SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.21 número3Guadalupe años sin cuenta. Staging the abuses of state power in Colombia índice de autoresíndice de assuntospesquisa de artigos
Home Pagelista alfabética de periódicos  

Serviços Personalizados

Journal

Artigo

Indicadores

Links relacionados

  • Em processo de indexaçãoCitado por Google
  • Não possue artigos similaresSimilares em SciELO
  • Em processo de indexaçãoSimilares em Google

Compartilhar


Íkala, Revista de Lenguaje y Cultura

versão impressa ISSN 0123-3432

Íkala vol.21 no.3 Medellín set./dez. 2016

https://doi.org/10.17533/udea.ikala.v21n03a08 

CASE STUDIES

le Festival Yelwata Maroua 1er au cameroun: approche sémio-herméneutiQue d'une culture populaire

The Yelwata Maroua 1er festival in Cameroon: a semio-hermeneutic approach to a popular culture

El festival Yelwata Maroua 1er en Camerún: enfoque semio-hermenéutico de una cultura popular

Zacharie Hatolong Boho 1  

1Département de Langues Etrangères, école Normale Supérieure / Université de Maroua (Cameroun), IUDI/FUID Mailing address: école Normale Supérieure de l'Université de Maroua BP 55 Maroua (Cameroun) E-mail: hatobozac@gmail.com


Résumé

Yelwata Maroua 1er est un festival organisé annuellement par la mairie de Maroua 1er au Cameroun, dans un stade multidimensionnel dénommé le Complexe Sportif Maroua Domayo. Nous présentons ici une étude des pratiques langagières -des signes linguistiques et picturaux- qui sont généralement inscrits sur le mur qui abrite l'événement. Ces messages au double statut sémiologique sont analysés en vue d'en étudier l'expression de la diversité, la célébration des icônes locales et nationales, la mémoire collective et les diverses expectatives du peuple camerounais. Les démarches méthodologiques comprennent l'observation directe, la prise de vue et l'analyse sémio-herméneutique. Quant au cadre théorique, il tient au modèle ethnomorphologique qui est généralement appliqué à l'étude de l'art plastique.

Mots-clés: festival; approche sémio-herméneutique; diversité; tradition; modernité

Resumen

Yelwata Maroua 1er es un festival organizado anualmente por el ayuntamiento de Maroua I en Camerún en un estadio multidimensional llamado Complexe Sportif Maroua Domayo. El objeto de este estudio viene constituido de las prácticas lenguajeras -signos lingüísticos y pictográficos- que generalmente se producen en la pared del estadio en vísperas del evento. Son dichos mensajes con doble estatuto semiológico los que se analizan en este artículo, con miras a estudiar la expresión de la diversidad, la celebración de los iconos locales y nacionales, la memoria colectiva y las diversas expectativas del pueblo camerunés. Las pautas metodológicas consisten en la observación directa, la fotografía y el análisis semio-hermenéutico. En cuanto al marco teórico, se inscribe en el modelo etno-morfológico que se suele aplicar al estudio del arte plástico en general.

Palabras clave: festival; enfoque semio-hermenéutico; diversidad; tradición; modernidad

Abstract

Yelwata Maroua 1er is an annual festival organized by the mayor of Maroua I in Cameroun and held in a multidimensional stadium named Complexe Sportif Maroua Domayo. The object of this paper is the study of language practices -language and pictorial signs- that are generally produced on the stadium wall. These messages with a double semiotic status are analyzed to study diversity, local and national celebrities, collective memory and Cameroonian people expectations. The methodological framework consists of direct observation, photography and semio-hermeneutic analysis. The theoretical context is based on the ethnomorphological model usually applied to plastic art.

Keywords: festival; semio-hermeneutic approach; diversity; tradition; modernity

Introduction

Yelwata1Maroua 1er est un festival2 qui a vu le jour en 2010, organisé annuellement en décembre par la Mairie de Maroua 1er et dont le lieu des festivités est le Complexe Sportif de la ville de Maroua3 au Cameroun. Les pratiques langagières qui constituent l'objet de cette réflexion font référence à des signes orthographiques et picturaux dont la face externe du mur entourant le complexe sportif est investie à l'occasion du festival. Les faits observés remontent au festival du mois de décembre 2013. Les données ont fait l'objet d'une observation directe et d'une collecte par prise de vue (photographie), et sont soumises par la suite à une étude sémiotique. L'analyse des données recueillies emprunte obliquement la démarche sémio-herméneutique, "faisant intervenir une phase de décodage, puis une phase d'interprétation et de compréhension [...] une telle démarche, [qui] associe étroitement la sémiotique et l'herméneutique, mais s'appuie également, d'un point de vue épis témologique, sur les théories constructionnistes et constructivistes " (Bryon-Portet, 2011, p. 152).

Au-delà de la dimension festive qui intègre le cérémonial et l'événementiel, Yelwata cristallise un certain nombre d'objets heuristiques dignes d'intérêt. En l'occurrence, on peut en dégager l'inscription spatiale et l'expression de la diversité culturelle, la célébration des icônes locales ou nationales, la mise en exergue de la mémoire collective, les lieux et pratiques commémoratifs, les faits d'espérance et les aspirations diverses, etc., phénomènes essentiellement inscrits dans la double logique des pratiques et des représentations. Il est donc question de " tracer à travers " cette toile de fond une ligne épistémologique qui exploiterait des paradigmes théorico-conceptuels de l'analyse du discours et des cultural studies. Les pratiques langagières soumises à l'analyse tirent leur intelligibilité d'un objet bifide qui s'édifie entre le spictural et le scriptural. Si cet objet permet de dessiner en filigrane la géographie stylistique du Cameroun, il convient d'en lire les fondements à partir de la conjoncture et des aspirations des sujets culturels.

Par ailleurs, Yelwata est ici envisagé en tant que lieu et pratique d'une culture populaire assez particulière non seulement parce que sa démarcation par rapport à une quelconque culture dominante n'est pas évidente, mais aussi du fait qu'on y retrouve plusieurs des attributs définitionnels que les spécialistes en la matière proposent. Au confluent du folklorique et du populaire, du traditionnel et du moderne4, de l'authentique et du polymorphe, il faut finalement conclure à l'expression d'une culture hybride (Canclini, 2005), qui présente les caractéristiques d'un monde en pleine urbanisation.

Yelwata comme représentation de l'espace-culture

Le festival de Maroua 1er est le lieu de célébration ou de mise en scène d'un vaste panorama culturel aux attributs complexes. Ici, le patrimoine culturel diversifié dont le domaine de définition et de manifestation réside aussi bien dans le vécu quotidien que dans les imaginaires des groupes, se transpose de la praxis ordinaire pour s'accom- moder de l'événementiel. Cette festivité est révélatrice du caractère dynamique ou redynamisant qu'on reconnaît à la culture en général et à l'art en particulier. Comme le dit si bien Padilla, " tant que l'art propose d'autres situations que celles que nous lui connaissons, c'est qu'il est vivant " (2003, p. 5).

L'espace dont il est question ici est celui picturalisé sur la muraille du complexe sportif, lequel comprend des catégories paysagères ou cartographiques. Le principe de différenciation entre ces catégories spatiales est basé sur les référents chromatiques ainsi que sur la typologie d'œuvres d'art peintes. C'est, respectivement, la symbolique des couleurs, l'espace géographique représenté par telle ou telle autre carte et les formes ou motifs des objets d'art qui permettent de déterminer l'homologie espace/culture. Il est évident qu'une telle tâche est pénible dans la mesure où il s'est créé une assez grande distance d'appréciation entre les objets d'analyse et la réalité plastique à laquelle ils renvoient. En l'occurrence, les masques et statue (tte) s représentées sur les façades observées n'ont plus les formes originelles qu'a pu leur assigner le sculpteur. Par ailleurs, l'acte même de prise de vue et les conditions dans lesquelles il s'est effectué n'ont fait qu'accentuer l'éloignement vis-à-vis des réalités morphologique et chromatique premières. Tout ceci rend pénible l'identification ethnogéographique et la classification des objets d'art. C'est pour cette raison qu'il importe, dans un premier temps, de s'en tenir aux travaux préalables des ethnologues, euxmêmes s'étant abreuvés aux sources théoriques et méthodologiques des muséologues.

Dans cette perspective, Perrois pense que "toute analyse des pièces d'art nègre doit débuter par une étude des formes en ellesmêmes, afin d'aboutir à une classification logique" (1966, p. 70). Il faut, dans un deuxième temps, dépasser la posture univoque des ethnologues africanistes du xxe et considérer les données dans leur contexte de production. En tant que pratiques sociales, les activités festivalières que nous étudions et dont l'essentiel a été peint sur le mur du Complexe Domayo, doivent être considérées comme un construit et soumis à une approche immanentiste. Par conséquent, il est possible de concevoir une géographie culturelle à partir des tableaux peints sur le mur. Du point de vue chromatique, les deux aires géo-socioculturelles du Cameroun sont généralement représentées par deux couleurs distinctes, notamment le vert pour le grand-sud5 et le jaune pour le grand-nord, tel qu'on peut observer sur l'image 1 (voir séparateur sur la page 367). Dans ce contexte, ces deux couleurs sont plus suggestives, tant elles sont chargées de symbolisme dans la mesure où elles jouent un rôle de différentiation identitaire ou culturelle. Même si la nature en constitue la base motivationnelle (le jaune pour la steppe et le vert pour l'humidité et le couvert végétal), il y a là une part de consensus social et de construction discursive de la réalité. C'est à ce titre que Hall pense que:

Even something as obvious as a stone can be a stone, a boundary marker or a piece of sculpture, depending on what it means -that is, within a certain context of use, within what the philosophers call different 'language games' (i.e. the language of boundaries, the language of sculpture, and so on)-. It is by our use of things, and what we say, think and feel about them -how we represent them- that we give them a meaning. In part, we give objects, people and events meaning by the frameworks of interpretation which we bring to them (1997, p. 3).

Autrement dit, il s'agit d'un code sémiotique partagé conventionnellement par les membres d'une même communauté6 , lequel ermet, par exemple, de partir des catégories chromatiques de l'image 17 pour dresser une grille de lecture.

En effet, le vert, le rouge et le jaune constituent les trois couleurs du drapeau de la République du Cameroun. Si, comme il est enseigné dès l'école maternelle à tous les citoyens camerounais dans le cadre de l'éducation à la citoyenneté, le vert et le jaune représentent les deux parties géographiques du territoire, le rouge renvoie au "sang versé" par les aïeux pendant les luttes d'indépendance. Revenant aux couleurs verte et jaune, il convient de préciser qu'elles constituent deux réalités dialectiques -l'axe nord-sud- et permettent d'envisager des transitions culturelles qui joignent le Cameroun au reste de l'Afrique et du monde. Le vert établit un chenal vers toute l'Afrique subsaharienne à travers le sud du Cameroun, tandis que le jaune prolonge l'univers sahélien du nord-Cameroun vers l'Afrique du nord et la méditerranée. De l'image antérieure, qui donne lieu à plusieurs autres interprétations auxquelles nous reviendrons plus tard, nous retenons ici la couleur verte, symbole du couvert végétal et de l'humidité mais qui correspond aux aires culturelles aussi diversifiées que celle du centre-sud du pays (fang-béti en majorité), celle du grand-ouest dite des grassfields et celle du littoral dite côtière. Cet espace culturel couvre ainsi sept des dix régions du Cameroun, lesquelles présentent une diversité si remarquable que le dénominateur commun reste la dimension géographique. Sur la base d'une classification socio-anthropologique, le grand-sud du Cameroun constitue une infime partie du cadre de vie des peuples Bantu8 , territoire qui s'étend à toute l'Afrique au sud de l'équateur. Entre autres traits identitaires propres à ces peuples, on peut identifier sur le mur du complexe quelques objets d'arts plastiques essentiellement sculptés, styles qui participent de l'univers diversifié des bassins de l'Ogooué et du Congo. Les masques, les statues, les amulettes et les instruments de musique à l'instar du balafon sont plus représentatifs de l'Afrique centrale en tant qu'aire culturelle, presque tous issus du bois comme essence naturelle prédominante. Cependant,

de nos jours, en raison de multiples mutations sociologiques et de la disparition des religions traditionnelles [dans le centre-sud et le littoral], contexte indispensable aux activités artistiques, il n'est plus possible, à de très rares exceptions près, de trouver des objets sculptés en fonction (Perrois et Notué, 1986, p. 181).

Ce qui fera de la partie ouest le principal foyer de pratiques plastiques diverses qui remontent à des temps immémoriaux, résistent à l'impact notoire de la modernité et adoptent une posture avantgardiste quant au devenir de l'art africain. Quant à la couleur jaune qui est caractéristique de l'aridité, elle sert de référent écocentré pour désigner les zones et socio-cultures sahéliennes qui s'étendent du septentrion camerounais jusqu'aux abords du Sahara. Nonobstant la diversité ethnique et linguistique, les trois régions septentrionales du Cameroun (l'Adamaoua, le Nord et l'Extrêmenord) partagent, au-delà du critère géographique, des traits identifiables des points de vue des origines, de l'habitat et de l'organisation sociale.

Yelwata comme tentative de pratique commémorative

Le creuset du patrimoine culturel et des imaginaires qui le sous-tendent constitue une mémoire dont la dynamique est fonction des pratiques sociales. Comme toute mémoire, les versants actifs ou passifs s'alternent au rythme des règles qui concourent à leur actualisation ou restitution fonctionnelle. Ici, l'actualisation de la mémoire collective consiste en la représentation des figures historiques (politiques ou artistiques) capables de cristalliser une réalité glorieuse ou honorable du passé régionalement ou nationalement reconnue. Cependant, comme on peut l'observer dans presque toutes les images, ce n'est ni l'époque des luttes d'indépendance, ni les acquis des années postindépendances dont les artisans appartiendraient essentiellement au premier régime9 . Du coup, les limites de la pratique commémorative sont déterminées par la politique et l'idéologie ambiantes, celles qui consistent en l'occultation -à des fins politiques- de certaines réalités historiques. Par exemple, on peut mentionner les temps et les acteurs du maquis 10ainsi que les figures emblématiques du régime précédent. Yelwata est, par conséquent, un de ces

hauts lieux où continue de s'écrire l'histoire des vainqueurs11 dont l'appareil idéologique est le Renouveau12. Peut-être faudrait-il s'y attendre: le maire qui est le promoteur principal du festival est certes un élu du peuple, mais il serait tenu de véhiculer les idéaux du parti politique au pouvoir auquel il appartient.

Pour cette raison, sans doute, seules les icônes vivantes et artistiques sont représentées, par exemple Manu Dibango (Image 2) et Samuel Eto'o Fils (Image 3), respectivement musicien et footballeur.

La représentation ou la célébration des personnalités aussi populaires que Manu Dibango et Eto'o Fils semble la voie la plus neutre. Une sorte de censure politique induit une manière particulière de gérer la culture même pendant un festival aussi ambitieux que Yelwata Maroua 1er. Bien plus, ce sont les pratiques en cours au sein de la société (l'interaction entre les acteurs, la conjoncture, les pratiques culturelles, etc.) qui sous-tendent certaines décisions, à l'instar du choix discriminatoire des icônes à représenter publiquement. Il s'établit également une sorte d'homologie parfaite entre culture populaire et politique culturelle (Poirrier, 2008, pp. 176-183), une politique qui, lorsqu'elle n'ignore pas les actions promotrices populaires in vivo, elle leur donne une ligne éditoriale spécifique.

C'est alors que, à en croire les images peintes sur le mur ayant abrité le festival, au lieu d'être un lieu de rencontre et de célébration des référents culturels profonds, Yelwata se convertit en un lieu d'expression artificielle et de représentation des vedettes des cultures de divertissement. A moins que ce soit une parodie ou une façon de redorer le blason d'une vie culturelle dont la décadence réelle a commencé par le secteur du cinéma.

Á travers les deux images donc, c'est le Cameroun tout entier -pourquoi pas l'Afrique entière 13?- qui retentit à travers le monde.D'une part, sur l'image 2, Manu Dibango émerveille toute la planète avec son saxophone. D'autre part, le footballeur international Samuel Eto'o Fils (image 3) est peint en gros plan, devant une foule de spectateurs. L'arrière-plan des deux images, respectivement constitué de l'univers et du stade, subit l'effet de réduction en vue de la mise en exergue des deux vedettes camerounaises. Les couleurs dominantes, notamment le jaune, le rouge et le vert symbolisent le drapeau du Cameroun. Ainsi, les promoteurs du Yelwata et les artistes convoqués pour la circonstance célèbrent une nation vue du présent à travers des référents susceptibles de créer non seulement la renommée aux yeux du monde entier, mais la solidarité entre les citoyens camerounais.

La célébration des vedettes pendant le festival a aussi laissé libre cours à l'auto-promotion et l'auto-éloge des artistes. D'une part, en traits forts, les griffes ou les noms d'artiste investissent la muraille du complexe: Fresh D, Mekobe, Picasso, Moz, Zone 7, L2P, Vision, HFrancky, Kriminal, HMR, Red Street, Gaadal-G, Ayetchi-K, Ram, Zaza, Réseau Afric'Art, etc. D'autre part, des maximes telles que Pikasso le guide, L'art... C'est une thérapie... et A quoi ça sert de peindre une œuvre qui ne percute pas de message semblent des slogans publicitaires et plus orientées vers l'autopromotion que vers l'expression collective d'une culture populaire. De telles mentions de responsabilité aux pieds des ouvrages peints, lorsqu'elles abondent, risquent de supplanter le principal message du festival: célébrer une culture nationale ou sous-régionale dynamique capable de stimuler l'épanouissement d'un peuple en perte de repère.

Entre "tradition" et "modernité"

Dans les discours politiques, médiatiques, profanes ou intellectuels, les notions de tradition et de modernité retentissent permanemment, la modernité étant considérée comme le substitut absolu d'un temps révolu ou à reléguer aux calendes grecques. Il est alors courant d'entendre scander des slogans comme "temps modernes", "hommes ou femmes modernes", "infrastructure moderne", "politique ou action tournée vers la modernité", etc. Or, il est problématique de tracer une limite entre les dimensions dites traditionnelles et modernes. Remarquons avec Biton que:

L'opposition tradition/modernité peut présenter un aspect artificiel dans la mesure où la réduction de ces deux concepts à cette opposition peut obscurcir la définition de chacun d'eux. Il apparaît donc essentiel de tenter de signifier, ne serait-ce que succinctement, ce que l'on entend par " tradition " et par " modernité ".

D'une part, la tradition constituerait à un moment donné un ensemble d'usages qui répondrait plus ou moins correctement aux questions auxquelles les sociétés se sont trouvées confrontées dans le passé, c'est-à-dire un mouvement de perpétuation d'un héritage inchangé du moins dans l'esprit de ceux qui en actualisent les pratiques. D'autre part, la modernité pourrait être la somme de nouvelles pratiques, représentant de nouvelles conceptions du monde en rupture plus ou moins totale avec l'immobilisme de la tradition (s.d., p. 3).

Cette conception est partagée par plusieurs chercheurs, notamment Mochaver (1987) qui parle de la problématique traditionmodernité et De Djin (2004) qui propose d'envisager ces notions comme un fragile entre-deux culturel et conceptuel. Ramenée au contexte africain, la problématique trouve l'une de ses brillantes précisions chez Biton (2004): "L'Afrique, contrairement à l'idée que l'on s'en fait ou plutôt qui a longtemps prédominé en Occident, ne se réduit pas à une société immobile, sans histoire, entièrement pétrifiée dans la 'tradition', face à notre continent qui aurait, de son côté, le monopole de la 'modernité' ".

à partir de ces considérations théoriques et conceptuelles, on peut établir divers contrastes à partir du langage plastique du

Yelwata. Il est alors possible de confronter les types d'habitation, d'habitude vestimentaire, d'instrument et de rythme musicaux. Bien évidemment, il ne sera pas question de définir une dichotomie antagonique entre ces différents éléments culturels, l'objectif étant de démontrer comment la diversité s'inscrit aussi bien dans l'espace que dans le temps et que la ligne de démarcation entre la tradition et la modernité est rendue floue par un art plastique aux attributs d'un présent et d'un futur toujours renouvelés. Les images suivantes servent à faire ressortir ces contrastes:

Deux types d'habitat sont représentés sur l'image 4, la hutte et la case au toit de chaume. La hutte, type d'habitat en forme de pagode, est faite en terre cuite. Cette forme est également caractéristique de la case (une sorte d'entonnoir évasé), faite en terre battue. Si les huttes qui sont propres aux civilisations Sao et à leurs descendants Kotoko ou Musgum (peuples établis depuis des millénaires de part et d'autre du fleuve Lognone ou sur toute la superficie du Lac Tchad) tendent à disparaître de la configuration architecturale, les cases en toit de chaume constituent encore l'habitat privilégié des populations sahéliennes. Quant à l'image 5 dont l'objet contraste diamétralement (en style et en matériau) avec celui de l'image 4, elle renvoie à l'architecture moderne des grandes agglomérations urbaines. Cependant, le point commun entre les deux types d'habitat (prétendument traditionnel et moderne) tient de leur coexistence dans l'imaginaire plastique et dans la réalité, l'un caractérisant le monde rural set l'autre les zones urbaines.

L'accoutrement constitue également le référent culturel à partir duquel il est possible d'établir des contrastes entre la tradition et la modernité en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Les images 6 (Accoutrement traditionnel) et 7 (Accoutrement traditionnel) mettent en exergue deux variétés de vêtements traditionnels, l'une de type princier et l'autre de type artistique et quotidien. Les deux modes vestimentaires contrastent avec le style moderne de l'image 9 (Instruments et musiques modernes). Si les premiers sont généralement arborés dans ce qu'il convient d'appeler l'Afrique des villages (éla, 1983), ils peuvent tout autant faire partie des habitudes vestimentaires du milieu urbain du fait de l'attachement de certains citadins à leurs cultures traditionnelles qui tendent à se faire phagocyter par des vents venus d'ailleurs.

De même, les images 8 (Instruments et musiques traditionnels) et 9 (Instruments et musiques modernes) laissent transparaître des traits culturels qui cristallisent la manifestation synchrone du passé et du présent. La première image présente un répertoire diversifié d'instruments musicaux, notamment la harpe, la flute, le balafon, les castagnettes et le tambour. Sur les tableaux, tous ces instruments semblent arrachés à leur passivité d'objet par une mise en scène révélatrice de dynamisme et de démonstration. La guitare de l'image 9 rappelle également un orchestre de hip-hop où instruments de musique, accoutrement et artistes renvoient conjointement à un art contemporain. Les images 7, 8 et 9 illustrent une culture musicale non seulement riche et diversifiée, mais aussi et surtout caractérisée par une certaine dynamique à tendance cosmopolite. Comme on peut le constater, l'expression de toute cette réalité artistique s'effectue à travers un langage pictural mais aussi sous diverses formes de langage écrit. Rap, Sahel Maroua Hip-Hop ou Création sahelienne désignent explicitement ce que formes iconiques ou picturales pourraient taire ou ne dévoiler que partiellement.

Précisons, cependant, qu'en matière de mode ou d'identité culturelle, son expression -qui implique de facto son actualisation- s'inscrit toujours dans une dynamique cyclique qui fait des habitudes d'aujourd'hui une réappropriation d'une réalité d'hier. Les identités culturelles locales et étrangères qui obéissent à la logique de confrontation -ceci dans un rapport de dominant et de dominé-, ne traduisent en rien l'opposition tradition-modernité car elles coexistent de manière synchronique dans le temps et dans l'espace. L'appropriation d'un référent culturel d'ailleurs traduit toujours un effort d'adaptation et non de substitution. La matière peut différer, mais la fonction et l'essence subsistent au temps, la tradition et la modernité étant basées sur une logique d'entre-deux.

"Yes we can" et "2035": les expectatives du peuple

L'histoire mouvementée de l'Afrique ainsi que les multiples aspirations des peuples africains trouvent subtilement leur brillant reflet sur le mur du Complexe Sportif de Domayo. Un slogan comme Africa love, our freedom est susceptible d'en dire long sur une double situation, à savoir, une conjoncture problématique qu'a vécue le continent africain et une voie d'issue porteuse d'espérance. S'il ne s'agit pas de la libération de l'Afrique du joug colonial et des dictatures postindépendances, il serait question, néanmoins, d'un mal social généralisé que seule une dose d'amour témoignée à l'Afrique tout entière conjurerait. En effet, le sousdéveloppement, la mauvaise gouvernance et l'afro-pessimisme semblent donner raison à René Dumont (1962) pour qui "l'Afrique noire est mal partie". Outre l'amour comme gage de la libération (our freedom), la confiance en soi et l'espoir sont recommandés. De ce fait, l'assurance (C'est à dire il faut savoir d'où tu viens et où tu vas à l'image 10) et l'espérance sont exprimées au moyen du célèbre slogan de Barack Obama, tel que l'illustre l'image 11.

Il y a, sans doute, nécessité d'effectuer un saut qualitatif vers l'avant, consistant à transformer l'afro-pessimisme en afrooptimisme en passant par l'afro-réalisme et d'impulser un développement endogène. Pour cela, il faut servir des modèles de renommée (Pikasso le Guide) et prendre l'option de l'engagement (A quoi ça sert si on peint une œuvre qui ne percute pas de message?; L'art...! c'est une thérapie).

Depuis une décennie, l'afro-optimisme à la camerounaise trouve sa plus brillante expression dans une réalité politique qui, mise en discours par les pouvoirs publics s'articule autour de trois paradigmes conceptuels: les grandes ambitions, les grandes réalisations et l'émergence à l'horizon 2035. Ce triptyque notionnel est révélateur de trois images d'un même Cameroun, de trois conjonctures ou trois projets politiques différents qu'un même régime tente de construire aussi bien par les faits que par le discours. Il est à rappeler que le pays jouissait d'une stabilité dans les années soixante-dix, les années glorieuses d'après indépendance. Or, la crise économique qui a commencé en 1986 s'est soldée pendant la décennie suivante par l'élection du Cameroun comme pays pauvre très endetté. Le programme d'ajustement structurel subséquent a semblé un matraquage auquel les institutions du Bretton Woods ont soumis le pays, matraquage au sortir duquel les dirigeants ont dû désespérément chercher la solution aux problèmes socioéconomiques que vivaient les populations. Dès lors, les slogans politiques changent au rythme des mandats présidentiels, recherchant la stabilité dans le futur. L'illusion vécue par les citoyens est d'autant plus grande que les dignitaires du régime brandissent la démocratie et le multipartisme comme gage de grande réussite, traitant le système antécédent de dictatorial. L'image 1 symbolise une gouvernance alternative: le président de la république ou "l'homme-lion" est auréolé du drapeau national qui surplombe une cité futuriste et illuminée par un luxuriant jeu de lumière. Cette mise en perspective fait l'objet d'un discours sulfureux et démagogique que tiennent les politiciens et auquel les populations souscrivent tant bien que mal.

Conclusion

Tout au long de cette réflexion, il a été question de montrer comment un phénomène de culture de masse comme le festival Yelwata Maroua 1er peut, même lorsqu'il n'est pas vécu en temps réel, laisser des traces sémiologiques qui permettent de concevoir la carte artistique et culturelle d'un pays. Bien plus, il est possible de faire une lecture transversale de la manière dont la politique détermine et conditionne les pratiques culturelles. La pratique commémorative que tentent de faire les promoteurs du Yelwata tend plus à la mise en exergue des stars artistiques et sportives au lieu des figures historiques ou des réalités fondatrices de la nation. S'agissant de la diversité de la culture mise en langage, elle s'inscrit dans l'espace et dans le temps. Du point de vue spatial, la plateforme culturelle s'étend au-delà des frontières du Cameroun pour plonger dans la diversité de l'Afrique et du monde entier. Quant à son expression dans le temps, l'univers culturel du Yelwata est révélateur d'un échange entre la tradition et la modernité. Le peuple inscrit ses aspirations réalistes ou illusoires dans une réalité pluridimensionnelle et, quoique ne pouvant pas réellement négocier avec le passé, cherche désespérément ses fondements ontologiques par une pratique socioculturelle. Tout ceci sous-tend une étude dont le mérite est de s'interroger sur les voies qu'un pays en mal de stabilité et d'unité explore en vue de sa mise en orbite. Le festival Yelwata Maroua 1er contribue tant bien que mal à redynamiser le patrimoine culturel qui a connu la même crise que les autres secteurs de la vie sociale au Cameroun, objectif qu'on ne peut atteindre qu'au prix de l'objectivité et du pragmatisme.

Références

Biton, M. (s.d.) "Création artistique en Afrique entre tradition et modernité: un artiste contemporain, Cyprien Tokoudagba". Dans Wikicréation. L'Encyclopédie de la création et des usages [PDF en ligne]. Réperée de http://www.wikicreation.fr/upload/marlene_biton_fr.pdf?PHPSESSID=f97d6c8jitniam2d1c92nqe8b4 [Consultée le 25 mai 2015]. [ Links ]

Bryon-Portet, C. (2011). L'approche sémio-herméneutique: une nécessité pour étudier les dispositifs symboliques des organisations et leurs enjeux communicationnels". Communication et Organisation, 39, 152-166. [ Links ]

Carani, M. (1992). De l'histoire de l'art à la sémiotique visuelle Québec: Les éditions du Septentrion. [ Links ]

De Djin, H. (2004). Modernité et tradition: essais sur l'entredeux Louvain: Peeters. [ Links ]

Dumont, R. (1962). L'Afrique noire est mal partie. Paris: éditions du Seuil. [ Links ]

Éla, J-M. (1983). L'Afrique des villages. Paris: Karthala. [ Links ]

García-Canclini, N. (2005). Hybrid cultures: strategies for entering and leaving modernity Minneapolis: University of Minnesota Press. [ Links ]

Giorgi, L., Sassatelli, M., et Delanty, G. (2011). Festivals and the cultural public sphere (Routledge advances in sociology). London ; New York: Routledge. [ Links ]

Hall, S. (1997). Representation: cultural representations and signifying practices California: Sage Publications Ltd. [ Links ]

Mochaver, M. H. (1987). Problématique tradition-modernité: adaptation des institutions pour un développement endogène. Paris: Unesco. [ Links ]

Padilla, Y. (2003). Pratiques artistiques en renouvellement nouveaux lieux culturels. Québec: Ministère de la culture et de la communication. [ Links ]

Perrois, L. (1966). Note sur une méthode d'analyse ethnomorphologique des arts africains. Cahier d'études Africaines, 21, 69-85. [ Links ]

Perrois, L. & Notué, J-P. (1986). Contribution à l'étude des arts plastiques du Cameroun. Muntu, 4/5, 165-222. [ Links ]

Poirrier, Ph. (2008). Culture populaire et politique culturelle en France: un rendez-vous manqué ? Dans Thomas Antonietti, Bruno Meier & Katrin Rieder (dir.). Retour vers le présent. La culture populaire en Suisse. Baden: Hierjetzt Verlag für Kultur und Geschichte, 176-183. [ Links ]

Sassatelli, M. et al. (ed.) (2011Festivals and the Cultural Public Sphere New York: Routledge. [ Links ]

1En fulfuldé, langue locale et véhiculaire dans les trois régions septentrionales du Cameroun, ce terme signifie " festivités ".

2Interviewé par Audrey Mama, pour le quotidien La nouvelle expression, le promoteur de Yelwata affirme : " Le festival des Arts et de la Culture " Yelwata Maroua 1er " est, à n'en point douter, un moyen de grande cohésion des peuples du Nord, du Sud du Cameroun et ceux venus d'autres Pays. C'est d'ailleurs l'idée maîtres qui motive l'organisation de tout évènement culturel de cette envergure. C'est un rendez-vous du donner et du recevoir qui permet à différents peuples d'échanger dans les domaines culturels, artistique et commerciaux. Ce pari est d'ailleurs réussi depuis la première édition en 2010 qui avait rassemblé près de 15 000 personnes, en 2011 au moins 50000 personnes et nous comptons en recevoir plus à cette troisième édition. " Yelwata Maroua 1er " c'est l'espace où tout le monde cesse d'être Monsieur ou Madame tel.... Pour devenir festivalier tout court et parler le même langage, celui du développement. C'est l'une des rares occasions où le Maire et ses Conseillers dansent sur un podium avec tout le monde, un moment de grande communion pour tout dire ".

3Maroua est le chef-lieu de l'Extrême-nord, l'une des dix régions du Cameroun.

4Le concept qui conviendrait le mieux c'est " Post-traditional festivals ", concept que recommande Liana Giorgi et al. (2011) dans la mesure où les festivals impliquent toujours une reproduction sociale ou culturelle (cf. pour cela les idées de Bourdieu).

5Du point de vue géographique, le territoire camerounais se subdivise en deux parties -le sud et le nord-, respectivement caractérisées par l'humidité et l'aridité.

6Marie Carani précise que la production artistique est essentiellement un langage codé résolument " opératoire" qui investit tant les structures individuelles del'être que les déterminations socioculturelles et contextuelles. Pour simplifier, on entend ici par code sémiotique (suivant Umberto Eco) toute rganisation en système de signes d'un certain nombre de référents (réels ou imaginaires) du monde naturel, c'est-à-dire un état du monde représenté par le langage visuel et que l'on inscrit dans un contexte historico-sociologique (voire idéologique) de représentation mimétique, en ce que ce code veut être la traduction, la translation, du savoir tel qu'on croit leconnaître à un moment précis " (1992, p. 12).

7En effet, le vert, le rouge et le jaune constituent les trois couleurs du drapeau de la République du Cameroun. Si, comme on l'a dit, le vert et le jaune représentent les deux parties géographiques du territoire, le rouge renvoie au " sang versé " par les aïeux pendant les luttes d'indépendance.

8Louis Perrois et Jean-Paul Notué (1986, p. 181) soutiennent à la place qu'à part quelques groupes de Pygmées, la population est constituée de Bantu à 99 %.

9Dans le contexte du Cameroun, le premier régime renvoie au règne d'Ahmadou Ahidjo, président de la république de l'indépendance en 1960 jusqu'en 1982. Suite à une démission volontaire, il s'est fait remplacer par Paul Biya qui est encore au pouvoir.

10Le concept de maquis désigne la situation de retranchement que vivent les indépendantistes camerounais avant et après l'indépendance à cause de la répression orchestrée à la fois par les colonisateurs et les nationaux acquis à leur cause. C'est, par ailleurs, un mouvement de résistance nationaliste initié en 1955 par Um Nyobé, alors leader de l'UPC, parti qui perd de sa vigueur en 1971 avec la disparition des chefs de file.

11L'adage suivant est très souvent utilisé pour exprimer ce concept : " Aussi longtemps que le lion sera incapable d'écrire, l'histoire de la chasse sera écrite par le chasseur ". Naturellement, c'est à celui qui détient le pouvoir à un moment donné de raconter, à sa manière, l'histoire de ce moment. Ainsi, l'histoire subira une réépareil criture constante, au gré des conjonctures et des régimes. S'agissant des figures historiques ou emblématiques, leur choix est également déterminé par la même théorie : qui est érigé en héros national et sur quelle base ? À propos, l'histoire prouve que Robert Um Nyobé avait déjà jeté les bases de l'autodétermination depuis 1948. Or, en 1960, Ahmadou Ahidjo est proclamé père de la nation, capitalisant ainsi tous les acquis de la décolonisation sans avoir mené aucune lutte.

12C'est sous cette bannière qu'est placé le régime actuel, c'est-à-dire celui du président Biya.

13Le Cameroun est très souvent qualifié d'" Afrique En miniature " des points de vue naturels et humains.

Received: November 30, 2015; Accepted: March 31, 2016

Creative Commons License This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License