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Universitas Philosophica

Print version ISSN 0120-5323

Univ. philos. vol.31 no.62 Bogotá Jan./June 2014

 

LA CONDITION D'OUVERTURE ET L'ÉTAT D'ÉLANCEMENT VERS : MÉTAPHYSIQUE DE LA VIE CHEZ HEGEL

LA CONDICIÓN DE ABERTURA Y EL ESTADO DE DIRECCIÓN HACIA : METAFÍSICA DE LA VIDA EN HEGEL

THE OPENNESS CONDITION AND THE STATE OF BEING ORIENTED TOWARDS : A METAPHYSICS OF LIFE IN HEGEL

Juan Pablo Ramírez Giraldo*

*Université de Montréal, Québec, Canada.
La présente étude est le résultat des recherches réalisées sous la direction du professeur Jean Grondin dans le séminaire « Ontologie et métaphysique » dirigé aux étudiants de doctorat dans l'université de Montréal (Automne, 2012). Je remercie les suggestions réalisées pour le professeur Grondin à cet article.

Recibido : 17.04.13 Aceptado : 30.11.13


RÉSUMEN

Le présent article prétend proposer une lecture métaphysique de trois problèmes que croisent le cœur de la Phénoménologie de l'esprit : a) la condition d'ouverture constitutive de l'esprit ; b) l'état d'élancement Vers : le Désir ; et c) la condition d'ouverture et l'étatd'entrainé vers : la VIE. Pour arriver à l'élaboration de cette clé de lecture, nous diviserons la présente étude en trois parcours qui seront organisés à partir de deux figures cordonnées : la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers. Dans le premier parcours, nous essaierons de caractériser la condition d'ouverture et, sommairement, l'état d'élancement Vers qui caractérise l'esprit individuel au niveau de la certitude sensible ; dans la deuxième démarche nous examinerons l'état d'élancement Vers comme Désir ; et, finalement, nous nous ferons une réélaboration générale de nos deux figures en tant que conditions qui rendent possible la VIE de l'esprit.

Mots clés : Hegel, condition d'ouverture, l'état d'élancement vers, désir, métaphysique et vie de l'esprit


RESUMEN

Este artículo propone una lectura metafísica de tres problemas que atraviesan el corazón de la Fenomenología del Espíritu: a) la condición de abertura constitutiva del espíritu; b) el Deseo como estado de dirección Hacia; y c) la vida como condición de abertura y como estado de dirección Hacia: la VIDA. Para llegar a la elaboración de esta clave de lectura, dividiremos el presente estudio en tres recorridos organizados a partir de dos figuras coordinadas: en el primero, trataremos de caracterizar la condición de abertura y de manera abreviada el estado de dirección Hacia que caracteriza al espíritu individual en el nivel de la certeza sensible; en el segundo, examinaremos el estado de dirección hacia Hacia, como Deseo; y, finalmente, reelaboraremos las dos figuras entanto condiciones que hacen posible la VIDA del espíritu, en general.

Palabras clave: Hegel, condición de abertura, el estado de dirección hacia, deseo, metafísica y vida del espíritu


ABSTRACT

This article draws on a metaphysical reading of three stages related to the Phenomenology of spirit: a) openness as a constitutive spirit condition; b) desire as a state of being oriented towards; and, c) life as an openness condition and as a state of being oriented towards. In order to achieve such metaphysical reading, this study takes on three intertwined paths drawing on two co-dependent figures: the openness condition and the state of being oriented towards. The first path introduces openness as a constitutive spirit condition and, roughly, the state of being oriented towards as part of the individual spirit at the sensitive-certitude level. The second path presents the state of being oriented towards, this being understood as will and, finally, the third path revisits these two figures drawing on the idea of conditions making possible the spirit's LIFE.

Key words: Hegel, openness as a constitutive spirit condition, desire, state of being oriented towards, metaphysics and spirit's life


« Hegel est à l'origine de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un siècle, -par exemple du marxisme,
de Nietzche, de la phénoménologie et de l'existentialisme allemand, et de la psychanalyse »

Maurice Merleau-Ponty (1966 : 109-122)1.

Il serait bien prétentieux à l'intérieur du présent exercice de discuter l'ensemble des sens, des objets ou des formes de pensée qui s'articulent à une réflexion philosophique qui se déclare métaphysique. De la même manière, il serait bien prétentieux aussi d'essayer l'élaboration d'une approche historique au terme de métaphysique, ou bien d'entrecroiser différentes discussions afin de propulser une autre compréhension d'un problème en métaphysique. Notre prétention est plus restreinte. Nous voulons proposer une lecture métaphysique de trois problèmes que croisent le cœur de la Phénoménologie de l'esprit2, en tant que discours qui essaie de comprendre l'émergence de la totalité du réel. Les trois problèmes que nous aborderons sont : a) la condition d'ouverture constitutive de l'esprit ; b) l'état d'élancement Vers : le Désir ; et c) la condition d'ouverture et l'état d'entrainé vers : la VIE.

Mais avant d'aborder les problèmes qui nous intéressent, il faut justifier la possibilité de notre lecture métaphysique de la Phénoménologie de l'esprit. À notre avis, il y a au moins deux arguments -extérieurs à la phénoménologie- qui nieraient la valeur de notre effort, et deux arguments -de la Phénoménologie- qui appuieraient la réalisation d'une lecture métaphysique de l'œuvre capitale de Hegel et de nos trois problèmes.

Un premier argument contre notre entreprise serait la caractérisation de la position typiquement antimétaphysique de Hegel. À plusieurs reprises dans son l'ouvrage, le philosophe de Stuttgart fait référence à l'ancienne métaphysique comme un savoir historique dépourvu d'intérêt (Cfir. Hegel. 2010: 7). Seulement, soulignait Hegel, la philosophie postcritique peut conduire la conscience à la forme la plus haute du savoir et faire tomber l'ensemble des démonstrations caractéristiques de la métaphysique dogmatique, en tant que savoir étranger aux possibilités mêmes de la connaissance3.

La caractérisation précédente de la position de Hegel pourrait rendre évident la prétention naïve de notre entreprise, mais nous voudrions répondre que cette caractérisation est assez limitée. Le système hégélien -à l'égal d'autres systèmes philosophiques de cette époque-là- dirige ses critiques vers la forme spéculative que constitue de l'ancienne métaphysique, mais, en même temps, suppose la possibilité d'une métaphysiquepostcritique capable de comprendre les problèmes traditionnels à partir de la force interprétative caractéristique de la connaissance4.

Un deuxième argument qui pourrait nous empêcher de continuer notre entreprise se trouve au début de l'introduction au concept générale de logique (Cf. Hegel, 2010: 23). D'après Hegel, la philosophie critique kantienne avait déjà transformé la métaphysique en logique en apportant un sens essentiellement subjectif aux déterminations logiques, cependant, cette transformation n'était pas suffisante car elle restait enracinée dans un subjectivisme qui enfermait la conscience. La philosophie postcritique, affirmait Hegel, doit radicaliser l'image de la métaphysique comme logique et libérer la conscience de ce subjectivisme essentielle qui suppose la conscience comme incapable de s'élever et d'examiner les choses comme elles sont en soi et pour soi -comme ce qui est logique et purement rationnel-(Cf. Hegel, 2010: 30).

La figure d'une conscience capable de s'élever et d'examiner les choses comme elles sont en soi et pour soi, affirmait Hegel, garantit la possibilité de franchir la limite transcendantale que la logique critique de Kant avait imposée à la connaissance de l'absolu5. Hyppolite comprend bien ce franchissement de la limite transcendantale ou, en d'autres termes, cette transformation radicale de la métaphysique en logique. Selon le philosophe français, il est fondamental de comprendre que le système de Hegel a l'intention de réduire « [...] la métaphysique à la logique [...] » à travers deux présupposés : « il n'y a pas de second monde, il y a un Logos et une vie spéculative absolue » (Hyppolite, 1961 : 69-87).

Mais pour quoi insister dans notre entreprise? Un premier argument en faveur de notre lecture, c'est de comprendre la Phénoménologie hégélienne dans un sens principalement métaphysique. À notre avis, la Phénoménologie de l'esprit est une œuvre principalement métaphysique -qui précède à la Science de la logique- car elle traite de l'émergence de l'être qui nous apparaît6 et qui se révèle phénoménologiquement7.

Si notre affirmation est valide, nous pourrions dire que la métaphysique hégélienne est un effort rationnel pour comprendre les principes qui constituent la totalité du réel en supposant que la réalité même est totalement rationnelle. Après tout, ce qu'on appelle le système hégélien n'est que l'effort de l'esprit pour obtenir une rationalisation intégrale du réel, tel que l'avait proposé Leibniz sous la formulation de la fondation-en-raison (Begründung).

Un deuxième argument qui justifierait une lecture métaphysique se trouve dans la construction même de la Phénoménologie de l'esprit. La Phénoménologie est une œuvre qui reflète le drame de l'esprit qui à chaque fois arrive à une synthèse plus large -d'une région plus grande du réel- sans arriver véritablement à l'absolu. L'histoire de ces synthèses est la vie même de l'esprit qui se pose comme absolu dans chaque époque sans avoir une pleine conscience -au moins dans plusieurs moments de son développement-de sa condition de moment synthétique qui s'articule à l'histoire complète de l'humanité.

Cela est la conscience métaphysique qu'apporte la Phénoménologie de l'esprit : une vérité qui se déclare comme explicative de la totalité du réel à l'intérieur d'une époque est, en suivant Hegel, la démarche caractéristique de l'esprit qui s'étend vers l'absolu à partir de sa propre finitude. « Cet être-là (Dasein), cet être dans le temps, n'est pas seulement un moment de la connaissance individuelle en général qui comme tel est essentiellement fini, mais aussi un moment du développement de l'Idée philosophique dans l'élément du penser » (Hegel, 1970 :53).

Si nous acceptons les arguments justifiants une lecture métaphysique. il nous est possible d'énoncer les trois problèmes qui seront objets de notre recherche et qui se dérouleront en trois parcours à partir de deux figures cordonnées : la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers. Dans le premier parcours, nous essaierons de caractériser la condition d'ouverture et, sommairement, l'état d'élancement Vers qui caractérise l'esprit individuel au niveau de la certitude sensible ; dans la deuxième démarche nous examinerons l'état d'élancement Vers comme Désir ; et, finalement, nous nous ferons une réélaboration générale de nos deux figures en tant que conditions qui rendent possible la VIE de l'esprit.8

1. La condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers : l'esprit individuel

Ce que nous nous proposons d'aborder ici est la compréhension hégélienne de la condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers en tant que conditions de possibilité de l'expérience de l'esprit. Nous ne voulons pas faire une présentation générale des mouvements de l'esprit (subjectif, objectif et absolu) constitutifs de la philosophie de Hegel. Notre intention est celle d'explorer la possibilité de l'expérience à partir de nos deux figures (ouverture et élancement Vers) afin de caractériser l'argument métaphysique qui lui est subjacent. Commençons la reconstruction de nos deux figures.

Au cours de la Préface à la Phénoménologie de l'esprit, Hegel distingue la réalité (Realitât) de la condition effective de la réalité ( Wirklichkeit). Tandis que la première est essence ou apparence9, la deuxième (Wirklichkeit) est la manifestation de l'unité concrète qui se déploie dans le temps contenant en soi ce qu'Aristote appelle la possibilité (δύναμιζ) (Aristote, Méta, Liv. IX, 25-1045b à 29-1046). De la même manière que le germe contient en puissance toutes les qualités de l'arbre, elle n'est pas encore l'arbre-même comme réalité effective (Wirklichkeit). Même si le germe contient l'arbre en puissance, il n'est pas espace-temporellement (Ici et Maintenant) l'unité concrète : Arbre (Hegel, 1970 : 123). Il est vrai que le germe n'est pas l'Arbre, mais il est indéniable que le germe est déjà une unité concrète (en soi-même) traversé par une orientation Vers qui déterminera la façon de son déploiement. Le germe, et toute autre chose, est une unité concrète traversée par une rationalité qui se déploiera progressivement d'une façon déterminée.

D'après Hegel, la rationalité qui croise le cœur de la réalité effective dévoile la possibilité du savoir de l'esprit. L'esprit rationnel est capable de saisir la réalité (Wirklichkeit), car la réalité se déploie rationnellement dans le temps et dans l'espace et, car il (l'esprit) est capable de sentir les développements progressifs de l'unité concrète qui est ancrée au centre de l'immédiateté (Cf. Hegel, 2012 : 59). Ainsi, la réalité effective est. notait Hegel, la scène qui héberge deux unités distinctes en sa capacité de sentir : l'esprit individuel et la chose. Bien que les deux soient soumises à l'immédiateté du temps, l'une des deux peut sentir d'une façon spécifique en prenant distance et en se plaçant en face de ce qu'elle n'est pas.

Mais, comment est-elle constituée l'unité concrète qui sent ? Hegel caractérise l' unité concrète qui sent à partir de deux conditions propres de l'esprit. Suivant le philosophe de Stuttgart, ce qui sent se trouve constamment Ouverte et Élancée Vers les objets du monde. À cause de cette condition originelle (ouverte), l'unité qui sent est bien soumise à l'immédiateté fugace du temps, mais elle est originalement disposée (élancée Vers) à sortir à la découverte de ce qu'elle n'est pas (non-être) (Cf. Hegel, 2012 : 132). La condition d' ouverture et l'état d'élancement Vers qui caractérise ce qui sent, en suivant de près l'auteur de la Phénoménologie, sont la preuve incontestable de l'orientation originelle de l' esprit singulier vers l'extérieur, étant donné que seulement ce qui sent peut se trouver face à un objet enraciné dans l'espace et dans le temps.

En mots de Hegel :

On n'est pas censé concevoir l'absolu, mais le sentir et le contempler, ce n'est pas le concept, mais le sentiment qu'on en a et ce qu'on en contemple qui sont censés à la fois mener les débats et êtres énoncés. [...] ce n'est pas le concept, mais extase, ce n'est pas la froide progression de la nécessité de la chose, mais la fermentation de l'enthousiasme qui sont censés être la tenue et l'expansion et avancée continue de la richesse de la substance (Hegel, 2012 : 61-62).

L'esprit est déjà ouvert et entrainé Vers dès le début de l'expérience-même, et ces figures sont les responsables de cette sorte de la relation qui s'établit entre ce qui sent et ce que ne sent pas. D'après Hegel, au début de l'expérience l'individu sent la chose comme ce qui est. La chose est une immédiateté simple qui garde en soi une telle puissance et richesse de sens qui permettra -à l'intérieur de la relation- l'émergence de la certitude sensible (Cf. Hegel, 2012 : 130).

Cette première figure caractérise l'expérience de l'esprit en une forme double. D'un côté, chaque unité concrète se trouve dans la pure immédiateté qui n'est que l'immédiateté du temps ; et, de l'autre côté, chaque unité concrète est intermédiaire d'une autre, car chacune d'elles dépend de l'existence de l'autre. « J'ai la certitude, notait Hegel, par l'intermédiaire d'un autre, la chose ; et celle-ci est pareillement dans cette certitude par l'intermédiaire d'une autre, savoir, de Je. » (Hegel, 2012 : 131).

Concentrons un peu plus dans la deuxième forme de la caractérisation de l'expérience : l'intermédiation. Même si la constitution de l'individu singulier qui sent n'affecte pas la condition essentielle de la chose en sa vérité (être), il faut reconnaître que c'est dans l'intermédiation que la chose se rend certitude sensible dans la scène de l'individu. De cette manière, la chose émerge comme quelque chose d' essentielle à la relation d'intermédiation car elle est un être véritable pour l'individu qui sent. Pour sa part, l'esprit n'est pas un être véritable comme la chose. Tandis que la chose EST dans sa véritable immédiateté, l'esprit est seulement quelque chose en relation, il est seulement par rapport à la chose qui est essentiellement véritable et nécessaire.

Ce que rend évident la phénoménologie de Hegel -dans ce moment d'élévation de l'esprit- avec i) la relation intermédiaire et avec ii) la condition inessentielle de l'esprit est, principalement, la nature négative du caractère de l'ouverture et de l'état d'élancement Vers. Pour Hegel, ce que comprend initialement l'individu singulier est qu'il est ouvert et élancé Vers ce qu'il n'est pas (non-être). La forme de son ouverture est négative étant donné qu'elle (l'ouverture) permet à la conscience de se comprendre uniquement en termes de non-être, en termes de différence.

Cependant nous ne pouvons pas traiter directement le problème de la négativité dans le moment présent de notre recherche. Maintenant il est indispensable d'approfondir dans la caractérisation de l'immédiateté qui enfonce l'esprit dans l'espace (Ici) et le temps (Maintenant), car l'intention de notre premier parcours est celle de comprendre la véritable puissance de la condition d'ouverture et d'énoncer l'état d'élancement Vers.

Dans un premier moment de la conscience (par rapport à), affirmait le philosophe de Stuttgart, l'individu singulier (Pur Je) est soumis dans l'immédiateté. Il n'aperçoit et il ne sent que la chose comme un ce qui EST, comme un ensemble de sensations vigoureuses et particulières10. Arrêtons un moment dans la description cette situation. Pour l'individu singulier qui voit un arbre, Ici est l'arbre, Ici sont ces branches et ces fruits. Mais s'il tourne la tête la vérité de la réalité immédiate (Ici-Arbre) disparaît : l'Ici n 'estpas un arbre. La réalité est pour lui -et maintenant- une maison.

D'après Hegel, cette caractérisation phénoménologique démontre que ce que nous nommons comme l'Ici ne disparaît pas ; il perdure au cours de la disparition de la maison, de l'arbre, etc. L'Ici, comme condition de l'expérience, est indifférent au fait de l'unité concrète maison ou arbre. La chose s'avère de nouveau comme simple intermédiaire qui est en train de s'élever comme quelque chose d'universel et de générale dans l'horizon de l'individu singulier11.

Ainsi, la figure de l'individu singulier qui a été illustrée veut caractériser ce qui est enfoncé dans le mouvement changeant de la réalité dans laquelle le Je se trouve lié par tous ses sens, principalement, notait Hegel, par le regard. Pendant le déplacement de ses sens, l'individu singulier se découvre au cœur de l'immédiateté régnante qui se manifeste comme une pluralité des choses intermédiaire. L'arbre qui était vu pour l'individu singulier est Maintenant non-arbre car son regard s'est déplacé. Maintenant il y a une maison devant lui, et au moment qui suit, la maison aura disparu de son horizon et sera non-maison12.

De l'analyse de cette relation immédiate et intermédiaire Hegel attire une conclusion surprenante et fondamentale pour sa phénoménologie. La certitude sensible est la vérité d'un Je qui se trouve, à cause de sa condition d'ouverture, dans l'immédiateté : Ici et Maintenant (Hegel, 2012 : 136). Ainsi, et depuis cette reconstruction générale de la certitude sensible et de la condition d'ouverture qui la rend possible (la certitude sensible), il nous est légitime d'attirer plusieurs conclusions, mais seulement deux qui concernent notre recherche13 :

α) La forme de la condition d'ouverture : à l'intérieur de l'immédiateté le Je se dévoile comme ce qui est face aux choses-là. Il découvre i) que les choses sont à lui dans le mouvement de son regard et de ses sens en général (Sens), et ii) que l'expérience qu'il a des choses du monde est traversée par la fugacité du temps. Ce qui est pour lui -Ici et Maintenant14- ne le sera pas au moment suivant -au moins de la même manière-, car ce qui se maintient n'est pas la pluralité de Maintenant-s et Ici-s qui coulent dans la pure immédiateté ; ce qui se maintient, affirmait Hegel, est quelque chose d'universelle qui dépend de la forme de la condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers les choses.

β) La condition de dirigée de la condition d'ouverture : L'individu singulier (Je), qui est face à une unité concrète, tourne le dos à plusieurs autres unités qui sont pour lui non-être (non-arbre, non-maison). D'une certaine façon, le multiple être-autre qui est en haut, en bas et ainsi de suite (Cf. Hegel, 2012 : 137) -qui est la pluralité du monde même et qui est par rapport à la condition d'ouverture et à l'état d'élancement Vers-, rend évident la condition inessentielle et négative de l'intuition. La chose-là (immédiateté essentielle) émerge Maintenant et Ici comme un non-être qui est dans l'horizon spatiotemporel de l'individu singulier. Ainsi, l'esprit singulier ne sent pas et ne contemple que les choses qu'il «détermine dans la négativité de l'action » (Hyppolite, 1961 : 33) ou, à ce niveau de notre discussion, qu'il détermine dans la négativité de la pensée-même (non-moi).

Avant d' avancer à notre deuxième démarche, nous voulons dénoncer le restreint de notre exposé lequel s'est limité à la certitude sensible. Cependant il est important de noter, une autre fois, que le but de notre recherche -dans ce premier parcours- n'était que d'explorer la possibilité de l'expérience, à partir de nos deux figures coordonnées, afin de caractériser l'argument métaphysique qui lui est subjacent. En d'autres termes, nous voulions présenter la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers en tant que conditions qui caractérisent le destin de l'esprit, car l'esprit individuel sent d'une façon déterminée.

2. L'état d'élancement Vers : le Désir

Nous avons déjà parlé de la certitude sensible afin de caractériser ce qui constitue la condition originaire de l'individu singulier. Maintenant nous essaierons d'explorer l'émergence de la conscience de soi et sa relation avec le désir sans nous éloigner de nos figures coordonnées : la condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers. Éclairons, avant de continuer, que dans le système hégélien toutes les conditions et figures spirituelles, qui rendent possible la complexité de la vie humaine, sont là depuis le début en tant que possibilités. Tant la conscience de soi que le désir sont là depuis le début.

A partir de cet éclairement initial, nous pourrions affirmer que la Phénoménologie de l'esprit est un discours philosophique qui essaie de comprendre les développements de ce qui est originairement en puissance (en soi) et ce qui se déploie pendant la vie de l'esprit (pour soi). L'individu singulier est, dès l'origine, traversé par ce qu'il est en soi et qui se déploiera d'une façon rationnelle sous les formes de conscience de soi, le travail, l'histoire et la culture qui ne sont que des manifestations de l'esprit en devenant absolu à moment présent. Cette compréhension se constitue dans la téléologie qui traverse l'ouvrage phénoménologique de Hegel : tout ce qui est pour soi est là depuis le début. Autrement dit, l'individu contient en puissance des déterminations qui donneront la forme à sa relation avec ce qui est extérieur à lui.

À partir de cette téléologie hégélienne nous pourrions tirer une hypothèse provisoire : si tout est là depuis le début, il ne nous reste que nous mener nous-mêmes à l'origine afin de comprendre ce qui se déploie à présent. Nous avons voyagé déjà à l'origine de la relation entre l'individu singulier et la chose-là en prenant comme fil conducteur la figure de l'ouverture comme la condition de toute l'expérience. A ce moment-là, l'individu était face à la chose-là qui était pour lui au cours de l'expérience sensible. Il a gagné dans cette position une compréhension négative et différenciée de ce qu'il n'est pas. Il est par opposition non-ceci, non-arbre, non-maison. Cependant, la vitalité de ce « non » termine par qualifier la réalité privative de l'expérience et par démontrer la force négative15 de la conscience naturelle. Elle est     incapable de saisir le mouvement de la pluralité qui coule dans le temps et l'espace16. La conscience naturelle nie ce qu'elle ne peut pas saisir17.

Cependant, l'incapacité de saisir qui caractérise la conscience naturelle exige à la réflexion phénoménologique de se mener vers une nouvelle figure de l'esprit. D'après Hegel, le « Je est à la fois le contenu de la relation et l'acte de la relation ; il est lui-même face à une autre chose, en même temps qu'il gagne sur cet autre, qui pour lui, tout aussi bien, est uniquement lui-même»(Hegel,2012 : 188).

Que le Je se comprenne soi-même comme le contenu de la relation et l'acte de la relation seulement pourrait signifier qu'il tombe à l'intérieur d'un premier moment de la conscience de soi : « Elle [la conscience] a pour essence et objet absolu Je » (Hegel, 2012 : 198). La conscience de soi émerge comme savoir de soi-même : Je contenu et Je acte. Mais quelle sorte de savoir est-il si la conscience de soi est opposée uniquement au monde sensible ? Quel est la valeur d'un savoir simple comme : « Je suis Je » ?

La valeur de cette nouvelle figure est capitale pour la Phénoménologie et pour notre recherche en métaphysique. La conscience de soi émerge comme l'expression du Désir, elle est (elle-même) DÉSIR (Cf. Hegel, 2012 : 189). Elle VEUT devenir essentielle, singulière et identique à soi-même par opposition à tout ce qu'elle n'est pas (négation). Elle VEUT se poser comme contenu et activité de la totalité du réel, en tant qu'elle a pour essence et objet absolu son propre Je.

A la différence de la conscience naturelle qui caractérisait la certitude sensible, la conscience de soi sait deux objets : a) des objets de la certitude sensible et b) de soi-même en tant qu'essence véritable qui est par opposition à l'objet nié. Plus clairement dit, tandis que la conscience naturelle est une sorte de conscience face aux objets de la certitude sensible, la conscience de soi émerge comme l'effort de la conscience pour se prendre soi-même comme son propre objet.

La force de la conscience est, affirme Judith Butler, la capacité caractéristique de la conscience de soi de se penser soi-même comme différenciée, comme capable de saisir le mouvement plural qui coule dans le temps et l'espace et que la conscience naturelle n'était pas capable de saisir (Cf. Butler, 2001 : 51). Mais, affirmait Hegel dans le §426 de Y Encyclopédie des sciences philosophiques, l'auto-conscience est encore enracinée dans l'immédiateté, raison pour laquelle elle est encore singularité et désir appétitif. Pour elle l'objet n'oppose aucune résistance parce qu'il est un en soi qui ne peut pas s'élever à la condition de soi-même.

De cette manière, dans son état plus originel l'esprit est tant condition d'ouverture, qu'état d'élancé Vers, ou en termes de Hegel : DÉSIR18. A présent, il faut rendre évident la véritable valeur de ce que nous avons appelé l'état d'élancement Vers, car c'est dans ce moment-là de l'élévation de l'esprit qu'il gagne sa figure presque complète. Nous ne sommes pas uniquement ouverts à la réalité sensible de l'objet, nous sommes élancés Vers l'objet d'une façon désidérative. Pour la conscience de soi l'objet dépourvu de mêmeté est là-bas pour être dévoré et détruit dans le mouvement du désir qui a pour but la satisfaction égoïste.

De cette façon, nous pourrions affirmer que lapositionphénoménologique de Hegel19 comprend bien l'esprit comme ce qui est ontologiquement ouvert, et pulsionnellement élancé Vers. Pour l'individu singulier, l'objet est objet du désir et non seulement une chose-là représentée. Il VEUT s'imposer sur l'objet et satisfaire son désir, étant donné que -et à cause du déploiement de l'état d'élancement Vers- le soi est devenu Vie20 désidérative et son objet du désir est rendu vivant. Pendant la réalisation de sa satisfaction, la conscience de soi s'impose comme autonome face à l'objet et trouve dans sa consommation une autre forme de vérité : la satisfaction21.

Ainsi, nous sommes arrivés à l'origine de l'état d'élancement Vers. Il est, en termes de Hegel, Désir orienté, mais il est encore Désir animal. Il est nécessaire pour notre recherche d'arriver à notre troisième parcours : l'état d'élancement Vers comme DÉSIR humain. Mais avant d'arriver à notre troisième parcours, nous voudrions tirer trois conclusions fondamentales à notre recherche :

α) L'état d'élancement Vers et son objet : D'après Hegel, la conscience de soi obtient son expression sensible comme Désir, qui n'est pas une autre chose que la forme de ce que nous avons appelé l'état d'élancement Vers. L'objet qui était pour elle simple savoir négatif -dans la figure de la certitude sensible (condition d'ouverture)-, est devenu vivant à l'intérieur du courant de la Vie de la conscience de soi qui est Élancée Vers son objet du DÉSIR. Même si le Désir est initialement appétit animal, comme affirme Butler en suivant Gadamer, il sera, postérieurement Désir réflexif et intentionnel : DÉSIR. Ainsi, la conscience de soi gagne un objet du DÉSIR phénoménologiquement distinct de l'objet qui avait gagné dans la scène de la certitude sensible.

β) L'autonomie de la conscience de soi : L'individu s'élancé Vers un objet qui est distinct de lui et que ne lui résiste pas, étant donné qu'il est « dépourvu » de mêmeté, d'affirmation et de liberté. Cette condition de « dépourvu » permet à l'individu de se déclarer comme autonome face à la chose -de la certitude sensible- et de se diriger, d'une façon désidérative, Vers un Objet qui est, à partir de maintenant, enraciné dans la fluidité de la Vie de la conscience.

χ) L'objet devient vie pour la conscience : Ainsi, la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers émergent comme les puissances (δύναμιζ), les plus originales de l'esprit et se constituent, à notre avis, dans l'un des points plus importants de l'engagement phénoménologique hégélien. L'état d'élancement Vers est donc la scène où l'objet devient Vie pour la conscience. La pomme -ou n'importe quel autre objet- qui est face à la conscience de soi se constitue comme objet du désir et non comme chose-là. La chose a été objet pour la conscience naturelle qui apercevait sensiblement en tant qu'ouverte ; mais maintenant, la chose est objet du désir pour une conscience de soi qui VEUT en tant qu'élancé Vers (Cf. Hegel. 2012: 195 ss).

De cette façon, nous sommes arrivés à la caractérisation générale des figures de condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers comme les formes qui rendent possible l'expérience de la conscience. Maintenant nous devons arriver à la scène finale de notre recherche : Deux consciences ouvertes et élancés Vers se sont rencontrées dans la scène du monde.

3. La condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers: La reconnaissance

Dans le deuxième parcours de notre recherche, nous avons présenté l'émergence de la conscience de soi comme l'effort de l'esprit pour se distinguer de l'objet et comme le Désir de la conscience qui VEUT -en tant que sentiment égoïste- se remplir de la vitalité renouvelable de la nature qui est devenue Vie. Cependant, la conscience de soi n'est pas encore arrivée à la figure la plus parfaite22. La conscience de soi est -dans un premier moment-seulement mouvement désidératif qui s'affirme comme distincte de la chose-là et, en tant que mouvement désidératif, elle s'affirme comme activité qui s'approprie l'objet qui ne lui offre aucun résistance.

Mais, qu'est-ce qui lui est arrivé à la conscience de soi -ouverte et élancé Vers- au moment de se trouver face à une autre conscience de soi qui est aussi ouverte et élancée Vers ? L'intention de notre recherche n'est pas -dans un sens strict- de répondre à cette question-là. Notre but principal est de suivre la réflexion hégélienne de l'émergence de l'autre conscience afin d'apporter à l'élaboration de nos deux cordonnées de lecture : la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers. Cependant, pour arriver à notre but nous parcourons sommairement la dialectique du maître et de l'asservi23 où se trouve une première réponse à ces questions-là. Quelle est donc la réponse partielle à ces questions ?

La Phénoménologie hégélienne soutient une compréhension individuelle, active et vitale de la conscience de soi. Elle est en principe une auto-conscience qui se prend comme objet sans se savoir comme VIE.

Cette conscience de soi inachevée, qui « Se prendre comme objet » sans se savoir comme VIE, exige à l'auteur de la Phénoménologie une nouvelle réélaboration de la conscience comme conscience Vivante. « La conscience de soi [affirmait Hegel] ne parvient à sa satisfaction que dans une autre conscience de soi » (Hegel, 2012 : 194), autrement dit, la conscience de soi est possible seulement A TRAVERS une autre conscience de soi qui s'affirme dans sa propre liberté, ou d'une autre manière, en mots de Hegel : « La conscience de soi est en soi et pour soi en ce que, et par le fait qu'elle n'est qu'en tant que quelque chose de reconnu » (Hegel, 2012 : 195).

Mais quelle est la signification de l'image « quelque chose de reconnu » que Hegel vient de présenter ? D'après le philosophe de Stuttgart, la conscience se constitue comme : A TRAVERS DE. Elle est, dans la scène de la certitude sensible, A TRAVERS DE l'objet ; dans la scène de la certitude de soi, A TRAVERS DE l'objet du Désir ; et, dans la scène de l'Autonomie ou non autonomie de la certitude de soi24, A TRAVERS D'une autre conscience capable aussi de s'affirmer. Cette dernière scène sera, depuis le moment présent, l'objet de notre recherche.

Dans notre deuxième chapitre nous avons présenté de façon générale comment la conscience de soi se satisfait A TRAVERS DE la consommation et destruction de l' objet du Désir, et nous avons dévoilé comment le mouvement destructif permet à la conscience de soi de s'auto-affirmer comme un moi qui Veut. Mantenant, et grâce à notre démarche, nous pouvons affirmer que le mouvement du Désir qui croise la conscience de soi n'exprime que la direction originelle de l'état d'élancement Vers. La conscience de soi se dirige Vers la destruction et la consommation de la réalité objective afin de se satisfaire.

Au début, la conscience de soi ne Veut que survivre en se satisfaisant comme n'importe quel autre animal. Cependant, la conscience de soi sera amenée plus loin de la scène de la consommation car la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers ont une directionalité propre et caractéristique. Il est vrai que la conscience de soi Veut rester en Vie en satisfaisant ses désirs (appétits) propres; malgré cela, l'esprit singulier est capable de franchir la

limite du Désir appétitif et risquer sa VIE pour satisfaire ses DÉSIRS non-animaux25.

Auparavant, nous étions au niveau du Désir en général. Maintenant il est temps de nous engager avec l'élaboration succincte du DÉSIR en tant que DÉSIR qui porte sur un autre DÉSIR26. Autrement dit, il faut arriver au moment où la conscience de soi s'élance Vers une autre conscience de soi qui est aussi ouverte et élancée vers.

Kojève a bien compris, en suivant Hegel, que la pluralité des Désirs de l'animal est le derrière-plan sur lequel l'individu s'élève comme DÉSIR qui porte sur un autre DÉSIR27. La conscience de soi, qui était pour elle-même essence et objet absolu (JE), tombe -dans un déplacement de son regard-sur une autre conscience qui se résiste et s'affirme comme absolue JE. Chacune, affirmait Hegel, a une certitude de soi-même, mais ce qui s'élève devant ses yeux -l'autre individu- se constitue comme la preuve qui la rend inauthentique ou, au moins, douteuse.

L'individu face à un Autre individu ne peut pas se garantir comme essence absolue de la totalité du réel, car elle comprend immédiatement la nature différente de cet objet qui s'élève devant de son regard. Elle n'est pas auto-affirmation de soi, depuis ce moment-là, elle est quelque chose qui est face à une autre conscience qui s'auto-affirme. Les deux consciences qui s'opposent entrent en contradiction, parce que l'identité de sa certitude de soi se rend naïve. Chacune d'elles veut récupérer son identité, et rapidement comprennent que la mort de l'Autre doit arriver s'elles VEULENT préserver son unité avec soi-même28. En mots de Hegel :

Elles doivent aller à ce combat, parce qu'elles doivent fournir la preuve et la vérité, en autre et en elles-mêmes, de la certitude qu'elles ont d'elles-mêmes, d'êtrespour soi. Et c'est seulement par la mise en jeu de la vie qu'est aussi éprouvée et avérée la liberté, qu'il est éprouvé et avéré que l'essence, pour la conscience de soi, ce n'est pas l'être, ce n'est pas la façon immédiate dont elle entre en scène, ce n'est pas qu'elle s'abime dans l'extension de la vie, mais le fait qu'en elle rien n'est donné qui ne soit pas pour elle moment évanescent, qu'elle n'est pas que pur être pour soi (Hegel, 2012 : 199).

La figure du combat à mort devient donc essentielle à notre lecture de la Phénoménologie de l'esprit, parce que s'affirmer comme capable de se mener à la lutte rend évident i) le destin de l'homme et ii) la différence ontologique entre la conscience de soi et la chose-là dépourvu d'auto-affirmation. Le destin de l'Homme est la liberté, pour le dire comme Fichte. Dans cette métaphysique de la liberté, la conscience ne peut que se mener au combat pour s'affirmer comme Vie et comme Vivant. Si elle reste pour être consommée par une autre conscience, elle émergera comme identique à une chose sans mêmeté et sans liberté. Ainsi et pour être reconnue, chaque auto-conscience tendra Vers l'élimination de la Vie de celui qu'il considère inessentiel ; la vie de ce personnage autonome qui est face à elle.

De cette manière, les deux figures qui traversent notre recherche (la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers) arrivent à un deuxième moment de développement. Même si nous avons caractérisé la condition d'ouverture comme la forme de la sensibilité qui rend possible l'expérience de l'individu face à une chose-là ; maintenant elle se dévoile comme possibilité de souffrir la mort ou la douleur, en d'autres termes, l'esprit singulier est ouvert tant à l'expérience des objets qu'à la violence, à la douleur et à la perte de la Vie pendant le combat à mort.

De la même manière que la condition d'ouverture gagne une autre caractérisation, l'état d'élancement Vers, qui a été décrit comme la forme du désir qui rend l'individu quelque chose vivant et les choses-là objets du désir, gagne une autre caractérisation. L'état d'élancement Vers émerge comme la force vivante de la conscience de soi qui VEUT s'auto-affirmer face à une Autre conscience qui se déclare capable de lutter pour gargariser sa propre unité.

D'après Hegel, qu'un individu puisse se mener au combat signifie qu'il est capable de s'écarter réflexivement de son désir naturel, lié originalement à la conservation et à la satisfaction de l'appétit animal, pour se rendre un homme sujet de reconnaissance. Un homme qui est mort sans se combattre et sans s'affirmer comme capable de s'écarter de ses appétits, est mort comme un animal, tandis que celui qui a mené au combat est sujet de reconnaissance. L'autre conscience sait, dans la scène de la lutte, que l'Autre est distinct des choses-là dépourvues de mêmeté et d'auto-affirmation.

En ce sens Hegel disait : « dans cette expérience [la lutte à mort], il advient à la conscience de soi que la vie lui est aussi essentielle que la pure conscience de soi » (Hegel, 2012 : 200). La vie est devenue essentielle pour la conscience parce que c'est dans l'écoulement de la VIE où se trouvent les objets du DÉSIR vraiment humains. Ce que l'homme VIVANT VEUT vraiment est le DÉSIR d'un Autre Être qui VEUT.

Nous aimerons nous mener plus loin dans notre recherche afin de redimensionner le comportement de nos deux figures coordonnées (la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers) dans l'histoire et la culture. Nous aimerions arriver à la caractérisation de nos figures coordonnées i) par rapport au travail compris comme la scène de domination qui rend possibles les objets culturels et ii) par rapport aux apprentissages de l'esprit qui est ouvert à la réalité historique et culturelle. Mais pour la présente enquête cela serait impossible et, malgré notre DÉSIR, il nous reste seulement d'énoncer quelques notes générales de notre recherche et d'élaborer quelques conclusions du présent chapitre. D'abord, présentons quelques conclusions tirées du présent chapitre :

α) La condition dialectique de la conscience : la caractérisation du Désir appétitif nous a permis de dévoiler la direction que prend l' état d'élancement Vers. La conscience est élancée Vers une autre chose qu'elle-même ; un objet qu'elle Veut consommer et détruire. De cette manière, ce qui se rend évident dans cette relation entre la conscience et l' objet du désir est la condition dialectique de la conscience. Elle est seulement possible A TRAVERS D'une autre chose ou par rapport à une autre chose, soit l'objet de la certitude, soit l'objet du désir ou soit une Autre Conscience de soi.

β) Signification de la condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers : de la même façon que l'esprit est ouvert aux choses-là, il est ouvert aussi à la souffrance qui peut produire le combat à mort. Depuis le début du combat, la conscience de soi ne peut que sentir l'incertitude de sa nouvelle position comme AUTRE. Elle est un soi-même qui cherche son unité et sa réalisation ATRAVERS DE l'imposition de son DÉSIR sur une Autre conscience qui s'affirme comme Sujet.

χ) La VIE : le redimensionnement de nos deux figures coordonnées nous a permis d'arriver à ce qu'on pourrait appeler la Métaphysique de la vie chez Hegel. La VIE est arrivée à la Phénoménologie comme le mouvement d'un DÉSIR qui VEUT un Autre DÉSIR. Ce mouvement est possible parce que l'esprit a gagné une certaine autonomie de ses appétits animaux et parce qu'il découvre la nouvelle scène du DÉSIR : le DÉSIR VIVANT VEUT le DESIR d'un Autre VIVANT. La VIE VEUT la VIE.

Ainsi, et depuis de la présentation de quelques conclusions générales tirées du chapitre précédente, nous devons diriger notre dernier effort à la caractérisation générale de ce que nous appellerons la Métaphysique de la VIE, en prenant comme figures centrales la condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers.

Notes

Le but de cette de dernière partie n'est qu'énoncer la signification générale de ce que pourrait être appelé métaphysique de la VIE. Il est possible que pour compléter une ébauche de cette métaphysique il soit nécessaire de nous menerjusqu'à la fin de la Phénoménologie de l'esprit afin de comprendre la multiplicité qui se déploie dans la réalité historique de l'esprit. Cependant, cette lecture dépasserait le but de la présente recherche et, comme nous l'avons dit, en suivant Hegel, si tout est là depuis le début, il ne nous reste que de nous mener nous-mêmes à l'origine afin de comprendre ce qui se déploie à présent.

De cette manière nous voulons affirmer que la VIE chez Hegel est comprise comme la scène où coulent et se développent tout ce qui était en puissance (en si) à l'origine. La VIE est dans ce sens, le déploiement de l'esprit qui se réalise grâce à la transformation de son Désir appétitif en DÉSIR REFLEXIE Autrement dit, d'après Hegel la VIE est la possibilité d'un Être capable de franchir les première figures de la condition d'ouverture et de l'état d'élancement Vers et de se placer comme Sujet du Désir qui porte sur un autre DÉSIR.

Si les deux figures constitutives de l'esprit individuel -ouverture et élancé- disparaissent, la VIE serait impossible au moins de la même manière. La condition d'ouverture et l'état d'élancement Vers donnent à l'esprit sa forme dialectique car la conscience de soi est seulement possible A TRAVERS DE. De cette manière, et comme conclusion bien partie, la métaphysique de la VIE chez Hegel peut être comprise comme un effort rationnel pour comprendre les principes qui constituent la totalité du réel, à partir de la recherche philosophique des mouvements qui constituent la conscience qui VEUT REFLEXIVEment.


Pied de page

1Note prise de : G. Jarczyk et P-J. Labarriere, 2005 :61.
2Nous concentrerons nos efforts dans la section La certitude sensible, de la partie A, de la Phénoménologie de l'esprit, et dans le paragraphe Autonomie et non autonomie de la conscience de soi ; maitresse et servitude, de la section La vérité de la certitude de soi, de la partie Β du même ouvrage.
3D'après Bernard Mabille, Hegel déclare la métaphysique comme dogmatique pour deux raisons : « D'une part, parce que, faute de s'interroger par la relation pensée-être, elle va « tout droit aux choses », les identifié à son propre penser subjectif et réflexif ou identifie sa pensée à l'être [...] elle est dogmatique d'autre part, dans son stylo ou son geste de pensée ». Voir : Mabille, 2004 : 183.
4II faut reconnaître que « L'ancienne métaphysique n'interroge que la forme canonique de la proposition « S est P », et réduit ainsi l'activité de penser à la détermination de la convenance ou ce la non convenance de prédicats a un sujet. La métaphysique générale consiste à considérer « les déterminations de pensée comme les déterminations fondamentales de choses » [...] exprimées comme des propriétés essentielles » voir : Mabille, 2005 : 131.
5Nous appellerons indistinctement esprit singulier ou individu singulier aux différents moments de la conscience qui constituent l'émergence du sujet hégélienne.
6D'après Dominique Janicaud, la Phénoménologie de l'esprit est un « ouvrage éminemment métaphysique » car il « pote la conscience jusqu'à la point divine de sa spiritualité, mais dont la spécificité [...] est d'être « la présentation du savoir en son apparaître ». En ce sens, ce qui s'y révèle phénoménologique [...] ». Voir : Janicaud, 1999 : 119.
7« Certes, il ne s'agit pas d'une phénoménologie érigée en méthode autonome comme ce sera le cas chez Husserl, mais il n'y a aucune raison de nier que le recueil des figures de la certitude sensible, de la perception, de la conscience de soi, etc., selon leurs modes d'apparition, mérite d'être reconnu comme phénoménologie en un sens qui ne soit pas seulementnominal » (Janicaud, 1999 : 119).
8Voir : Heidegger, 1976 : 228-229.
9La philosophie de Hegel marque clairement une disjonction entre effectivité ( Wirklichkeit) et réalité (Realitât). La réalité n'étant pas réfléchie en soi, n'a pas de vérité ; aussitôt que la réalité effective est la manifestation de l'Idée en tant que concept effectivement réel. Voir : Vieillard-Baron, 2005.
10Comme affirme Wahl dans son cours de 1959 dédie à la Logique de Hegel, faire une exploration de l'idée d'être déterminé exige une compréhension générale de la dialectique : être-néant-devenir. D'après Wahl, même si l'affirmation de Hegel au début de la science de la logique « L'être comme détermination se dévoile comme néant » n'éclaircit pas trop le sens d'être déterminé, elle-même apporte beaucoup à la réflexion sur l'horizon de compréhension de ce qu'est l'être déterminé : quel sorte d'existence est cet être ? Chez Hegel, en tant que nous ne pouvons pas affirmer aucune chose d'un sujet indéterminé (en tant qu'il ne devienne pas encore), il est nécessaire que l'existence de cet être soi la détermination (être-là). Un être déterminé doit être quelque chose qui se révèle dans le devenir et de cette manière, qui se révèle comme ce qu'il n'est pas, car le mouvement négatif règne, aussi sur la condition changeante du temps. En plus, note Wahl, en tant que l'être déterminé devienne et qu'il existe sous la forme de la détermination, la forme de son apparition est l'immédiateté dans laquelle il émerge dans une forme brumasse et générale. De cette manière, l'être déterminé est, d'après Hegel, le premier terme, c'est-à-dire, l'être déterminé est ce qui apparaît face à quelqu'un dans son devenir. Elle est l'unité de l'être et de non-être qui se constitue comme unité primitive et concrète d'une multiplicité de déterminations. Voir : Wahl, 1959 : 8-15.
11Démonstration phénoménologique de l'espace, dans un sens hégélienne de phénoménologie. Voir : Hegel, 2012 : 133.
12Démonstration phénoménologique du temps, dans un sens hégélienne de phénoménologie. Voir : Hegel, 2012 : 136.
13Nous reconnaissons la borne de cette recherche et les limites qu'elle nous impose. Cependant, la description succinct de cette première relation entre le Je (pur Je) et chose (ceci), bien que ne soit pas suffisent nous permettra de comprendre en termes générales l'émergence de la Négativité chez Hegel.
14La philosophie de Hegel comprendra l'espace (Ici) et le temps (Maintenant) comme les formes universelles de l'intuition, en autres termes, comme l'structure rationnel de toute connaissance sensible. Voir : Hyppolite, 1961 : 34
15Tandis que l'adjectif « négatif"» veut caractériser, dans le système hégélien, le mouvement contradictoire qui constitue Y absolument sujet - par rapport à réalité qui disparait dans l'immédiateté-, le nom négativité désigne l'horizon de réalisation dont le travail négatif de l'esprit s'accomplit -dans son parcours vers le concept (Begriff) -.
16Voir : Butler, 2001 : 51.
17A cause de l'extension du présent travail nous n'avons pas présente tous les moments de l'esprit car cela déborderait de notre recherche qui veut seulement traiter trois des problèmes propres de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel.
18Ainsi, nous avons caractérisé nos deux figures cordonnées : la condition d'ouverture et l'étatd'entrainé Vers. Tandis que la première exprime la possibilité de l'expérience d'objets qui sont Ici et maintenant dans la courante de la réalité objective ; la deuxième émerge comme la force du DÉSIR qui nous entraine Vers la consommation et la destruction de la chose-là, afin de nous satisfaire.
19On comprend cette position phénoménologique, comme la construction rationnelle qui essaie de comprendre l'émergence de la totalité du réel.
20Dans ce moment-là, la Vie en minuscule représente la Vie de la conscience de soi, et chez Hegel la VIE seulement arrivera àlafinde la dialectique de la maitresse et la servitude
21Voir : Hegel, 2012 : 189- 193; Hegel, 1986 : §428 ss
22II faut souligner que la présente recherche n'arrivera pas à la figure, la plus parfaite de l'esprit car cela déborderait de la limite du présent exercice.
23Voir : Hegel, 2012 : 195 ss.
24Section A du chapitre IV de la Phénoménologie.
25La capacité de la conscience de soi de franchir les Désirs animaux gagne, chez Hegel, une importance vitale pour la compréhension de la VIE humaine. L'homme est libre parce qu'il est capable de risquer sa vie pour ses DÉSIRS non essentielles à la survivance de l'animal qu'il est en principe. La vie, notait Hegel, est la position naturelle de la conscience, tandis que la mort est la négation naturelle. L'homme est capable, en ce sens, de s'opposer à la position naturelle de sa propre conscience pour se gagner comme humain. Voir : Hegel, 2012 : 199.
26Nous distinguons le Désir comme appétit animal du DÉSIR proprement humain. Le premier caractérise le Désir d'objet, tandis que le DÉSIR caractérise le DÉSIR qui porte sur un autre DÉSIR. Cette distinction hégélienne aura des implications très particulières dans la psychanalyse proposée par Lacan. Voir : Butler, 2001 : 225 ss.
27D'après Kojève : "Human Desire must be directed toward another Desire. For there to be human desire, then, there must first be a multiplicity of (animal) desires. In Other words, in order that self-conscious-ness be born from the Sentiment of Self, in order that the human reality come into being within the animal reality, this reality must by essentially manifold". Voir:Kojève, 1980 : 5.
28Voir : Hegel, 2012 : 199.


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