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Co-herencia

Print version ISSN 1794-5887

Co-herencia vol.12 no.22 Medellín Jan./June 2015

https://doi.org/10.17230/co-herencia.12.22.4 

ARTÍCULO ORIGINAL

 

DOI: 10.17230/co-herencia.12.22.4

 

Andrés Holguín et la poésie française: une brève lecture  de Mallarmé en  traduction*

 

Andrés Holguín and French poetry: A Brief Reading of Mallarmé in Translation

Claudine Lécrivain**

** Maître de conférence (Universidad de CádizEspagne). Membre du groupe de recherche Literatura, imagen y traducción (HUM-120). claudine.lecrivain@uca.es

 

Recibido: 28 de enero 2015 | Aprobado: 21 de mayo de 2015

 


Résumé

La réception en Espagne de l'œuvre de Stéphane Mallarmé s'organise en quatre moments centraux, marqués par un certain succès critique et par la circu

lation de traductions en espagnol. Entre 1940 et 1960, Mallarmé figure dans l'anthologie Poesía Francesa du poète colombien Andrés Holguín (1954), anthologie qui présente l'intérêt d'une articulation permanente entre les poèmes traduits et les notices introductrices sur chaque poète retenu, qui développe ainsi deux niveaux de réception critique et de (re) présentation de la poésie française. L'article analyse dans un premier temps l'environnement socioculturel lors de la parution du recueil : climat culturel de l'époque, situation de l'édition, certaines circonstances de l'élaboration de cette anthologie, réflexions sur la traduction en vigueur à l'époque, etc. La deuxième partie cerne l'identité d'Andrés Holguín et ses objectifs, ainsi que les caractéristiques de l'anthologie. Et pour finir, dans un troisième temps, l'article aborde la présence fondue de Mallarmé à l'intérieur du recueil, les commentaires critiques d'Holguín ainsi que les grands traits du transfert textuel des trois poèmes retenus et traduits.

Mots-clés: Traduction poétique, Andrés Holguín, Stéphane Mallarmé, anthologie.


Abstract

The Spanish reception of Stéphane Mallarmé's works revolves around four key-moments characterized by a certain critical success and the circulation of transladuction", organisée par Annick  Allaigre et Pascale Thibaudeautions in Spanish. Between 1940 and 1960, Mallarmé's poetry appeared in the Anthology Poesía Francesa edited by the Colombian poet Andrés Holguín (1954). What is interesting in this anthology is that it presents a permanent articulation between the translated poems and introductory notes about each poet. Accordingly, it develops two levels of critical reception and (re)presentation of French poetry. First of all, this article analyses the socio-cultural environment in which the anthology was published: the cultural atmosphere, the situation of literary publishing, some circumstances surrounding the elaboration of the anthology, reflections about translation during this period, etc. Second, the article seeks to shed light on Andrés Holguín's identity and his objectives as well as the specifics of the Anthology. Finally, the article tackles Mallarmé's "dissolved" presence in the collection, Holguín's critical commentaries and the most important features of the textual transfer of the three translated poems..

Key words Poetic translation, Andrés Holguín, Stéphane Mallarmé, antology.


 

 

La réception à l'étranger de l'œuvre du poète Stéphane Mallarmé, inséparablement attaché à la poésie française et au symbolisme, a été marquée pendant plus d'un siècle soit par l'ignorance, soit par un certain succès critique, soit par la circulation de traductions. En Espagne et jusqu'à la fin du XXe siècle, la réception s'organise en quatre moments centraux, délimités par un ensemble de circonstances littéraires et historiques (Lécrivain, 2000: 65-77; Navarro, 2000: 87-100 ). La présente étude prétend tout d'abord approfondir le panorama de la diffusion de l'œuvre mallarméenne en traduction, ébauché il y a quelques années (Lécrivain, 2000), en s'intéressant à l'époque allant de la fin de la Guerre Civile espagnole (1939) à la fin des années 1960, et notamment à l'anthologie de Poesía francesapubliée en 1954 par le poète colombien Andrés Holguín. La nationalité du traducteur pose une fois de plus la complexité des délimitations des études de réception dans l'espace littéraire hispanique. Cependant pour des raisons opérationnelles, et dans le cadre d'un projet qui vise plus spécifiquement la réception en Espagne, je ne n'envisagerai ici que de façon marginale le rayonnement hispanoaméricain de la publication. Bien évidemment, il serait fort intéressant d'analyser en détail la réception de cette même anthologie en Colombie afin d'établir éventuellement des points de divergence ou de convergence. Le second objectif est d'étudier plus précisément les transferts textuels qui résultent de l'opération traduisante car le recueil offre l'intérêt d'une articulation permanente entre les poèmes traduits et la notice introductrice sur Mallarmé, développant ainsi deux niveaux de réception critique et de (re)présentation de la poésie française, et de la production poétique mallarménne.

Les traits essentiels de mon étude seront donc les suivants : dans un premier temps, l'environnement socioculturel lors de la parution du recueil (climat culturel de l'époque, situation de l'édition, horizon anthologique et traductif de la société réceptrice ...); un deuxième point concernera l'identité du traducteur, ses propres horizons anthologique et traductif, et la réception critique du recueil; et finalement une troisième section où j'aborderai plus spécifiquement la présence fondue de Mallarmé à l'intérieur du recueil, les commentaires critiques d'Holguín ainsi que les grands traits du transfert textuel des trois poèmes retenus et traduits, "la manière dont, d'une part, le traducteur va accomplir la translation littéraire, d'autre part, assumer la traduction même, choisir un "mode" de traduction", une "manière de traduire"" (Berman 1995: 76).

Pendant la période mentionnée, face aux 5 anthologies consacrées à Verlaine entre 1944 et 1953, seulement deux anthologies (les premières) seront consacrées à Mallarmé: l'anthologie bilingue de Xavier de Salas (1940) et l'anthologie de textes en prose d'Agustín de Esclasans (1942). En 1947, le poète Vicente Gaos publie de son côté un article sur Mallarmé, "poète passionné"*1: il s'agit d'une brève étude qui porte sur trois poèmes ('Brise Marine', 'Renouveau', 'Tristesse d'été') et revendique une facette du poète non conforme aux clichés traditionnels de poète froid, géométrique, cérébral (Ínsula, 1947, nº 17). Aux alentours des années 1950, deux poèmes sont également publiés dans des revues littéraires: Acanto et Platero Revista Literaria Gaditana2. Plus tard, sera réédité le recueil Antología de poetas franceses (1958)3, initialement publié en 1929, dans lequel figurait un poème de Mallarmé. C'est donc entre temps, en 1954, qu'Andrés Holguín publie à Madrid, aux éditions Guadarrama, l'anthologie Poesía Francesa dans laquelle il inclut 3 poèmes de Mallarmé.

Mon analyse s'intègre dans le cadre des études descriptives et interculturelles de la traduction. Visant à analyser les idéologies et les doxas qui sous-tendent l'ouvrage d'Holguín, elle portera sur l'horizon anthologique et traductif des années 1950, la position anthologique et traductive d'Holguín (Berman, 1995: 16). Je m'appuierai en partie sur les observations de l'Ecole de la Manipulation (Lefevere (1992), Toury (1995), Hermans (1999)) qui portent, d'une part, sur la traduction en tant que produit, s'inscrivant ainsi dans une perspective historique, et qui, d'autre part, portent sur le processus de la traduction, les stratégies mises en place par le traducteur, au-delà de jugements sur des critères d'exactitude ou de fidélité. Les deux projets, anthologique et traductif, répondent aux différentes normes mises en avant par l'Ecole de la Manipulation:

-les "normes préliminaires", concernant les choix éditoriaux des œuvres à traduire et les stratégies employées globalement dans un ensemble de politiques traductives;

-les "normes initiales", concernant les options et les approches individuelles du traducteur (à dominante sourcière ou cibliste);

-les "normes opérationnelles" concernant les décisions traductives lors du processus de traduction.

 

L'horizon anthologique et traductif

L'horizon anthologique

Les années 1950 marquèrent en quelque sorte la fin des années 'grises' de la décennie immédiatement postérieure à la Guerre Civile (1936-1939), caractérisées par une longue récession économique, un nombre restreint d'échanges commerciaux internationaux, un marché éditorial limité et paralysé, et une forte augmentation du prix des livres (Sánchez Vigil, 2009: 107), allant de pair avec la rareté et la mauvaise qualité du papier qui ne pouvait être importé (Moret, 2002: 21). L'Espagne de cette période émergeait donc peu à peu de son isolement : en 1950 prend fin le boycott international décrété par l'ONU (1946), et s'amorce alors l'intégration économique et militaire dans le bloc occidental, accompagnée d'une certaine libéralisation de la vie universitaire et culturelle.

En 1953, Manuel San Miguel, prêtre sécularisé, fonda, à Madrid, les éditions Guadarrama (Moret, 2002: 152), où fut publiée l'anthologie Poesía Francesa. Son fonds était majoritairement religieux, mais sa réputation s'accentua peu à peu dans les milieux intellectuels suite à la publication, entre autres, d'ouvrages portant sur l'histoire de la littérature (Escolar Sobrino, 1998: 316), qui lui permirent un chiffre d'affaires en constante progression (Sánchez Vigil, 2009: 119). La nationalité colombienne d'Eduardo Caballero Calderón, co-fondateur4 des éditions Guadarrama, semble être le chaînon qui explique la collaboration d'Holguín.

Les échanges littéraires entre la France et l'Espagne depuis le xviiie siècle constituent un grand axe de communication culturelle. Les transferts culturels, intenses et complexes, les séjours des écrivains français en Espagne ou espagnols en France, les études qui leur sont consacrées dans les nombreuses revues littéraires, l'intérêt pour les mouvements d'avant-garde ainsi que l'intensité des traductions de la poésie française ont été amplement signalées et étudiées à différentes époques5. La Guerre Civile n'introduit pas de rupture notable dans la lignée du prestige dont jouissait traditionnellement en Espagne les écrivains français avant la guerre (Blanch, 1976: 180-195 et 305), et à partir de 1940, les traductions de poésie en langue française ressurgissent progressivement, en tant que pratique 'intériorisée' par les milieux intellectuels. Cependant à cette époque, l'Institut National du Livre Espagnol mit en place, à travers la censure, un programme de limitation des traductions et défense de l'autarcie culturelle (cf. Larraz, 2010). Parallèlement, la vie littéraire et culturelle espagnole, et dans une moindre mesure la française, étaient fortement marquées par un réseau de relations avec les pays hispano-américains, et de nombreux écrivains prirent part à la vie littéraire de plusieurs pays, tout en exerçant leur métier de diplomate, journaliste ou traducteur. La réception de Mallarmé en Espagne et celle qui eut lieu dans les pays hispano-américains sont donc étroitement imbriquées. D'autre part, les relations éditoriales entre l'Espagne, la France et certains pays latino-américains (entre autres l'Argentine et le Mexique) sont également fortement brassées dès la fin du xixe siècle, époque à laquelle le marché y était contrôlé par les éditeurs français. Les deux guerres mondiales permirent aux éditeurs espagnols de s'ouvrir à ces marchés, et par la suite à la fin de la guerre civile certains éditeurs espagnols s'exilèrent dans ces pays pour y exercer leur métier, ou bien en France où ils ouvrirent des librairies qui offraient souvent des ouvrages en provenance des pays hispano-américains.

La précarité économique peut expliquer la publication de traductions à cette époque: les éditeurs semblaient s'intéresser aux ouvrages exempts de droits d'auteurs, notamment les auteurs étrangers du domaine public. En France, la loi du 14 juillet 1866, sur les droits des héritiers et des ayants-cause des auteurs, établissait un délai de 50 ans après le décès de l'auteur. Plus de la moitié des auteurs inclus dans Poesía francesa appartenaient donc au domaine public, et il est plausible de penser que le paiement des droits de traduction n'ait pas été envisagé pour le reste des auteurs, au regard, entre autres, de la difficulté de l'accès aux devises étrangères à l'époque (limitation des échanges commerciaux avec l'extérieur, due à une politique délibérée d'autarcie qui prit fin vers 1959). Le format anthologique réduirait alors considérablement les risques légaux concernant les droits, de par la multiplicité des auteurs, le nombre réduit de poèmes pour chacun d'entre eux et la disparité des maisons d'éditions. Mais cela ne reste qu'une hypothèse.

En 1954, la censure était toujours en vigueur6 afin de doter le pays d'une morale catholique irréprochable et de propager la doctrine du parti nationaliste. Entre 1939 et 1966, l'examen préalable du manuscrit était obligatoire et pouvait donner lieu à trois verdicts différents: autorisation pure et simple, autorisation soumise à conditions, refus (Navarro, 2011). On pourrait alors penser qu'une anthologie de poésie française, incluant un large éventail de poètes, ne présentait pas de risques majeurs de rejet total ou partiel. La consultation du dossier de censure de cet ouvrage (nº4381-54, Archive Général de l'Administration (AGA) à Alcalá de Henares) révèle une brève description du contenu et une simple autorisation7. Une précision sur la fiche descriptive de l'ouvrage, présentant Holguín comme Secrétaire de l'Ambassade de Colombie au Saint-Siège n'est peutêtre pas tout à fait étrangère à cette autorisation. Bien entendu, ce contrôle officiel, préalable à toute publication, avait comme conséquence directe une pratique de l'autocensure de la part des éditeurs et éventuellement des traducteurs, assez difficile à cerner ici. L'absence de normes de censure et de critères objectifs laissait les éditeurs face à un doute constant sur le caractère publiables ou non des œuvres envisagées (Larraz, 2010: 55). Pour déterminer l'existence d'une autocensure il serait nécessaire de consulter d'éventuels manuscrits ou épreuves, ce que je n'ai pu entreprendre.

La collection anthologique (pratique proche d'une "pulsion anthologique" selon N. Ly (2000: 35) a toujours été un genre très apprécié en Espagne, tout du moins des éditeurs, aboutissant à une extraordinaire variété depuis le xviiie siècle: 362 volumes comportent le terme "anthologie" dans les années 1940, et 515 dans les années 1950 (Seruya, 2013: 2). Cependant, le recueil Poesía Francesa –de caractère général et national puisque consacrée à ce qui est présenté comme la 'poésie française'–, mis au point par un poète colombien met en évidence une question territoriale assez difficile à démêler, comme souvent en ce qui concerne les relations littéraires espagnoles et hispano-américaines. L'analyse de ce type d'ouvrage, au vu de la multiplication des paramètres dont il faudrait tenir compte, est évidemment complexe. En ce sens, la présente étude est manifestement incomplète, puisqu'il est mal aisé de déterminer à quel point Holguín, anthologue et traducteur colombien, put être marqué par le discours "historique, social, littéraire, idéologique, sur la traduction (et l'écriture littéraire)" en vigueur dans la société réceptrice (Berman, 1995: 74). Il est mal aisé de déterminer quels discours purent éventuellement orienter ses pratiques et stratégies destinées à l'acceptabilité de l'ouvrage. Le recueil de plus de 200 poèmes traduits et 88 études préliminaires laisse hasarder un projet de longue haleine, entrepris bien avant la création des éditions Guadarrama, et probablement pour une publication en Colombie.

Avancer ici les motifs de la publication d'une anthologie de poésie française est assez aventureux, cependant j'esquisserai quelques ébauches d'hypothèses. La forme libre de l'anthologie permet la multiplication des éditions, car elle ne clôt pas le choix des textes. Outre les aspects économiques mentionnés plus haut, le caractère collectif d'une anthologie était généralement commode pour les éditeurs (Bayo, 1994: 57), car la dissolution des individualités permettait un positionnement éclectique et peu risqué, atténuant d'éventuelles 'antipathies' individuelles officielles8 de la censure. Bayo (1994: 57-58) signale également la rentabilité des anthologies à une époque marquée par un nombre restreint de lecteurs : l'acquisition de livres s'avérant encore difficile, celles-ci facilitaient l'accès à de nombreux auteurs et présentaient des risques commerciaux moins élevés que la publication de recueils d'un seul auteur. Ce recueil pouvait donc s'inscrire dans l'horizon d'attente d'un public lettré potentiel qui s'intéressait également à l'histoire de la littérature. Les dossiers de censure contigus à celui de ce recueil concernent des romans de toutes sortes et ne dépassent guère des tirages de 500 exemplaires. Le tirage élevé prévu (2.500 exemplaires) pourrait alors indiquer que l'éditeur ait contemplé des possibilités d'exportation.

Quant à la spécificité française du recueil, là encore j'avancerai quelques ébauches d'arguments. Les poètes ayant survécu à la guerre et n'ayant pas abandonné l'Espagne étaient assez peu nombreux et leurs œuvres étaient souvent déjà publiées par d'autres maisons d'éditions. Il semble alors assez naturel qu'un éditeur à ses débuts se tourne vers du 'matériel d'importation'. Il est également plausible d'avancer des raisons idéologiques qui, à mon avis, vont au-delà d'un intérêt spécifique et concret envers la culture française. L'idéologie nationaliste du régime franquiste exaltait une Espagne traditionaliste, accompagnée d'une évocation mythique d'un passé glorieux, avec un slogan "España una, grande y libre" insistant sur l'unité et la grandeur du pays.

Conséquemment le caractère national français de l'anthologie Poesía francesa venait transposer dans le champ littéraire, en une sorte de miroir, une vision idéologique de la nation, de son histoire, de ses racines, de sa continuité, une exaltation d'un sentiment national, l'expression d'un "génie", voire d'une certaine "grandeur". Dans la lignée du discours officiel de l'époque concernant la nation espagnole, Poesía francesa renforçait symboliquement un système de valeurs, un modèle d'affirmation ou d'exhibition autour d'une identité nationale, alliant la tradition poétique à l'histoire, alliant les textes représentatifs, les valeurs sûres des grands poètes et des grandes œuvres à la ligne ininterrompue des commentaires et des contextualisations littéraires et historiques.

L'horizon traductif 

L'École de la Manipulation considère que les théories de la traduction ainsi que la fonction de la traduction dans la culture réceptrice jouent un rôle déterminant dans les caractéristiques de la traduction en tant que produit, ainsi que dans les procédés mis en place par le traducteur. Dans le cas présent, la contextualisation des opérations effectuées lors du processus traducteur s'avère difficile, car le traducteur se situait hors de la culture d'origine et de la culture réceptrice, et l'ensemble de plus de 200 poèmes avait sans doute été traduit sur une période assez longue, sans qu'il y ait probablement eu intention initiale de publication sur le territoire espagnol. Néanmoins, je rappellerai ici le discours ambiant sur le traduire en Espagne et en France, qui structure traditionnellement l'espace où les médiateurs littéraires se situent. Holguín, au vu de sa trajectoire dans un espace transnational, pouvait vraisemblablement le connaître.

Se rapportant au modèle philologique rattaché au concept de l'intraduisibilité, ce discours restait fondé sur le caractère individuel et insondable de la création littéraire rendant imparfaite l'expression de formes esthétiques à l'œuvre dans une autre langue, ainsi que sur l'impossibilité de percevoir la traduction comme texte porteur de 'beauté' littéraire. L'essai le plus connu en espagnol était certainement Misería y esplendor de la traducción (1940)9 du philosophe José Ortega y Gasset, qui considérait le traducteur comme un créateur se devant d'attirer le lecteur vers la langue de l'auteur, en poussant jusqu'à la limite la tolérance grammaticale de la langue réceptrice. Il incluait dans un genre à part les traductions, considérées comme des commentaires, des mouvements d'approche vers l'œuvre originale. De son côté, Francisco Ayala envisageait la possibilité d'introduire des ruptures dans la langue réceptrice, et proposait une démarche à tendance littérale modérée afin que le texte traduit ne dénature pas l'original, soulignant néanmoins à plusieurs reprises que la traduction littéraire, activité de création, doit être l'œuvre d'un écrivain10. Sur ce point, il coïncide avec les réflexions que Valéry Larbaud développa dans Sous l'invocation de Saint Jérôme (1946: 69) où la traduction littéraire est assimilée à une lecture productive permettant de s'approprier plus complètement un ouvrage, bien que demeurant toujours une réussite partielle: "par les équilibres que nous trouvons, nous transfusons une part plus ou moins grande, –jamais la totalité– d'un courant vital dans un tissu composé d'éléments verbaux" (1946: 78).

Finalement, viennent s'ajouter des considérations sur la langue française, parfois perçue comme un écueil à la traduction poétique, aussi bien à partir du français (Reyes, 1932: 192)11, que vers le français (pour Ortega y Gasset, de toutes les langues, celle qui facilite le moins la tâche du traducteur est la langue française (1940: 452)).

L'anthologue et traducteur: Andrés Holguín (1918-1989)

Après avoir abordé les horizons culturels dans lesquels s'intègre la publication du recueil Poesía Francesa, je me pencherai sur la figure de l'anthologue et traducteur, et préciserai les caractéristiques de l'anthologie.

Andrés Holguín, diplomate, juriste, critique littéraire, essayiste, poète et professeur de littérature, fonda et dirigea la revue Razón yFábula, ainsi que deux associations de diffusion culturelle: El Muro Blanco (en 1970) et El Arké (en 1980). Il publia pendant plusieurs années une chronique intitulée Temas Inesperados dans le supplément du dimanche du quotidien colombien El Siglo. Il semble avoir découvert la littérature française très tôt en Colombie, alors même qu'il était étudiant en droit.

Comme de nombreux intellectuels hispano-américains, il séjourna en France, et dans son cas, en tant que Conseiller de l'ambassade de Colombie à Paris, dans les années 1940, et il y fit la connaissance de nombreux écrivains et poètes, et put rassembler de nombreux documents12. Holguín n'est donc pas étranger à la longue tradition hispano-américaine qui, depuis le XIXe siècle, s'intéressait à la langue française comme trait distinctif d'une bonne formation et/ou comme instrument contribuant au développement des nouvelles Républiques latino-américaines, soit par le biais de l'écriture en français, soit comme moteur d'émancipation littéraire par le biais de la traduction13. Dans un commentaire autobiographique intitulé "El recuerdo de los libros y yo" (publié le 8 juillet 1973, dans le quotidien colombien El Siglo)14, Holguín se décrit comme adolescent lisant sans cesse de la poésie, en vers ou en prose, de poètes colombiens et français, et fait état de sa fascination pour Les Fleurs du Mal de Baudelaire qu'il apprenait, se récitait sur le chemin de l'école, et traduisait de manière assez sommaire.

Outre les poèmes et essais15, il est aisé d'apprécier deux grandes activités dans l'œuvre d'Andrés Holguín: la traduction de poésie et d'essais d'auteurs français16, ainsi que la confection d'anthologies, notamment de poésie colombienne17, voire de sa propre production poétique (Nueva Aventura y otros poemas). Il s'inscrit ainsi dans une tradition colombienne d'une part de traduction des œuvres de poètes européens et américains amplement établie au xixe siècle (Karsen, 1985) et d'autre part de confection d'anthologies, tradition partiellement abordée par Héctor H. Orjuela dans Las antologías poéticas de Colombia. Estudio y Bibliografía (Instituto Caro y Cuervo, 1966). Orjuela y répertorie 389 anthologies exclusivement sur la poésie colombienne depuis l'époque coloniale jusqu'à 1964, signalant que leur publication en dehors du territoire national n'avait rien d'exceptionnel. L'abondance d'anthologies poétiques, anthologies commentées et anthologie critiques dans l'espace littéraire colombien et dans l'espace littéraire espagnol semble donc converger. Cette constatation renforce l'idée qu'Holguín souhaitait probablement publier le recueil Poesía Francesa en Colombie où il s'insérait parfaitement dans la tradition anthologique, mais qu'il pouvait tout aussi bien s'intégrer dans le champ littéraire espagnol, où ce format était lui aussi fréquent, comme nous l'avons signalé plus haut.

Gallego Roca (1994) remarque que la condition de traducteur et d'anthologue semble coïncider avec des périodes de changements dans l'histoire littéraire, et que l'anthologie de traductions propose des relectures d'un passé ou d'un présent littéraire, orientées vers un renouvellement du canon ou bien vers une intégration dans les modèles en vigueur. Par ailleurs, leur permanence dans le panorama littéraire est liée, me semble-t-il, tout autant au fait que l'anthologie permet au traducteur et anthologue d'obtenir un certain transfert de capital symbolique, une part du prestige de l'auteur ou des auteurs, d'obtenir une certaine légitimation par le biais de ses connaissances d'histoire littéraire et sa maîtrise des langues, qu'au fait que la coïncidence de la figure du poète et de celle du traducteur garantisse, pour les éditeurs et pour le public, un transfert plus ou moins assuré de littérarité dans la traduction.

Projet anthologique

Quelles sont ici les prétentions d'Holguín en tant qu'anthologue? Gómez Bedate, dans une étude sur les anthologies de poésie, fait état de l'absence de déclaration à ce sujet dans l'ouvrage (2001: 49): le recueil ne comporte, en effet, ni préface, ni postface, ni notes, ni définition de la poésie, qui permettrait d'expliquer les inclusions et les exclusions. Seule figure une appréciation, au détour d'un commentaire sur l'âge classique, où Holguín affirme que son anthologie "n'est pas une histoire de la poésie, mais simplement une sélection des meilleurs poèmes français"* (p. 191). Il ne s'agit donc pas nécessairement des auteurs les plus représentatifs ni des meilleurs ou des plus caractéristiques. Holguín ne précise pas non plus ses intentions concernant les considérables apports critiques et philologiques qu'il développe tout au long des 88 notices, où il rassemble ses connaissances sur les courants, les auteurs, les textes, et ses appréciations personnelles.

Cependant, il est possible de mieux cerner son point de vue d'anthologue, en se reportant aux autres anthologies confectionnées par ses soins, bien que publiées ultérieurement. Dans un essai intitulé Síntesis de la poesía colombiana18, il déclare que seules "les œuvres qui possèdent une qualité indiscutable dans le cadre de la poésie authentique"* peuvent figurer dans une anthologie, mais considérant que l'essence même de la poésie est indéchiffrable, il est nécessaire pour lui de "partir d'une réponse intuitive concernant la poésie en elle-même et ses divers degrés [...] de faire appel à notre sensibilité, notre goût et nos critères personnels. Ainsi, les meilleurs poèmes sont ceux que nous aimons le plus"* (1964: 171). Cette déclaration est étayée par la référence en exergue au titre de l'anthologie de Paul Eluard: Le meilleur choix de poèmes estcelui que l'on fait pour soi 1818-1918 et coïncide avec une affirmation de Valéry Larbaud, pour qui le traducteur traduit ce qu'il aime pour faire partager son bonheur (Larbaud, 1946: 68-69). Au-delà de cette déclaration, il reste à se demander si les choix d'Holguín sont redevables d'anthologies publiées en France dans les années 1940, époque où il séjournait à Paris, car les coïncidences (auteurs et poèmes retenus) sont assez fréquentes, ce qui la convertirait en une anthologie au second degré: Introduction à la poésie française de Thierry Maulnier, Anthologie de la poésie française de Marcel Arland, Le meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi 1818-1918 de Paul Eluard, et l'Anthologie de la poésie française d'André Gide. Sur ce point, il me semble que l'un des indices les plus pertinents d'une inspiration à partir de l'ouvrage de Maulnier est le survol accordé à la poésie du xviiie siècle. En effet, Maulnier ne retient aucun poète de cette époque: "Racine a fait une consommation si totale des ressources de la poésie française qu'il la laisse épuisée pour un siècle et demi" (1939: 82). À son tour, Holguín aborde le xviiie siècle, sous l'étiquette de "Pseudo-classicisme", dans une rapide notice en quelques paragraphes où il déclare d'emblée qu"'au XVIIIe siècle il n'y avait pas de poésie en France"*, justifiant conséquemment la non-inclusion de poèmes: entre autres, Chénier ("faux poète"*) et de Voltaire (carence d"'émotions authentiques"*).

Comparer parallèlement l'ensemble des textes retenus avec ceux traduits au préalable en espagnol et publiés en anthologies19 ou autres recueils dépasse amplement l'objectif du présent article. Cependant, rappelons qu'à peu près à la même époque est publiée à Buenos Aires, La poesía francesa del romanticismo al superrealismo (1945)20. En ce qui concerne les 52 auteurs mentionnés par Holguín aux sections comprises entre 'Le romantisme' et 'Surréalistes et néo symbolistes', on constate que 40 d'entre eux figuraient dans cette anthologie de 1945. Cependant, la coïncidence des poèmes retenus est beaucoup moins flagrante.

De même qu'Eluard, et Arland ("je ne mettrai rien dans ce livre que je n'aime"), Holguín ne prétendait pas proposer des choix objectifs de poèmes, mais plutôt des coups de cœur, des textes qu'il affectionnait. Plus tard, dans sa préface à Antología crítica de la poesíacolombiana (1874-1974), il abordera à nouveau la difficulté intrinsèque à la définition de la poésie21 et à la critique poétique qui, selon lui, rend pratiquement impossible la composition d'une anthologie de poésie, signalant qu"'il ne reste qu'une voie, comme toujours pour une anthologie: nous laisser guider par notre intuition du phénomène poétique [...] Que l'on ne nous demande pas de définition ni d'explication définitive. L'intuition esthétique nous guide mieux que n'importe quel raisonnement et en dernière instance devient la modalité suprême de la connaissance"*22.

Caractéristiques de l'anthologie

Le recueil observe envers la traduction un silence similaire au silence sur les prétentions ou objectifs anthologiques. L'identité du traducteur demeure implicite car il n'existe aucune préface ni postface explicative, ni d'indices paratextuels typiques, comme 'traduit de', traduit par' (Gómez Bedate, 2001: 49).

Le panorama de la poésie en langue française, allant de fragments de la chanson de Roland jusqu'aux 'derniers poètes' (des années 1940), offre un découpage en 9 sections23 regroupant périodes et courants, selon une chronologie traditionnelle.

Détaillant la diversité des faits et phénomènes littéraires, y est proposée une histoire fragmentaire de la littérature, qui se veut parallèlement guide de lecture des textes.

Holguín suit l'ordre chronologique de publications des œuvres, explicitement indiqué sous l'index général, en fin d'ouvrage: "l'ordre des poètes correspond à la date de publication de leurs œuvres"*. Chaque auteur y fait l'objet d'une brève notice biographique, et d'une contextualisation de ses recherches et productions poétiques, établissant des relations structurales qui reflètent une vision de 'l'évolution littéraire', sous l'angle d'une certaine continuité. L'anthologie gagne ainsi en crédibilité, car elle se postule comme travail de recherche, au-delà d'une intention de découverte des poèmes, comme l'œuvre d'un grand connaisseur de la littérature française.

Réception de l'ouvrage

Concernant la réception de l'ouvrage, un premier article intitulé Poesía francesa (publié dans La vanguardia española, dans la section Ecos de la vida literaria (2-01-1955) par M. Fernández Almagro, membre de la Real Academia Española) présente l'anthologie comme un volume harmonieux qui vient à nouveau poser les problèmes et difficultés de la traduction poétique, "entreprise tout spécialement exigeante et risquée"*24. Selon une tradition bien connue, il insiste sur l'impossibilité de ressentir une même émotion face à un texte original ou face à une traduction, sur les pertes subies lors du transfert idiomatique et sur ce que Berman nommera par la suite "les mille formes de la défaillance traductive" (1995 : 47), tout en souscrivant l'affirmation selon laquelle le bon traducteur de poésie se doit d'être lui-même poète. Bien qu'il déplore l'absence de jugement d'ensemble de chaque section et l'absence de certains auteurs, il ne critique l'inclusion d'aucun de ceux qui ont été retenus25.

Quelques mois plus tard (10-04-1955), le quotidien colombien El tiempo publie un article intitulé "Una antología de poetas franceses", signé par Eduardo Caballero Calderón (correspondant en Espagne dudit quotidien et co-fondateur des éditions Guadarrama, rappelons-le). Caballero Calderón y manifeste son admiration envers cette œuvre critique qu'il considère comme l'un des ouvrages les plus importants "écrits en Colombie"* pendant les 50 dernières années, venant apporter un peu de réconfort dans le panorama peu réjouissant de la littérature colombienne26. Considérant la tâche du traducteur et exégète comme un labeur ingrat, face aux chemins battus et agréables de la création personnelle, il souligne l'originalité du recueil où Holguín ne s'en tient pas à une réception critique passive, mais au contraire se veut belligérant. Bien qu'appréciant qu'Holguín ne se contente pas de traduire les poèmes les plus populaires ou les plus caractéristiques, ou ceux qui s'accordaient le plus à sa propre sensibilité (ce qu'ont fait, d'après lui, d'autres poètes colombiens lors de traductions), il signale l'écueil apparent de la non coïncidence entre la sensibilité d'Holguín et celle des jeunes écrivains et poètes colombiens, ce qui devrait certainement susciter une polémique. Cependant, il critique le déséquilibre entre la première moitié du recueil, plus objective et impartiale, consacrée à 7 siècles de vie littéraire française, et l'autre moitié, plus subjective, consacrée aux cinquante dernières années. En ce sens, Caballero Calderón se rapproche d'une vision canonique d'une anthologie comme bilan définitif, signalant que certains des poèmes retenus n'ont pas encore subis la décantation et les révisions apportées par le temps.

Stéphane Mallarmé (1842-1898) 

Tel qu'indiqué dans l'introduction, cet article s'inscrit dans un ensemble plus vaste d'études sur la réception de Mallarmé dans l'aire hispanique mené par l'équipe du Laboratoire d'Études Romanes de l'Université de Paris 8. Il vient compléter des études génériques antérieures (Lécrivain, 2000: 65-77; Navarro, 2000: 87-100 ) et a pour objectif d'analyser un élément spécifique et sans doute peu visible de la réception en Espagne de l'œuvre mallarméenne. Il complète ainsi l'examen d'autres traductions de Stéphane Mallarmé dans l'aire hispanique, analysées lors de la journée d'études mentionnée en introduction27. Il sera par la suite probablement complété par des études portant sur les anthologies des années 1940, mentionnées plus haut (l'anthologie bilingue de Xavier de Salas (1940) et l'anthologie de textes en prose de Agustín de Esclasans (1942).

L'étude fragmentaire portant seulement sur les trois poèmes de Mallarmé traduits par Holguín ne prétend aucunement offrir de conclusions générales sur les pratiques traductives du poète colombien. Malgré tout, elle permet d'offrir des repères, de soulever d'éventuelles tendances qui pourraient être développées dans des études postérieures, de faire ressortir quelques options prises par Holguín, d'entrevoir s'il s'agit d'une poétique qui lui est propre28 ou bien si les options s'inscrivent dans des pratiques habituelles de la traduction de la poésie de Mallarmé. Des études comparatives portant sur des traductions antérieures (voir les paragraphes suivants) ou postérieures de ces poèmes (celles de Ricardo Silva-Santiesteban29, par exemple) pourraient par la suite apporter à leur tour des éclairages spécifiques sur les conceptions respectives de la traduction et l'imbrication de la traduction et de l'œuvre poétique.

La section consacrée aux Parnassiens et Symbolistes rassemble 14 poètes. Rien de nouveau dans la liste des auteurs retenus, cependant le nombre de poèmes dévolus à Mallarmé peut sembler plus surprenant: Leconte de Lisle (1 poème), Baudelaire (14), Verlaine (12), J.M. de Heredia (4), Lautréamont (1)30, Corbière (1), Rimbaud (5), Mallarmé (3), Verhaeren (2), Laforgue (2), H. de Régnier (1), Maeterlinck (5), Claudel (4), Valéry (3). Proportionnellement la place accordée à Mallarmé n'est donc pas très importante, et cela semble une constante de sa réception en Espagne : bien qu'abondamment cité et souvent étudié, il est finalement assez peu traduit.

Notice préliminaire

La notice le concernant s'étend sur un peu plus de 6 pages, et c'est la troisième en importance (10 pages pour Baudelaire et Rimbaud, 6 pour Valéry) dans la section.

Dans l'introduction biographique, Holguín souligne le contraste entre la vie monotone de Mallarmé31, professeur d'anglais pendant 30 ans, et l'aspect révolutionnaire de son œuvre qui offre "un art intense et rebelle"* (p. 343), précisant que sa condition de "magicien de la langue"* (p. 344) séduisait la jeunesse et faisait de lui le poète privilégié d'un cercle d'intellectuels (p. 344).

Andrés Holguín présente le Symbolisme comme réaction au Parnasse et recherche d'une nouvelle intuition face à la vérité objective (p. 344). Cette nouvelle formule se concrétise dans la musicalité32 qui seule peut restituer, par suggestion, l'idée ou la sensation (p. 347). Une de ses premières remarques porte sur le parallélisme avec Verlaine, faisant ressortir quelques points communs, dont la musicalité et la poésie comme suggestion de pensée et de sensations. Holguín souligne deux tendances de la tradition poétique française : d'un côté, la tradition profondément subjective, de l'autre, la tradition cartésienne. Et de fait, il réitère à plusieurs reprises combien Verlaine et Mallarmé sont opposés: poésie mentale chez Mallarmé face à poésie de l'émotion chez Verlaine (p. 345), clarté constante chez ce dernier alors que Mallarmé est "toujours énigmatique"* (p. 346), d'où le titre de mon intervention lors de la Journée d'études sur Mallarmé, mentionnée en début d'article. Pour l'un, la musique surgit du fond de l'âme, pour l'autre, il s'agit d'une élaboration consciente. Holguín définit d'ailleurs Mallarmé comme "Pythagore moderne de la poésie"* (p. 347), et qualifie son œuvre de "géométrique, aussi difficile qu'un théorème, aussi froide également qu'un théorème" * (p. 348). L'intérêt que présente Mallarmé ne reposerait donc pas tant sur les résultats, car il n'a pas réussi à créer le poème véritable dont il parlait tant (p. 346), que sur sa "méthode" : ses recherches sur les propriétés du langage, son analyse de la grammaire, de la syntaxe, son incomparable étude des relations mystérieuses entre les mots, son obsession envers le hasard qu'il cherche à supprimer car il veut atteindre l'absolu (p. 347). Donc une poésie avide d'infini, de pureté où seuls les mots font surface dans le naufrage universel (p. 348).

Andrés Holguín ne cesse de mettre en avant l'hermétisme de la poésie de Mallarmé: "une œuvre poétique difficile"* (p. 343), "énigmatique"* (p. 347), dont "l'obscurité est proverbiale"* (p. 346), des "poèmes chiffrés"* (p. 344) qui vont de la pénombre symboliste la plus belle jusqu'à "la frontière de l'intelligible"* (p. 346), balançant entre la pureté et l'inexistence (p. 346). Ce trait, et le parallélisme avec Verlaine, semblent une constante de la réception de la poésie mallarméenne. Ils avaient déjà été relevés par Alfonso Reyes (1909) lorsqu'il signalait que l'esthétique de l'expression directe rendait Mallarmé plus incompréhensible, de plus en plus isolé, car au fil de son œuvre il avait abandonné les modalités conventionnelles et officielles de l'expression. De même, l'introduction à Antología general de poetas líricos franceses 1391-1921de Fernando Maristany signalait une œuvre "condensée et étrange comme l'opale"* dont l'extrême concision mène vers l'obscurité (1922: 30). De son côté, Guillermo de Torre concluait son essai sur ces mots: "Mais l'hermétisme, la notion d'une poésie d'initiés, rigoureusement réservée à un petit nombre de lecteurs, centrée sur des abstractions, des ombres et des absences, paraît logiquement tout à fait opposée aux réalités et aux présences terribles que le monde actuel nous impose" (1948: 233).

En ce sens, et indépendamment de sa connaissance de l'œuvre de Mallarmé, Holguín se rapproche étroitement des écrits de Paul Valéry, qu'il avait traduits en 1944 (cf. note 16). Ce dernier, grand admirateur de Mallarmé, y soulignait la complexité de ses textes, leur "obscurité", leur "apparence d'énigme", et la lecture ardue qui en résulte (1957: 636), qui exige que l'on réapprenne à lire. Holguín indique à son tour que l'hermétisme mallarméen exige une "collaboration lucide"* du lecteur (p. 346), ce qu'avait déjà souligné Reyes en 1909, affirmant que lire les textes de Mallarmé était insupportable pour ceux qui pratiquent une lecture passive, qui lisent "sans volonté"* (1909: 100).

De façon quelque peu singulière, Holguín clôt sa présentation en mettant l'accent sur "la plus grave erreur"* et l'échec de Mallarmé. Ce n'est pas une exception dans l'anthologie: à plusieurs reprises il expose un jugement final négatif sur les recherches poétiques de certains auteurs retenus. Il reconnaît au lecteur le droit, après avoir lu, relu et déchiffré intensément la poésie de Mallarmé, de se demander si la poésie n'est pas autre chose, car il est en droit d'attendre de l'émotion et non pas de simples jeux cérébraux, idiomatiques qui éblouissent "comme une mine de sel"*, mais n'émeuvent pas (p. 348). Malgré tout, dans une note de bas de page, Holguín précise qu'il ne s'agit pas de rejeter d'emblée la poésie de Mallarmé, car même s'il est "légitime de la censurer"*, il est nécessaire d'avoir lu, suivi et compris tout d'abord son œuvre. Et en conclusion, il se demande si l'importance accordée à certains poèmes ne tiendrait pas plutôt du mythe littéraire33, car sa poésie s'est transformée en un jeu de subtilités et d'abstractions, et la réalité – dont la réalité poétique "a échappé à ses filets"* (p. 349).

Holguín ne cesse donc d'intervenir dans les marges des poèmes, interposant ses jugements, préférences ou réticences entre le texte et le lecteur. Par le biais des annonces et des rappels dans les différentes notices, Mallarmé est ainsi constamment présent tout au long de la section, essentiellement pour mettre en évidence le contraste entre les poètes de l'émotion et les poètes de l'intellect. Ces notices conforment ainsi un panorama ininterrompu de commentaires, et en multipliant les annonces et les rappels, elles accentuent la perception d'Holguín sur les caractéristiques et singularités de la poésie de Mallarmé, établissant soit des rapprochements (avec la musicalité de Baudelaire, avec une certaine obscurité de Claudel, avec le spleen de Rimbaud) soit des contrastes entre émotion (Verlaine) et intellect, entre clarté (Corbière, De Régnier) et énigme. Lors de la présentation de Valéry, dernier poète de la section, Holguín, dressant un bilan de la poésie de l'époque, fait cette surprenante affirmation: "Mallarmé semblait avoir échoué –comme il l'admettait lui-même– et avoir disparu, fort heureusement, sans héritiers"* (p. 401).

Le projet traductif

Que traduire

Même si le projet anthologique d'Holguín (qui retenir/traduire, que retenir/traduire) répond à ses coups de cœur, dans la mesure où il s'articule ici avec le projet traductif (comment traduire), il est plausible d'envisager que le choix des poèmes dérive également d'une plus ou moins grande capacité et malléabilité au transfert en espagnol. Critère mis en avant par Alfonso Reyes (1932: 191) lorsqu'il observait que les poèmes traduits en espagnol concernaient en général la première période, plus accessible, face à une œuvre qui décontenance généralement l'ensemble des lecteurs, par manque d'habitude à penser conjointement certains concepts. Díez Canedo, dans la préface à l'anthologie La poesía francesa del romanticismo alsuperrealismo, partage cet avis et déplore certaines absences, dues en partie "à la suprême difficulté de conserver les valeurs de l'original" (1945: 6)34.

Andrés Holguín arrête son choix sur deux sonnets et un seizain de Mallarmé, qui avaient fait l'objet de traductions préalables en espagnol, à différentes époques. Cela semble une constante de la réception de Mallarmé à l'étranger, car les traductions répertoriées au Japon35, en Russie36, en Hongrie37 et en Italie38, entre autres exemples, mettent en évidence une coïncidence élevée de textes originaux, qui sembleraient plus inscrits dans une commodité de transposition que dans un canon de représentativité de sa poésie, même si ce choix ne semble pas spécifique aux traductions et semble également en vigueur dans le système littéraire français: en effet les trois poèmes retenus par Holguín figuraient dans l'Anthologie de lapoésie française, d'André Gide (1949); 'Brise Marine' figurait dans l'anthologie d'Arland (1942); 'Le tombeau d'Edgar Poe' dans celle de Paul Eluard (1947). Quant à l'anthologie de Thierry Maulnier (1939), elle contenait, la deuxième strophe du poème 'Angoisse' ainsi que 'Brise marine'.

Bien que n'apportant aucun commentaire sur les traductions publiées antérieurement –contrairement, par exemple, à Salas qui déclarait n'en avoir consulté aucune "par orgueil et par paresse"* (1940: 15)–, Holguín a pu avoir connaissance de l'anthologie de ce dernier ainsi que de "Mallarmé en castellano", de Reyes, soit dans la version espagnole, soit dans la version française (publiées en 1932). En l'absence de déclarations de sa part, déterminer s'il a pu s'en inspirer, que ce soit pour les imiter, que ce soit pour s'en différencier le plus possible39, est difficilement mesurable.

Force est donc de constater qu'Holguín n'a été nullement novateur dans ses choix. Le premier poème retenu est 'Brise marine', sous le titre 'Brisa Marina', traduit en 1899 par le poète colombien Guillermo Valencia, en 1905 par Andrés González Blanco, en 1923 par Andrés Sobejano et en 1932 par Alfonso Reyes40. De son côté, en 1947, le poète Vicente Gaos publia un article intitulé "Mallarmé, poeta apasionado", qui comportait une brève étude sur trois poèmes dont 'Brise marine'41.

Andrés Holguín retient également 'Angoisse', sous le titre 'Angustia'. Il en existe une traduction préalable, par Carlos Edmundo de Ory, publiée dans la revue madrilène Acanto, nº 10, en 1947, et republiée en janvier 1952, à Cadix, dans Platero. Revista Literaria, 13.

Finalement, son choix porte sur 'Le tombeau d'Edgar Poe' sous le titre 'La tumba de Edgar Poe'. La première version espagnole figura dans la traduction de Les poètes maudits de Verlaine par Mauricio Bacarisse, où étaient insérés sept poèmes de Mallarmé, (Ediciones Mundo Latino, 1921), ainsi qu'en 1927, en Argentine, sous la plume de Pedro-Miguel Obligado42. Il figure également dans l'anthologie sur Mallarmé, Poesía, élaborée par Xavier de Salas (1940).

Essayant de dégager un rapport entre l'étude préliminaire proposée par Holguín et le choix des poèmes, on peut retenir un critère, relatif il est vrai, de clarté et de lisibilité, en rapport avec la nature déchiffrable des opérations textuelles, face à d'autres poèmes dont la lecture, et par suite la traduction, sont plus ardues. En effet, deux des trois poèmes appartiennent à la première époque de Mallarmé, traditionnellement considérée comme la plus 'claire'. C'est également ce qu'affirme Holguín dans l'étude préalable sur le poète, considérant par ailleurs que ses plus beaux poèmes ne sont pas forcément ceux qui représentent le mieux ses thèses (p. 346). Il est alors plausible d'envisager qu'Holguín, comme ses prédécesseurs, choisit dans la première période, moins difficile, éloignée d'un excès de techniques, ce qui lui permet sans doute de se rapprocher le plus de ce qu'il apprécie, c'està-dire une poésie sans éclats idiomatiques ni ornements inutiles, une poésie qui revient vers l'émotion. Son engouement pour Baudelaire et le fait que 'Brise marine' et 'Angoisse'43 soient clairement d'inspiration baudelairienne, ne sont sans doute pas étrangers non plus à ce choix.

Afin de considérer d'éventuelles unités thématiques dans les choix opérés par Holguín, la lecture de l'ensemble des poèmes figurant à la section sur les Parnassiens et Symbolistes permet de constater un axe thématique prédominant, autour de la dysphorie: les poèmes traduits développent essentiellement un profond pessimisme marqué par le spleen, la mélancolie, le remords, la nostalgie le désenchantement face aux dures réalités de la vie et à la malédiction sociale (pauvreté, vieillesse, exils, fin de vie, fugacité du temps, désamour, avec une forte présence du champ lexical des pleurs).

Le choix des poèmes de cette section constitue en quelque sorte le pendant des notices biographiques sur les différents auteurs pour lesquels Holguín met l'accent sur une vie turbulente (Verlaine, Rimbaud) ou marquée par les malheurs (Corbière), le déséquilibre (Baudelaire, Verhaeren), les âmes torturées (Leconte de Lisle), la toxicomanie, la solitude (Laforgue), la démence (Lautréamont), etc. Y apparaît souvent la figure du poète meurtri par l'hyper-sensibilité, et l'incompréhension à laquelle il se heurte. Cette vision d'Holguín selon laquelle la meilleure poésie surgirait de la douleur a été signalée et critiquée comme vision simpliste à propos de ses autres anthologies44.

En même temps, et c'est peut être plus inattendu, s'en dégage un bon nombre de poèmes qui développent une thématique maritime (paysages poétiques, périples), et les métaphores maritimes apparaissent comme un motif récurrent autour des épreuves de la vie, de l'inspiration, etc. Le champ sémantique de la mer y est fort présent (mer, ondulation, îles, voiles, mâts, vaisseaux, etc.). Certains des poèmes retenus illustrent clairement ces aspects: 'Brise marine' (Mallarmé); L'albatros', 'Parfum exotique', 'La chevelure', 'Invitation au voyage' (Baudelaire); 'L'Angoisse' (Verlaine); 'L'oubli', 'Les conquérants' (Heredia), 'Le bateau ivre' (Rimbaud), 'L'effort' (Verhaeren); 'L'irréductible' (Claudel), entre autres. D'ailleurs, ce motif récurrent a déjà été signalé pour la propre production poétique d'Holguín45.

Comment traduire

Holguín ne possède pas, à ma connaissance, d'écrits concernant la traduction, qu'il a pourtant abondamment pratiquée. Dans le péritexte qui propose généralement certaines informations sur la position traductive des traducteurs, il n'a pris position ni en faveur d'une démarche cibliste (justifiant la manipulation au nom de l'élégance et de la clarté du texte-cible) ni d'une démarche sourcière (au nom d'une fidélité qui serait respect de l'intention de l'auteur, de son style, de son expression) et ne s'est pas prononcé sur sa pratique. Dans la notice consacrée à Mallarmé, il n'a aucunement commenté les difficultés rencontrées, contrairement à d'autres traducteurs: "la splendide beauté de la forme française [...] s'est perdue, comme elle se perd dans toute traduction"* (Salas 1940: 15); "la poésie de Mallarmé est tellement rivée aux mots que l'on craint qu'elle ne disparaisse lorsqu'on la dénude pour la changer de tunique"* (Reyes, 1932: 191). Au-delà de l'épreuve de la traduction comme mode de connaissance approfondie des auteurs, le nombre de ses traductions permet d'envisager qu'il considérait la traduction et la création comme deux versants de l'activité poétique, comme base d'un laboratoire expérimental de formation, d'une série d'exercices de style lui permettant de travailler à l'élaboration de sa propre poétique. Il resterait à faire, bien entendu, une étude de la convergence entre l'écriture poétique d'Holguín et sa pratique en tant que traducteur, afin d'analyser s'il arrive à l'équilibre idéal, c'està-dire à maîtriser sa propre création dans les traductions ou si, au contraire, sa propre création déborde dans sa pratique de la traduction poétique.

Mon analyse de ses traductions est donc une tentative de reconstituer partiellement sa position et son intention traductive. Il ne s'agit pas d'examiner les traductions sur le mode de la défaillance, mais d'analyser le travail traductif, les transformations, les éléments constitutifs du texte traduit afin d'en dégager une cohérence. Néanmoins, il ne saurait nous échapper que traduire un nombre réduit de poèmes de 87 auteurs différents place le traducteur dans une position délicate pour s'imprégner de l'œuvre de chacun d'entre eux. Il est clair qu'une recherche ultérieure serait nécessaire pour approfondir les traductions de l'ensemble des auteurs et éventuellement dégager des points communs à la totalité du recueil.

Les textes originaux sur lesquels a travaillé Holguín pour ses traductions ne semblent pas poser de problèmes majeurs au vu de la stabilité des versions originales.

Une première remarque d'ordre formel permet de constater qu'il n'y a pas de dépassement du nombre de vers, que les traductions s'organisent également en sonnets, respectant la forme des originaux. Le seizain est d'un seul tenant, tel que lors de la publication des Poésies (1899). Holguín a essayé de rendre compte des éléments essentiels de la forme poétique originale, de la cohérence interne des poèmes, et dans sa tentative de rendre le vers mallarméen, il s'est intéressé autant aux paramètres rythmiques qu'au sens. Comme le veut la tradition classique concernant le schéma rimique, Holguín maintient la rime -même si la disposition en diverge, sans doute parce qu'elle représente un élément perturbateur dans les choix lexicaux et pour l'agencement syntaxique, proposant une majorité de rimes consonantes en espagnol (répétition de tous les sons (voyelles et consonnes) à partir de la dernière voyelle accentuée), considérée comme rime parfaite. Les trois poèmes originaux de Mallarmé offrent une variété de disposition des rimes : soit rimes croisées et tripartites dans 'Angoisse', soit une majorité de rimes embrassées dans 'Tombeau...', soit des rimes plates dans 'Brise Marine'. Holguín propose les rimes embrassées dans les deux quatrains de 'Angustia', mais pour le reste des vers, il applique systématiquement la disposition en rimes croisées qui produit, malgré tout, une certaine uniformité.

Une simple lecture des traductions proposées par Holguín attire l'attention sur un phénomène majeur: l'éclaircissement, l'édulcoration de la complexité, déjà mis en évidence dans les traductions en espagnol par Alfonso Reyes (1932: 193). L'analyse des traductions permet de dégager certaines stratégies mises en place par Holguín, qui débouchent sur une poésie plus fluide, plus linéaire dans son appréhension que celle du texte original.

Reyes attribuait l'hermétisme de Mallarmé à une syntaxe inhabituelle en français et déconcertante pour le lecteur ordinaire, son originalité étant –selon ses propres mots– "d'imiter les phénomènes et le déroulement de la conscience"*, ce qui requiert une lecture qui soit une participation active du lecteur. La syntaxe mallarméenne joue donc de l'ambigüité, notamment par le biais du rejet ou de l'enjambement, comme distorsion, décalage entre la pause de fin de vers et la pause syntaxique. Holguín, en les omettant, efface la surprise syntaxique qui, chez Mallarmé est source d'équivoque ou de polysémie, et il propose un texte un peu plus linéaire, plus proche de procédés prosaïques. Les deux suppressions46 les plus évidentes d'enjambements abrupts, qui font violence à la syntaxe non-poétique, concernent des vers enjambés séparant un groupe de mots qui syntaxiquement ne peuvent être séparés par une pause : substantif et adjectif, dans 'Brise marine', le semi auxiliaire et l'infinitif dans 'Tombeau d'Edgar Poe' (ce qui par là-même supprime la difficulté de transfert de l'archaïsme 'oyant').

Face aux particularités de la phrase mallarméenne (Scherer, 1977), telles que la présence d'inversions qui viennent bouleverser l'ordre de la phrase canonique, la création de disjonctions inhabituelles, et l'hypertrophie des expansions, Holguín opère des redressements de ces insertions d'expansion, patents dans la traduction de 'Brise marine', où il regroupe des syntagmes épars dans l'original en une longue incidente où l'énumération est suivie et placée en début de vers.

De même Holguín propose une meilleure liaison des éléments de la phrase, s'éloignant de leur distribution singulière, de leur 'désorganisation'  apparente.

Cependant, il introduit parfois des disjonctions, là où le texte original n'en offrait pas, procédant ainsi à une certaine compensation, bien que ces disjonctions soient peu perturbantes.

Ce redressement des incises, des phrases nominales, est accompagné d'ajouts de signe de ponctuation en fin de vers, notamment de virgules, dans les trois poèmes traduits, comme pour mieux signaler la pause. C'est quelque peu surprenant dans la mesure où il précise que Mallarmé avait travaillé à supprimer la ponctuation "pour abolir tout ce qui n'était pas essentiellement poétique"* (p. 347). Paradoxalement, il choisit des poèmes qui ne mettent pas en évidence ce trait, et il procède à ces ajouts qui ne semblent pas nécessaires dans la mesure où il y a coïncidence avec une pause syntaxique. Cela semble confirmer une certaine perception d'une poésie de Mallarmé nécessitant une aide à la lecture, et il emploi ce même procédé qui vient rompre l'unité des deux quatrains et des deux tercets dans 'Angoisse' (ajout d'un point virgule, et transformation de deux points en point). Toujours dans le même objectif, semble-t-il, Holguín supprime les majuscules traditionnelles à l'initiale du vers, et maintient seulement celles qui signalent un début de phrase, facilitant ainsi la saisie visuelle d'une certaine cohérence et rejetant l'ambigüité. Ce procédé est commun à l'ensemble du recueil.

Par ailleurs, Holguín procède à des omissions ou des ajouts conceptuels, obéissant sans doute le plus souvent à des contraintes de la métrique et/ou de la rime. Je signalerai dans un premier temps, quelques omissions (sans doute compensées ailleurs par les ajouts).

Outre des déplacements internes liés à la linéarité, les ajouts et les concrétions, permettent parfois de préciser une thématique qui n'est pas toujours évidente (telle la prostitution dans 'Angoisse'), ou donnent lieu à des redondances conceptuelles ou de connotation, facilitant la saisie du sens.

Toujours dans le sens de la clarification, Holguín procède à la neutralisation de métaphores, d'analogies et de sens figurés:

Il procède de même lorsqu'il permute le syntagme circonstant en début ou en fin de phrase, orientant les poèmes vers un ordre plus prosaïque et une lecture linéaire.

Concernant les choix lexicaux, on peut constater un système de compensation. Même si ses poèmes offrent parfois des termes peu courants, voire archaïques, Mallarmé tend généralement à un lexique simple. Holguín procède globalement de la même façon, proposant un équilibre général similaire. Il est possible de procéder à la même constatation à propos de l'antéposition ou la postposition des adjectifs. Mallarmé recourt abondamment à l'antéposition, et dans les poèmes analysés, sans doute pour des préoccupations accentuelles et rimiques, on observe qu'Holguín permute souvent dans un sens ou dans l'autre la distribution de l'adjectif, mais finalement on retrouve une abondante antéposition, qui cependant met moins en valeur l'adjectif, car elle est beaucoup plus fréquente en espagnol.

Les procédés signalés tendent donc à ébaucher clairement une intention communicative, opérant une lecture qui cherche un discours sous-jacent, en une explication des textes originaux, supprimant en partie la part de déchiffrement inhérente à la lecture de la poésie de Mallarmé. La traduction les oriente vers des modalités discursives, vers un raisonnement plus élaboré, et Holguín tente de trouver et d'exprimer un référent clair, comme s'il s'agissait de résoudre une énigme, une suspension momentanée du sens, alors que Mallarmé affirmait qu'il devait toujours y avoir une énigme en poésie. Proposant une plus grande linéarité, il estompe l'ambigüité, le décodage indécis, l'atomisation, et l'imparfaite compréhension des poèmes que mentionnait Paul Valéry. Il comble les suspensions du sens, essaie de rétablir la perte du lien entre le langage et le monde sensible, en redonnant aux éléments de la phrase matrice une place centrale. Ses traductions se situent donc dans la perspective d'une lecture critique, dans la lignée des observations d'Ortega y Gasset (1940: 451), qui réclame une traduction, non pas facile à lire, mais claire.

Toutes ces caractéristiques de la traduction introduisent donc une discontinuité entre les différentes affirmations de la notice préliminaire non seulement sur l'hermétisme et le caractère énigmatique de l'œuvre de Mallarmé, mais également sur un langage poétique qui se veut distinct du langage de la prose. L'étude préalable n'introduit pas véritablement les traductions, car celles-ci se déploient différemment, et sous la plume d'Holguín, Mallarmé semble beaucoup moins énigmatique que ce qu'en affirme la présentation liminaire.

 

Conclusion 

L'obscurité et l'hermétisme des poèmes mallarméens mis en avant par Holguín, et par d'autres critiques avant et après lui, pourraient laisser penser qu'ils susciteraient de nombreuses lectures interprétatives par le biais des traductions et retraductions depuis un siècle. Or, cela ne semble pas le cas.

Les traductions d'Andrés Holguín jouissent encore aujourd'hui d'une grande autorité. Elles sont citées et republiées, canonisées en quelque sorte en Colombie. Les nouvelles époques, avec leurs nouvelles perspectives, ne semblent pas avoir laissé poindre d'autres besoins et donné lieu à des retraductions. La présente anthologie a, eneffet, été rééditée en 1977 à Bogota aux éditions Baal (édition illustrée47, que je n'ai pu consulter), et en 1995, sous le titre Antología dela Poesía Francesa48 (Bogotá: El Áncora Editores). Il s'agit d'une édition bilingue, ce qui a entraîné la suppression de certains auteurs49, mais d'après les données auxquelles j'ai eu accès, elle inclut toujours Mallarmé50. Cette fois, il y est clairement indiqué "Traducción, selección y notas de Andrés Holguín"51.

La réception critique considère également cette anthologie comme l'une des plus ambitieuses réalisées en Colombie, ou dans les pays hispanophones, sur la tradition poétique française52, et que les traductions proposées figurent parmi les plus réussies en espagnol. La revue Semana, en 1995, partage ce point de vue sur l'anthologie: "l'une des plus complètes et de meilleure qualité qui existe en espagnol"*, ce qui la convertit en "l'un des joyaux de la culture colombienne de tous les temps"*, tout en affirmant qu'Holguín fut "meilleur traducteur que poète"*53. En 2009, la revue Viandantes54 (Publicación del grupo de estudios de literatura colombiana) affirme à son tour que l'anthologie "fait partie de la littérature colombienne"* au vu de la réussite du travail créatif d'Holguín lors de l'élaboration de ces traductions. En 2010, la revue Sociedad latinoamericana55 propose des considérations similaires: le poète et essayiste colombien Raúl Henao reconnaît qu'Holguín fut un anthologiste et traducteur d'exception et signale que l'ouvrage est un événement important, difficile à dépasser dans un milieu qui, bien que vers la fin de la première décennie du XXIe siècle, gravite toujours autour d'une culture provinciale et excessivement locale. Ces traductions sont toujours reproduites et citées sur de très nombreux sites web hispano-américains et elles ont également fait l'objet d'enregistrement diffusé à la radio (radio JCK El Mundo) puis vendus sous forme de cassettes56. Signalons cependant qu'aucune des trois traductions d'Holguín ne figure dans l'anthologie de traductions proposée par José Lezama Lima et publiée en 1971 (Antología Stéphane Mallarmé, Madrid : Visor).

En Espagne, partageant sans doute l'opinion de Gómez Bedate qui considère que globalement la traduction des trois poèmes de Mallarmé est parfaitement réussie, qu"'elle contient la pensée de l'original exprimée dans un langage naturel et souple, l'alexandrin castillan est mélodieux et les rimes ne sont ni faciles ni forcées"* (2010: 54), les éditions Igitur ont inclus les poèmes d'Holguín dans l'ouvrage Cien años de Mallarmé (Tarragona, Igitur, 1998). En fait, cette inclusion n'entérine pas un jugement valorisant des traductions antérieures, car le recueil prétend à l'exhaustivité et inclut toutes les traductions publiées, n'excluant pas les répétitions. Il est néanmoins fort dommage que l'éditeur, également colombien, Ricardo Cano Gaviria, précise en introduction que les répétitions permettent de comparer, de constater les trahisons et les infidélités, inscrivant ainsi les traductions dans la réussite ou l'échec de la maîtrise d'un sens, et non pas dans une réversibilité des textes.

 

 

 

 


* Cet article est l'aboutissement de mon intervention lors de la Journée d'études sur "Mallarmé en traduction ", organisée par Annick Allaigre et Pascale Thibaudeau (axe Transferts textuels et migrations esthétiques de l'Université Paris 8) le 7 décembre 2013. La première ébauche a été publiée sous forme de 'work in progress' dans Travaux et Documents Hispaniques. Voir Lécrivain (2013-2014).

1   Dans le présent article, la version française des textes en espagnol due à mes soins sera suivie de *.

2 'Angoisse', 'Renouveau' et 'Apparition' traduit par Carlos Edmundo de Ory, Acanto, nº 10, Madrid, 1947. La traduction de 'Angoisse' sera publiée par la suite dans Platero, nº 13, janvier 1952. 'Les fenêtres', poème traduit par J. M. Caballero Bonald, sera publié dans Platero, nº 4, avril 1951.

3     Sélection et traduction de Luis Guarner.

4 http://www.bibliotecanacional.gov.co/content/eduardo-caballero-calder%C3%B3n-cronolog%C3%AD-de-su-vida-y-obra Site consulté en décembre 2013 : Caballero Calderón vécut en Espagne entre 1946-1948 et entre 1952-1956. Il y exerçait comme correspondant du journal colombien El Tiempo. Il publia de son côté trois ouvrages aux éditions Guadarrama.

5 Voir, entre autres, la bibliographie sur les relations littéraires entre la France et l'Espagne (1900-1930), dans Blanch (1976), Gallego Roca (1996), Lafarga Pegenaute (2009: 408-422).

6   Cf. Ruiz Bautista (2008); ainsi que les 4 chapitres concernant la censure franquiste dans Ballard (2011).

7 Demande effectuée au nom des éditions Castilla (et non Guadarrama), pour un volume de 540 pages, un tirage de 2 500 exemplaires à un prix de vente de 150 pesetas. L'autorisation est apportée par le Lecteur nº 26 qui appose une signature plus ou moins lisible (Batanero). L'autorisation de circulation s'est faite en deux temps (13 juillet 1954 pour les premières 221 pages, et 6 septembre 1954 pour le reste du volume).

8 En témoigne l'inclusion d'un court fragment des Chants de Maldoror de Lautréamont, alors que la publication de l'ouvrage était toujours 'déconseillée' par les censeurs en 1968 (Navarro, 2011: 267), ainsi que l'inclusion de poèmes de Victor Hugo, dont les romans subissaient encore les conséquences de la censure (la traduction des Misérables obtint l'autorisation de circulation en 1959).

9   Publié à l'origine sous formes d'articles dans le quotidien La Nación à Buenos Aires, en 1937.

10 Articles également publiés dans le quotidien La Nación à Buenos Aires (1946-1947), repris sous forme d'essai (1965) Problemas de la traducción.

11 "Resulta difícil encerrar en un molde castellano de iguales dimensiones que le molde francés todo el contenido del poema. Esto lo saben cuantos han hecho traducciones poéticas del francés al castellano".

12 http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-445874 Site consulté en  octobre 2013.

13  Voir Eymar (2011), Tauzin-Castellanos (2013).

14 http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/literatura/autobiog/auto56.htm Site consulté en octobre 2013.

15 http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/literatura/autobiog/auto56.htm Site consulté en octobre 2013.

16 Valery (1944): 4 maestros franceses: Stendhal, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé. Bogota: Librería Suramericana; (1954) Poesía francesa. Antología. Madrid: Ediciones Guadarrama, rééditée en Colombie en 1977 et en 1995; (1968) La poesía de François Villon, Ensayo biográfico-crítico y traducciones. Universidad de los Andes; (1976) Baudelaire, Las flores del mal, Instituto Colombiano de Cultura, Subdireccíon de Comunicaciones Culturales, (volume 7 de la Biblioteca Colombiana de Cultura), Partiellement repris dans l'anthologie bilingue (1995) Poesía escogida. Santafé de Bogotá: El Áncora Editores.

17  Holguín (1959, 1974, 1970).

18  Essai de 1964, inclus dans (1969). Las formas del silencio y otros ensayos. Caracas: Monte Avila Editores.

19 Entre autres: (1916) Las cien mejores poesías (líricas) de la lengua francesa, par Fernando Maristany, Valencia, Cervantes; Antología general de poetas líricos franceses, 1391-1921, par Fernando Maristany, Cervantes, Barcelona, s. d. [1922]; (1920) Antología de poetas extranjeros antiguos y contemporáneos, par José Pablo Rivas, Madrid; (1929) Antología de poetas franceses, par Luis Guarner, Madrid.

20 Réédition, revue et augmentée (Buenos Aires: Losada) par Enrique Diez Canedo de l'anthologie La poesía francesa moderna, publiée en collaboration avec Fernando Fortún en 1913 (Madrid: Renacimiento). Le catalogue des éditions Losada fut partiellement interdit en Espagne à l'époque franquiste.

21 "La définition nous échappe toujours. Plus on la poursuit, plus elle s'éloigne [...] La poésie, comme la vie, n'est pas une abstraction ou un concept mental. C'est de l'art. Et aucun art ne peut être strictement défini"*.http://www.antologiacriticadelapoesiacolombiana.com/pdf/antologia_critica_de_la_poesia_colombiana_de_andres_holguin.pdf  Site consulté en octobre 2013.

22 Ce critère d'intuition poétique fut fortement critiqué dans un compte-rendu de Rafael Gutiérrez Girardot: "l'intuition esthétique n'est pas la "modalité suprême de la connaissance", mais elle correspond bien à ce qu'est l'intuition en général, c'està-dire la modalité suprême de l'ignorance"* ("Sobre una antología", Estravagario (Revista Cultural de El Pueblo), nº 9, Cali, 23-03-1975). Disponible en ligne et consulté en novembre 2013: http://desarrollo.ut.edu.co/tolima/hermesoft/portal/home_1/rec/arc_17674.pdf

23 La Edad Media, El Renacimiento, Los Clásicos en el Siglo de Oro, El Seudo-clasicismo, El Romanticismo, Parnasianos y simbolistas, Modernos independientes y unanimistas, Surrealistas y neo-simbolistas, Los últimos poetas.

24 P.9. Site consulté en octobre 2013 : http://hemeroteca.lavanguardia.com/preview/1955/01/02/pagina-2/32780634/pdf.html

25 Il y admire de même la politique littéraire 'impérialiste' des Français, au vu de l'inclusion de poètes qui ne sont pas de nationalité française (Verhaeren, Maeterlinck...) souhaitant que les Espagnols puissent adopter une telle politique lors de productions similaires.

26 http://news.google.com/newspapers?nid=1706&dat=19550410&id=6J4cAAAAIBAJ&sjid=tGgEAAAAIBAJ&pg=4792,1104482 Site consulté en octobre 2013.

27 http://eriac.univ-rouen.fr/category/publications/publications-electroniques/tdh/mallarme-en-traduction-aire-hispanique/

28 Voir à ce propos Goenaga (2012), notamment sa propre contribution dans l'ouvrage, "Entre traducción y crítica portátil", portant sur la traduction des Fleurs du mal par Andrés Holguín.

29 (1981) Stéphane Mallarmé. Obra poética I, Madrid: Hiperión.

30   Voir note 8.

31 Dans les différentes notices biographiques, Holguín met en relief tout spécialement les aspects négatifs, voire sordides, de la vie personnelle des différents poètes de cette section.

32 Holguín consacre un paragraphe à la musique de la langue, aux correspondances, et signale que tout ce qui n'est pas musique, donc musique pure, est exclu de la lyrique énigmatique de Mallarmé (p. 347).

33    Jugement qu'il avait déjà émis pour Rimbaud, quelques pages auparavant (p.332).

34   Voir note 24.

35 Okayama, Shigeru (1997) "La Réception de Mallarmé dans le Japon d'avant-guerre". In: Hitotsubashi Journal of Arts and Sciences, 38(1), pp. 67-74.

36   Ducrey, Anne (2000) "Mallarmé en Russie". In : Revue d'Études Françaises, nº5, pp.57-64.

37 Maár, Judit (2000) "La première réception de Mallarmé en Hongrie". In : Revue d'Études Françaises, nº 5, pp. 117-123.

38 de Nardis, Luigi (1957) Mallarmé in Italia. Societa Editrice Dante Alighieri.

39 Pour Reyes, le premier traducteur exerce une forte attraction sur le deuxième, qui essaie de s'en éloigner en proposant de nouvelles traductions qui prennent, en quelque sorte, le contre-pied des premières (1932: 193). Pour Berman, la première traduction introduit l'ouvrage dans la culture-cible et est plutôt de type ethnocentriste, cherchant à atténuer les distances, alors que la ou les suivante(s), plus attentive(s) à la lettre, à la singularité du texte, cherchent à mettre en évidence l'éloignement culturel, l'étrangeté (1995 : 3).

40  Pour les références de ces traductions, cf. Reyes (1932).

41  Ínsula, 1947, nº 17, p. 3.

42 Intitulée "La tragedia de Edgar A. Poe", elle fut publiée dans le supplément littéraire du quotidien La Nación, le 12-06-1927 (Reyes, 1932 : 198).

43 Le titre original 'À celle qui est tranquille' fut visiblement imité de 'À celle qui est trop gaie' de Baudelaire. Il semblerait que Mallarmé en modifia le titre pour " débaudelairiser " son œuvre (Mallarmé, 1979: 1 426).

44 Raúl Henao, "Andrés Holguín y el canon poético colombiano", Revista Sociedad Latinoamericana, 2010. http://sociedadlatinoamericana.bligoo.com/content/view/1129421/Andres-Holguin-y-el-canon-poetico-colombiano.html Site consulté en octobre 2013.

45 http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-779418: "En la poesía de Andrés Holguín el mar es un tema frecuente y constituye una proyección imaginaria plena de significados. El mar fulgurante, inmóvil, majestuoso, es para él una especie de divinidad solemne, extraña y contradictoria".

46 Dans les fragments cités, j’introduis l’usage des italiques pour signaler les stratégies commentées.

47 El Tiempo: 5 de noviembre de 1995. http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-445874 Site consulté en octubre 2013.

48 Certains fragments de l'anthologie de 1954 ont été publiés séparément (après la mort de Holguín), notamment la section consacrée à Baudelaire (Baudelaire (1995) Poesía escogida. Bogotá, El Ancora, rééditée en 2011).

49 El Tiempo: 5 de noviembre de 1995.http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-445874 Site consulté en octubre 2013.

50 http://leerliteraturacolombiana.blogspot.com.es/2009/03/antologia-de-la-poesia-francesa-de.html Site consulté en octubre 2013.

51 http://www.semana.com/cultura/articulo/un-acierto/27039-3 Site consulté en octobre 2013.

52 El Tiempo: 5 de noviembre de 1995.http://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-445874: "El lector podrá entrar en contacto con la musa de un país que desde tiempos muy remotos ha producido siempre, o casi siempre, los mejores versos del mundo, y podrá acercarse a ella a través de una traducción española absolutamente impecable [...] una de las más creativas y mejor logradas que de la poesía francesa se han hecho al castellano".

53  http://www.semana.com/cultura/articulo/un-acierto/27039-3 Site consulté en novembre 2013.

54 http://leerliteraturacolombiana.blogspot.com.es/2009/03/antologia-de-la-poesia-francesa-de.html Site consulté en novembre 2013

55 http://sociedadlatinoamericana.bligoo.com/content/view/1129421/Andres-Holguin-y-el-canon-poetico-colombiano.html Site consulté en novembre 2013

 


 

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