine 1973, Christian de Duve a montré qu'en termes d'ADN nous sommes identiques aux chimpanzés, dans une estimation de l'ordre de 99,9 %. La différence génétique est très faible, et de se demander: "En quoi consista donc la modification minime de notre génotype, qui exerça une telle influence sur le produit de son expression, le phénotype? Il est fort probable que nous devons ce changement au fait d'être retardés, à ce qu'on appelle, en termes scientifiques, la néoténie."13 Du point de vue morphologique, avec l'arrivée de la position verticale, le bassin féminin s'est rétréci, empêchant l'homme de réaliser son développement complet au stade intra-utérin. Christian de Duve pense que le nouveau-né humain est un prématuré dont la gestation ne peut être achevée à cause de la taille de sa tête. De telle sorte que seule une nouvelle transformation du squelette féminin aurait pu autoriser une naissance plus tardive. En effet, il y a chez l'homme un rapprochement entre les articulations du coxal, la colonne vertébrale et le fémur. Cela a d'abord pu être considéré comme une amélioration du bassin mais cette transformation a eu un effet non désiré: "[elle] complique les choses au moment de l'accouchement puisque [ceci] réduit l'espace osseux par lequel doit passer le fœtus au moment de la naissance."14

C'est ce ralentissement du rythme évolutif qui a permis au cerveau de poursuivre sa croissance pendant six millions d'années, et de donner les résultats que nous connaissons aujourd'hui. Le poids du cerveau humain a augmenté d'environ 16O grammes par million d'années ; mais l'on sait que depuis l'homme de Neandertal, il n'a pratiquement pas évolué, et cela est dû peut-être à l'apparition de la parole.15 La parole naît il y a 2OO OOO ans; 16O OOO années sont nécessaires pour que l'appareil vocal parvienne à sa conformation actuelle afin que les centres cérébraux réagissent à la parole. C'est alors seulement qu'un langage a pu être organisé afin de créer une culture et une civilisation. Mais cela ne disqualifie pas les autres espèces car, la vie même est intelligente. L'hétérogénéité des formes de vie est une preuve directe de la multiplicité de l'intelligence:

    "Autant les formes du vivant sont incroyablement variées et les corps dissemblants selon les pressions des milieux, autant la comparaison des cerveaux rend observable la cohérence de l'évolution. Jusqu'au moment où le cerveau des hommes ayant permis la création de mondes intermentaux, de milieux de pensées affranchis de la contextualité, l'évolution n'a plus son mot à dire, c'est la révolution qui parle ! Révolution ne veut pas dire progrès. La parole peut aussi bien innover que pétrifier, comme lors des litanies, des stéréotypies intellectuelles ou des mythes dogmatiques. Mais, dès qu'un homme parle, il remplit un espace intermental et c'est là, dans ce monde de représentations parolières, qu'il peut trouver de nouvelles solutions. C'est aussi là qu'il crée les problèmes qui gouvernent son existence et expliquent la folie humaine, celle qui n'existe que dans les représentations de mots et s'ajoute à la folie animale qui n'existe que dans les représentations émotionnelles. L'augmentation graduelle du lobe préfrontal et de ses connexions avec le cerveau de la mémoire et des émotions prouve qu'il n'y a pas de discontinuité, pas de coupure entre l'homme et les animaux, mais que l'émergence du langage, en créant un monde de représentations verbales, provoque une mutation des mondes mentaux."16

On peut tirer en tout cas au moins deux conséquences positives de la retardation telle que nous venons de l'exposer. Il y a d'abord une conséquence biologique: quand une espèce est trop bien adaptée à son environnement, des variations minuscules peuvent la tuer en faisant de cette "hyperadaptation" un indice de faiblesse. De ce point de vue, nos imperfections sont plutôt rassurantes puisqu'elles nous offrent la possibilité d'apprentissages, d'adaptations nouvelles aux inévitables variations du milieu que nous modifions par nos interventions techniques. Il y a aussi une conséquence bioculturelle: nous sommes à jamais, obligés de sortir de notre propre biologie et, par là-même, d'explorer la technique, la vie ensemble (société) et les règles nécessaires pour orienter nos comportements (culture). Comme le dit encore l'éthologue Boris Cyrulnik:

    "L'image de l'homme déficient, conquérant le monde à cause de sa faiblesse qui l'oblige à découvrir les prothèses techniques n'est que partiellement vraie. La phylogenèse du monde imperçu permet de proposer que l'homme appartienne à l'espèce la plus apte à habiter un monde absent, qu'il peuple de représentations verbales et sur lequel il agit au moyen de techniques qu'il découvre et transmet. Dans cet espace psychique, avant que la parole ne peuple le monde de l'imperçu, la technique crée une nouvelle écologie et change la manière dont nous nous éprouvons dans le monde. La chaise en tant que prothèse de pattes, l'avion en tant que prothèse d'ailes, les lunettes prothèses d'yeux, le biberon prothèse de sein et la boîte de conserve prothèse d'énergie changent notre représentation de l'espace et du temps. Quand les chasseurs-cueilleurs vivaient dans un monde proche, ils devaient chaque jour se procurer leur énergie, alors qu'aujourd'hui, grâce à nos prothèses, l'espace et le temps sont dilatés comme si notre univers devenait immense. Sous l'effet de la technique, notre faiblesse s'associe à notre mégalomanie pour modifier le sentiment de soi."17

En un seul mot, ne pouvant pas vivre que dans le monde du biologique, l'homme s'évade vers le monde de la culture. Comment le fait-il?

Du langage au jugement

C'est le langage qui sert de passerelle entre la nature et la culture chez l'homme. Il est aussi un mécanisme de décharge et compensation. En ce point, indiquons dès à présent quelques racines propres à la dynamique du langage. En premier lieu, nous savons que l'identification du bébé à l'écoute intra-utérine lui permet de trouver une première orientation et communiquer avec son extérieur.18 Cette communication est rendue possible par la colonne vertébrale: la voix de la mère se sert de celle-ci, comme mécanisme de transmission et de filtre, permettant le passage des sons aigus. "Cette voix maternelle constitue à n'en pas douter, la "pâte sonore" sur la quelle va se modeler le langage."19 Ceci n'est pas si radical qu'on ne le croit. Jean Feijoo a réussi à "conditionner" des enfants de vingt-deux semaines de gestation au son du basson de Pierre et le loup et non pas selon la modalité de la voix maternelle. Il a même réussi à les conditionner à la voix du père.20 Le son, en tant que base de l'orientation du bébé dans le monde, tire sa force du fait qu'il déclenche l'incitation à être continué. Comme les mouvements tactiles, les mouvements soniques, objectivent leur puissance dans la capacité de répétition. Lors de ses premiers mois de vie, le bébé est considéré comme un animiste qui croît que le monde lui parle. Etant donné qu'à cet âge le bébé ne peut pas distinguer entre le son émis et le son reçu dû à la simultanéité de l'émission/réception qui se trouve impliquée dans tout mouvement audio-phonique, le bébé jouit de cette « vie du son » par le seul déclenchement.21 Depuis 1971, des expériences, dont certaines avec des enfants de 3 ou 4 jours de vie, ont montré que les nourrissons savaient discriminer la quasi totalité des contrastes utilisés dans les langues naturelles.

Ils discriminent des contrastes de voisement, les contrastes de place et de mode d'articulation qui fondent les catégories phonétiques.22 C'est la prosodie -la « musique », la « métrique » de sa langue- que le bébé avait entendu pendant sa vie intra-utérine qui lui permet dans la vie aérienne, de choisir par exemple entre plusieurs voix qu'on lui présente, celle de sa mère. Bénédicte de Boysson-Bardies a montré comme le bébé peut reconnaître, un changement de phonème à l'intérieur de deux phrases comme dans « le (r)at poursuit la sourit blanche » et "le (ch)at poursuit la sourit blanche". De 6 à 7 mois le bébé est capable d'articuler de "quasi-syllabes" de l'ordre du "tatata", "papapa" ou "bababa"; qu'on appellera babillage canonique. Ce n'est pas par hasard que les syllabes par lesquelles débute le babillage sont comme nous venons de le voir "occlusives" ou "nasales", c'est-à-dire des consonnes comme [t] , [p] , [b] qui sont mélangées avec des voyelles centrales basses comme c'est le cas de [a].

On peut confirmer clairement dans le babillage, l'influence de la prosodie sur les actes phonatoires du bébé: les expériences montrent que les bébés arabes par exemple, présentent dans leur babillage des attaques fortes frictionnées et des syllabes accentuées correspondantes à la prosodie de leur langue d'origine. Les enfants français font tout le contraire et produisent des ondulations douces. Après les 6 mois, c'est-à-dire après le babillage "canonique" des [bababa] apparaît le babillage "varié" (entre 10 et 11 mois). La gamme des sons produits se fait plus grande et à chaque fois le chemin vers les mots s'ouvre un peu plus. Commencent alors les variations comme: /apff/, /pepff/ etc. Il est clair que cette possibilité de "pointer", de "se diriger vers" les choses par l'intermédiaire des sons stabilisés à 10 mois, permet à l'enfant de vivre dans le "futur" parce qu'il peut maintenant commander des actions à distance. Entre 11 et 12 mois le bébé a une "compréhension de reconnaissance."23 Comme le montre l'expérience de l'écran télévisuel chez l'enfant de 13 mois qui devant deux écrans de télévision avec deux images différentes est capable d'orienter son regard vers le bon écran (quand on lui dit, par exemple, le mot "chien" et qu'il y a effectivement un chien sur l'un des écrans). On est alors en face d'un nouveau traitement de la réalité.

Dans l'exercice de l'imitation, le bébé fera la correction phonétique des "quasi-mots", en leur donnant ainsi une stabilité plus grande. Au niveau de la représentation mentale il commencera d'abord à se référer aux choses à l'aide de "super catégories holistiques": par exemple, dans la catégorie de "chien" vont s'inclure tous les mammifères. Dans cet apprentissage du rapport, l'enfant utilise des indices prosodiques, syntaxiques, les rapports avec les adultes, etc. De même la prononciation des mots est multifactorielle: elle dépend de la culture, des parents, de l'organique, du tempérament de l'enfant, etc. Boysson-Bardies nous donne un exemple d'affection directe du milieu culturel sur l'enfant: il s'agit d'un petit américain de 16 mois qui dans son premier vocabulaire avait choisi le mot money comme étant nécessaire pour s'orienter dans son contexte propre! À 16 mois, les bébés connaissent 50 mots. À 18 mois, 100 mots. À 20 mois, 150 mots. À 24 mois, 250 mots. Lorsque l'enfant aura dépassé le seuil des 600 mots, la simple "référence" et la "nominalisation" laisseront leur place à la prédication et à la grammaire. C'est tout un système d'intériorisation du monde et des choses qui se met parfaitement en marche et, ainsi, l'enfant peut jouir des objets aussi bien dans leur présence que dans leur absence, en se servant pour cela du langage. À 2 ans, l'assimilation du système grammatical de la langue adulte commence à devenir effectif ; après 2 ans, l'enfant sera capable d'apprendre plus de 10 mots par jour et, par conséquent, il sera capable d'élaborer des phrases chaque fois plus complexes. Les soucis de l'enfant pour découvrir, apprendre et produire les sons de sa langue, c'est-à-dire d'exploiter son système phonétique, laissent la place à la découverte de l'organisation des règles qui organisent la prononciation ou le système phonologique.

Le vivant humain sort ainsi du destin de la prosopopée verbale dans laquelle, par exemple, le soleil lui parlait par sa seule brillance. Dorénavant la seule phrase pourra faciliter la disponibilité du soleil en détachant la perception du référent et l'énonciation du prédicat: "il n'a plus à consommer la perception du soleil brillant au moment où il dit et comprend l'énoncé: "le soleil est brillant". Dans l'expression du sujet de la proposition, le stimulus auditif reçu n'incite plus à l'action de se faire percevoir le référent nommé au moment où il parle, mais elle déclenche seulement l'action d'énoncer le prédicat [...], ici la réponse de brillance du soleil n'a plus à être exhibée comme propriété perçue de ce référent. La réception auditive du prédicat y est vécue comme action consommatoire elle-même, comme réponse suffisante à l'émission du sujet." Ceci est du à la façon dont se conjuguent acte prédicatif et référentiel dans l'acte propositionnel: "1 ) on ne peut isoler une réalité sans la penser conforme à ce que l'on prédique. C'est ce qui rend vrai le dicton frégéen: un nom n'a de signification (Bedeutung, de signification référentielle univoque) que dans une proposition. 2) on ne peut attribuer une propriété à un objet ou affirmer la présence d'une relation entre plusieurs objets sans isoler cet ou ces objets et reconnaître du même coup aux propriétés désignées prédicativement ou aux relations dont on affirme la présence entre ces objets, une réalité aussi réelle que celle des objets."24

La pensée aphonique constitue un jugement communicationnel avec soi même et avec autrui où la reconnaissance ou non de ce qui est dit permet ou non la réalisation de l'action conjointe de ce qui est pensé. Le jugement se ferme ainsi comme un jugement de reconnaissance sociale (puisque l'homme ne peut transformer sa vie qu'en société), dans lequel locuteurs et auditeurs jugent à chaque fois leur réalité comme étant vraie et réelle, dans la mesure où ils ont dû, précisément, la penser comme vraie pour pouvoir la juger.

Comment les interlocuteurs se reconnaissent-ils dans ce qui est dit? En jugeant en commun l'horizon et le destin de vie qu'ils partagent. En faisant reconnaître à leur auditeur à travers leur jugement communicationnel que la réalité par lui décrite est aussi réelle et aussi vraie qu'il la dit et qu'il la pense et que, par ailleurs, il devrait accepter. En pensant d'abord aphoniquement, le locuteur cherche à provoquer avec l'émission de son geste phonique la même conscience de réalité et de vérité dans son auditeur que ce dernier aurait dû appliquer à son propre jugement pour pouvoir le penser. Pour qu'il y ait accord, le locuteur doit se reconnaître dans ce qu'il dit, et l'auditeur doit s'identifier avec ce qu'on lui dit; et, en même temps, les deux doivent identifier cette vérité comme nécessaire et commune pour ainsi pouvoir la réaliser. C'est là le mécanisme structurel qui rendrait possible la connaissance et le jugement commun de l'homme.

Le langage devient la manière la plus efficace et la moins dangereuse de se mettre en rapport avec le monde: il suffit de le dire pour le "voir". En faisant du langage le seul rapport au réel qui décharge et compense en même temps toute activité organique, l'homme peut maintenant se reconnaître lui même et reconnaître autrui comme étant tous deux des êtres de communication qui ne peuvent transformer leurs vie qu'en se transformant en société, dira G. H. Mead. L'homme surmonte ainsi dans le langage sa condition organique "d'avorton chronique", c'est-à-dire, le fait d'être né un an avant sa maturation organique, car sa gestation aurait du être de 21 mois au lieu de 9 mois. Il surmonte également le manque de direction au niveau des pulsions en créant des "organes externes" d'autorégulation: les "institutions" et la "technique". Et, enfin, il se donne l'environnement éthologique qu'il ne possède pas au départ: la "culture". En conséquence, l'homme ne possède pas un schéma de comportement éthologique préétabli entendu comme un stimuli-reaction-action consommatoire pour réagir de façon préréglée; et, c'est en compensant ce manque par des institutions efficaces, c'est-à-dire jugées en commun (l'instituant de C. Castoriadis) qu'il peut sortir de sa condition d'animal inachevé et devenir un homo compensator. Les concepts d'"institution" et plus généralement celui de "culture", de ce point de vue, sont des concepts anthropobiologiques qu'on ne saurait supprimer à volonté.


Pie de página

1Voir sur ce sujet le beau livre de Marquard O., Filosofía de la compensación, Barcelona, Paidós, 2001.
2Gehlen A., El hombre. Su naturaleza y su lugar en el mundo, Salamanca, Sígueme, 1980, p. 42.
3Bolk L., "La genèse de l'homme", Paris, Arguments, No.18, 1960, p. 3.
4Leroi-Gouhran A., Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964. Pour un rapprochement entre les thèses de Bolk et Leroi-Gourhan, nous renvoyons à notre article, "Dinámica y mecánica viviente" in La filosofía en la ciudad, Cali, Universidad del Valle y Dirección de Cultura del Municipio de Santiago de Cali, 2000, pp. 221-264.
5Bolk L., "La genèse de l'homme", op. cit., p. 4.
6Ibíd., p. 4.
7Ibíd., p. 5.
8Ibíd.
9Ibíd., p. 8.
10Ibíd., p. 13.
11Gehlen A., El hombre. Su naturaleza y su lugar en el mundo, op. cit., p. 109 [c'est nous qui soulignons]. Pour approfondir sur cette thèse, voir l'excellent livre de Gould S. J. Darwin et les énigmes de la vie, Paris, Editions du Seuil, 1997. Surtout le chapitre intitulé « Le véritable père de l'homme est l'enfant. », p. 64-71.
12Sur ce point, Lorenz interprète ainsi la néoténie et la loi de Dollos: "Il faut attacher beaucoup plus d'importance qu'on ne le fait parfois à la réalité indiscutable de la néoténie partielle chez l'homme, dès lors que l'on veut reconstruire sa généalogie probable. La loi de Dollos sur l'irréversibilité de la spécialisation connaît en effet une exception très importante dès qu'il y a des manifestations de néoténie." In Trois essais sur le comportement animal et humain, Paris, Seuil, 1970, p. 227 [c'est nous qui soulignons]. Il ne faut pas oublier que pour Lorenz, la néoténie de l'homme est une conséquence de la domestication: "L'ouverture au monde" de l'être humain dans laquelle Gehlen voit un caractère distinctif et constitutif, la large indépendance dont il jouit à l'égard des assujettissements spécifiques et héréditairement déterminés à l'environnement propre sont des traits essentiels qui, en très grande partie, sont la conséquence de la dégénérescence conditionnée par la domestication, de types d'actions et de réactions innées et fixes." Ibíd., p. 145 [c'est nous qui soulignons].
13Duve C. de, Poussière de vie, Paris, Fayard, 1996, p. 402.
14Arsuaga L., Martinez I., La especie elegida, Madrid, Temas d'hoy, 1998, p. 98.
15Les récentes découvertes d'une équipe allemande dirigée par Svante Pääbo et Mathias Krings ont montré, à partir d'une analyse comparative de l'ADN de Neandertal que ce dernier est vraiment différent du nôtre, et par conséquent qu'il "sort de notre arbre généalogique": "Nous l'avons d'abord séquencé puis avons comparé les paires de bases qui le composent avec celles de l'ADN de 1 500 individus modernes, des échantillons venus du monde entier. Et aujourd'hui nous sommes formels, l'ADN de Neandertal était vraiment très différent du nôtre. On ne peut pas imaginer descendre de lui. " In Libération, 13 juillet 1997, pp. 2-3
16Cyrulnik B., L'ensorcellement du monde, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 79.
17Ibíd., p. 256.
18Sans doute dès son arrivé au monde tous les comportements du bébé ne sont pas acquis. Le neurobiologiste Gerald Edelman pense qu'une pre-organisation héréditaire de 10 000 à 50 000 neurones accompagne le bébé à la naissance. Edelman G., Biologie de la conscience, Paris, Odile Jacob, 1992.
19Tomatis A., La nuit utérine, op. cit. p.153. [c'est nous qui soulignons]. En effet, au moment de naître, l'enfant a déjà configuré un horizon ; il a appris à se donner une orientation pendant sa vie utérine. Il écoute au moins deux genres de sons: 1)endogènes: les sons qui se produisent à l'intérieur du ventre maternel comme les mouvements gastriques, du cœur, des poumons, ou d'autres organes. 2)exogènes: les sons venus de l'extérieur supérieurs à 105 dB SPL, susceptibles de produire une stimulation réactogène.
20"Dans une autre série d'expériences, j'ai utilisé comme stimulus sonore non plus le basson de Pierre et le loup mais certains mots, bien précis, dits par le père de l'enfant et enregistrés sur un magnétophone (en m'assurant, bien entendu, qu'ils se situaient dans une bande inférieure à 2 000 Hz). Cette petite série préliminaire montrait que cela semblait "marcher" de la même manière: lorsque le père, après la naissance, prononçait ces fameux mots dans l'ordre prédéterminé, l'enfant, s'il pleurait, se calmait immédiatement. Alors, j'ai pris la précaution de prévenir le père ne pas s'amuser plus tard avec ces fameux mots et leur "pouvoir" [...] mais le père a continué. Il s'est passé deux choses: dans un premier temps, l'enfant a été conditionné à la voix paternelle: quels que soient les mots, lorsqu'il parlait, l'enfant se calmait. Dans un second temps, il y a eu ce que l'on appelle une habituation et, peu à peu, le pouvoir du conditionnement a disparu." Feijoo J., "Le fœtus, Pierre et le loup..." In L'aube des sens, op. cit., pp. 207-208.
21"Par opposition au cri de faim, l'émission phonique et sa réception auditive du babil sont immédiatement gratifiantes: la conscience de réception ne pouvant se différencier de la conscience d'émission pour l'organisme émetteur, le plaisir de réception auditive est simultané au plaisir d'émission. L'appel y devient sa propre réponse et se vit comme tel, sans le temps de latence qui sépare l'appel du cri de nutrition, de la satisfaction alimentaire. L'usage des sons, chargés dans les cris d'une valeur de déplaisir, inverse ainsi sa propre valeur en valeur de plaisir." Poulain J., L'Âge pragmatique ou l'expérimentation totale, L'Harmattan, 1991, p. 27.
22Boysson-Bardies (B.), Comment la parole vient aux enfants, op. cit. p.32.
23Nous voulons dire par là, que dans l'expérimentation du monde le bébé est encore prisonnier d'un schéma dans lequel les mots ont besoin de la matérialité présente des choses pour pouvoir se mettre en rapport avec elles. Autrement dit, le bébé n'a pas encore une "compréhension symbolique" des mots. La corticalisation de sons de plus en plus stabilisée, permettra une approche performante vis à vis des choses, en rendant possible l'"internalisation". Cette internalisation n'est autre chose que la possibilité de garder en mémoire un genre d'objet, grâce à un mot. Nous voulons dire par là, que dans l'expérimentation du monde le bébé est encore prisonnier d'un schéma dans lequel les mots ont besoin de la matérialité présente des choses pour pouvoir se mettre en rapport avec elles. Autrement dit, le bébé n'a pas encore une "compréhension symbolique" des mots. La corticalisation de sons de plus en plus stabilisée, permettra une approche performante vis à vis des choses, en rendant possible l'"internalisation". Cette internalisation n'est autre chose que la possibilité de garder en mémoire un genre d'objet, grâce à un mot.
24Poulain J., L'Âge pragmatique ou l'expérimentation totale, op. cit., p. 34. Pour une démonstration du point de vue logique de cette loi, voir: Jacques Poulain, La loi de vérité ou la logique philosophique du jugement, Albin Michel, 1993.

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